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27 décembre 1594. Jean Châtel poignarde Henri IV après avoir hésité à sodomiser un animal

samedi 27 décembre 2014

L’ex-élève des jésuites est un beau maladroit : son poignard ne fait qu’effleurer la lèvre du souverain.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Avant que Ravaillac ne décroche enfin le titre envié du plus célèbre régicide de l’Histoire de France, de nombreux assassins ont tenté leur chance. Henri IV aurait échappé à pas moins de vingt-cinq tentatives d’assassinat. Un record ! Le fanatisme arme ces tueurs. Il y a ceux qui détestent la poule au pot, d’autres qui n’apprécient pas ses frasques sexuelles... Mais la plupart lui reprochent son opportunisme religieux qui lui a fait retourner sa chasuble à de nombreuses reprises. Réformé un jour, catholique le lendemain. Et vice-versa. Sitôt après son couronnement, il focalise la haine des fanatiques. Certains cathos lui reprochent de protéger les huguenots, dont il serait toujours proche. Les ligueurs soutenus par le pape et l’Espagne continuent de contester sa légitimité.

C’est ainsi que le 27 décembre 1594, un étudiant de 19 ans nommé Jean Châtel tente de le poignarder. C’est le fils d’un riche drapier de l’île de la Cité à Paris. Il a effectué sa scolarité chez les jésuites du collège de Clermont (aujourd’hui le lycée Louis-le-Grand, à Paris), qui l’éduquent dans l’aversion du Béarnais.

"C’est vous ou moi qui avons blessé le roi ?"

Châtel ne respire pas l’intelligence, comme on dit. C’est même un faible d’esprit qui se croit condamné à l’enfer parce qu’il succombe souvent à la luxure. La fréquentation de Patrick Sébastien et de DSK dans les clubs échangistes de la capitale l’a beaucoup traumatisé... Il en arrive à vouloir mourir pour ne plus avoir à pécher. Comme le suicide est condamné par l’Église, il envisage de perpétrer un crime de bestialité. Ce ne sont pas les cochons ou les vaches qui manquent dans les rues de Paris. Il imagine qu’après un tel péché commis devant tous, il sera immédiatement écharpé. Une idée qu’il abandonne cependant après un coup de fil à Brigitte Bardot... C’est alors qu’il se persuade d’assassiner Henri IV pour obtenir son salut. Un jésuite lui aurait confirmé que tuer un roi non approuvé par le pape serait une bonne action. "Je sais bien que je serai damné, mais j’ai mieux aimé l’être comme quatre que comme huit", dit-il.

Le 27 décembre 1594, Châtel apprend qu’Henri IV est de retour d’un déplacement en Picardie pour y négocier le divorce de sa maîtresse, Gabrielle d’Estrées. Il va se poster devant l’hôtel de Bouchage, rue du Coq (actuelle rue de Marengo), où cette dernière loge lors de ses séjours parisiens. Forcément, le roi viendra l’y retrouver. Effectivement, vers 17 heures, Henri IV, suivi d’une trentaine de gentilshommes, pénètre dans l’hôtel de Bouchage, éclairé par des flambeaux, car la nuit est tombée. Châtel demande à un passant de lui désigner le roi - "C’est celui qui a des gants fourrés" -, avant de suivre le cortège à l’intérieur du bâtiment. Personne ne s’inquiète de sa présence. Le voilà dans la chambre de la belle Gabrielle. Personne ne fait attention à ce jeune homme de belle prestance, vêtu de noir, qui se glisse au premier rang. Il observe deux seigneurs présenter leurs hommages à Henri IV. Quand M. de Montigny plie le genou pour effectuer sa révérence, Châtel brandit un poignard.

Il avait prévu d’atteindre le coeur, mais, comme le roi a conservé un gros manteau, il vise la gorge. Au moment où le poignard file vers sa cible, Henri IV se baisse pour relever M. de Montigny. Ce geste amical lui sauve la vie. La lame ne fait que lui trancher la lèvre et desceller une dent. Aussi maladroit que Nabilla... Croyant à une chiquenaude de sa folle Mathurine, le souverain la gronde de quelques mots. En revanche, Montigny, voyant le roi saigner, s’adresse à Châtel : "C’est vous ou moi qui avons blessé le roi ?" Châtel veut s’échapper. On l’arrête, le frappe. Le voilà ceinturé. Il commence par nier, puis se tait. Pendant ce temps, le roi est conduit dans une autre pièce pour y être pansé. Heureusement, la blessure à la lèvre n’est que superficielle. Il faut néanmoins rassurer la population, car la rumeur de l’attentat s’est vite propagée. Henri IV griffonne un petit texte qu’il poste sur son compte Twitter : "Il y a, Dieu merci, si peu de mal que pour cela je ne m’en mettrai pas au lit de meilleure heure." Des Te Deum sont chantés dans toutes les églises de Paris. C’est bien joué, car cela cloue le bec des catholiques extrémistes qui doutent toujours de la foi d’Henri IV.

Les jésuites visés

Jean Châtel est aussitôt emmené dans la prison de For-l’Évêque, à deux pas du Louvre, où il est soumis à la question (la torture). Il avoue tout. Oui, il a voulu tuer le roi ; oui, il a fait ses études chez les jésuites. Inutile d’en dire plus : ceux-ci sont à l’origine du complot, ce sont eux qui ont armé la main de leur élève. Forcément. Tous les Parisiens savent que ces suppôts du pape ont la haine des huguenots. Ce qui leur vaut, du reste, d’être mal vus par les Parisiens, la bourgeoisie et les magistrats qui les accusent de continuer à jeter de l’huile sur le feu des religions. Déjà, en juillet 1594, la Compagnie de Jésus avait échappé à une sentence d’exil grâce à l’intervention d’Henri IV. Cette fois, leur compte est bon ! Même si Châtel jure n’avoir reçu aucune consigne de ses maîtres, les jésuites du collège de Clermont sont tous arrêtés et embarqués dans la nuit. Le lendemain, ils sont libérés, sauf deux : Jean Guéret, l’ancien maître de philosophie du jeune homme, et le bibliothécaire Jean Guignard, qui possède dans sa cellule des écrits injurieux pour le roi. Ce dernier sera pendu le 7 janvier suivant. Le Parlement signifie l’expulsion de tous les jésuites de France le 29 décembre 1594.

Ce même jour, le procès de Châtel est vite expédié par le même Parlement. À l’époque, on ne perd pas de temps en plaidoiries et en appel. Le fils du drapier est dans de beaux draps, il est convaincu du crime de lèse-majesté divine et humaine au premier chef, par le détestable parricide attenté sur la personne du roi. Ce dernier aurait bien gracié le jeune illuminé, mais le Parlement ne veut pas en entendre parler. Les parlementaires le condamnent à "faire amende honorable devant la principale porte de l’église de Paris, nu en chemise, tenant une torche de cire ardente du poids de deux livres, et aller à genoux dire et déclarer que, malheureusement et proditoirement, il a attenté ledit très inhumain et très abominable parricide et blessé le roi d’un couteau en la face ; et être mené et conduit en un tombereau en la place de Grève, tenaillé aux bras et cuisses, et sa main dextre, tenant en icelle le couteau duquel il s’est efforcé commettre ledit parricide, coupée. Et après, son corps tiré et démembré avec quatre chevaux, et ses membres et corps jetés au feu et consumés en cendres, et les cendres jetées au vent"... La sentence est immédiatement exécutée. Le père, la mère et les deux soeurs de Châtel avaient été aussitôt conduits en prison. Le drapier est frappé d’exil du royaume durant neuf ans et à perpétuité hors de Paris et ses faubourgs. Il paie une amende de 2 000 francs et sa maison est rasée. Les ligueurs feront de Châtel un martyr.

Pour remercier Dieu d’avoir épargné la vie du roi, le Parlement organise, le 5 janvier 1595, une procession dans les rues de la capitale. L’accueil des Parisiens n’est pas franchement enthousiaste. Ils auraient encore préféré applaudir NKM... Des slogans hostiles accompagnent le carrosse dans lequel il se tient, renfrogné, un pansement sur la bouche. Seize ans plus tard, Ravaillac se montrera moins maladroit que Châtel.


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