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Les banquiers suisses accusés de lâcher leurs clients

lundi 29 décembre 2014

Une cinquantaine de Français, détenteurs de comptes en Suisse, vont attaquer en justice les banques helvétiques pour "défaut de conseils".

De notre correspondant à Genève, Ian Hamel

L’avocat parisien Daniel Richard a adressé une missive à Marco Franchetti, l’Ombudsman (sorte de médiateur de la République, NDLR) des banques suisses, dénonçant l’attitude des établissements financiers de la Confédération. Ils seraient passés "d’un laxisme total qui a duré cinquante ans à un réveil brutal et au harcèlement. Aujourd’hui, c’est le fisc ou la porte !" En d’autres termes, les banques suisses, autrefois si accueillantes pour l’argent non déclaré, jouent à présent les nettoyeurs impitoyables : elles contraignent leurs clients français à se mettre en règle avec le fisc.

Daniel Richard, qui représenterait une cinquantaine de clients français de banques suisses, entend réclamer à ces établissements plusieurs millions d’euros pour "défaut de conseils" et "manque d’informations". Il estime qu’ils auraient dû prévenir les titulaires de comptes non déclarés que les "bonnes choses" ont parfois une fin. Et que le secret bancaire, qui remonte au 8 novembre 1934, ne serait pas éternel. Bref, les banquiers suisses auraient dû proposer des solutions à leurs clients pour qu’ils puissent s’en sortir sans trop de dégâts.

Sur la tombe de Pablo Escobar

Sur le fond, ces clients français n’ont pas totalement tort. Pendant des décennies, les banques suisses ont ouvert bien grandes leurs portes aux tyrans de toute la planète. Elles accueillaient sans états d’âme les criminels les plus infréquentables. Une ancienne caricature montre les dirigeants des principaux établissements financiers en train de se recueillir sur la tombe du narcotrafiquant colombien Pablo Escobar. "Nos bilans annuels s’en ressentent. Heureusement, il nous reste les fonds du cartel de Cali", soupirent-ils.

Aujourd’hui, si une vieille tante vous a légué discrètement 30 000 euros sur un compte à Genève, le banquier suisse vous harcèle pour que vous le déclariez à votre inspecteur des impôts. Les raisons de ce changement d’attitude ? La Cour de cassation, la plus haute instance judiciaire française, a rejeté ce mois-ci un pourvoi d’UBS qui contestait une caution de 1,1 milliard d’euros. La plus grande banque suisse est poursuivie à Paris pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale".

Le secret bancaire existe toujours

Confrontées aux pressions des États-Unis et de l’Europe, les banques suisses considèrent que si leurs clients ne se mettent pas en règle, ce seront elles qui se retrouveront en délicatesse avec les autorités étrangères. L’avocat Daniel Richard estime que les établissements suisses n’ont pas averti leurs clients "des changements de réglementation entre la Suisse et la France".

Seulement voilà, les banques suisses ont modifié leurs pratiques avant même que le cadre réglementaire ne change. Aujourd’hui même, Olivier Calloud, CEO de la banque Piguet Galland, un petit établissement qui gère 5,8 milliards d’euros, rappelle dans La Tribune de Genève : "Le secret fiscal est mort. Le secret bancaire va continuer à exister." Ce n’est qu’à partir de 2018 que la Suisse s’est engagée à pratiquer l’échange automatique de renseignements en matière fiscale.

Plus de place pour les petits fraudeurs

Dans la réalité, la Suisse n’a jamais accueilli autant d’argent. Mais la dissimulation coûte nettement plus cher qu’avant. Il faut systématiquement créer des fondations, des sociétés fictives, rémunérer des prête-noms. Ces opérations sont réservées aux millionnaires, pas aux petits fraudeurs qui dissimulent 300 000 ou 400 000 euros. Ceux-là, les banquiers ont choisi de les lâcher sans états d’âme.

Quant à l’Ombudsman des banques, fondé en 1993, il dépend d’une fondation créée par l’Association suisse des banquiers. Ce n’est pas une juridiction fédérale. "Son but est de favoriser le dialogue entre les parties. Au lieu d’un jugement, il soumet aux parties une proposition de négociation." Que va-t-il répondre à Daniel Richard et à ses clients ?


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