MosaikHub Magazine

Il y a 57 ans, Louis Déjoie …

mercredi 31 décembre 2014

Etonnant parcours que celui de ce capitaine d’industrie hors pair – en tout cas à succès – qui voulut devenir président de la République en 1957. Etonnant parcours académique, d’abord Pierre-Marie Joseph Louis Déjoie, né le 23 février 1896 au Bois-de-Chêne (Port-au-Prince), commença et acheva ses études primaires au Petit Séminaire Collège St-Martial à Port-au-Prince. Esprit opiniâtre, il gagna la Belgique où il termina les cours secondaires au Collège Jésuite St-Michel de Bruxelles et où il obtint, après un premier diplôme de vétérinaire en France, un second diplôme d’ingénieur-agronome en génie rural et un troisième diplôme d’ingénieur chimiste et des industries agricoles, à l’Institut agronomique de Gembloux. De plus, la célèbre université américaine de Cornell (New York) l’accueillit par la suite et lui délivra, en fin de cycle, un Master en chimie agricole. On connaît la suite – remarquez que je n’ai pas ajouté ‘‘malheureusement’’ pour ne pas froisser la susceptibilité ‘‘coloriste’’, pardon, passionnelle des duvaliéristes. Haut en couleur, passionnant, à nul autre pareil, le portrait du sénateur Louis Déjoie, pardon de cet entrepreneur qui pilotait 17 usines agro-industrielles à travers le pays nous est peint par Georges Condé (« Louis Déjoie / Profil d’un entrepreneur, L’Imprimeur S.A., Port-au-Prince, mars 2014) dans une langue directe et enthousiaste. Non sans quelques impropretés et lacunes propres à l’auto-édition, l’auteur de cette biographie consacrée exclusivement à l’entrepreneur – et non au sénateur et au candidat à la présidence Louis Déjoie – est le fils de René Condé, l’un des plus proches collaborateurs de ce dernier. C’est une affaire de famille puisque est mentionnée aussi la filiation de Louis Déjoie et de René Condé, dignes descendants du général Nicolas Geffrard II, héros de l’Indépendance d’Haïti. Mais c’est avant tout, une grande partie de notre histoire agricole et économique, de la seconde guerre mondiale à l’élection présidentielle du 22 septembre 1957, que Georges Condé nous livre allègrement. Avec un casting impressionnant. Il n’a pas esquissé seulement le profil qui disparait de plus en plus. Recevons en tout premier lieu son « essai » comme le testament de Louis Déjoie qui demeure, si les mots ont un sens précis, vraiment pour nous un modèle d’honnêteté, « de bourreau de travail », d’ingénieux, d’élan permanent. Ce n’est pas rien surtout en ce temps-ci, où nous souffrons d’une surdose de défaitisme et d’ignorance arrogante en matière historique.

Qu’est-ce qui fait perdurer sa gloire ? Le nom de Louis Déjoie, enseignant en physique et chimie au Lycée Alexandre Pétion puis dans le champ de ses compétences à la HASCO et directeur de l’Ecole centrale d’agriculture de Thor à Damiens, est associé étroitement et quasi féériquement – sa fulgurante réussite nous fait aujourd’hui rêver après 57 ans de gâchis meurtriers et de dérives en tous genres – au projet agro-industriel de modernisation de l’économie nationale. La société anonyme ETAGILD (Etablissements agricoles et industriels Louis Déjoie), du Centre au Sud, employait plus de 50.000 personnes. Les usines étaient installées à l’Ile-à Vache (transformation du citron), aux Cayes, à Port-Salut, à St-Michel de l’Attalaye (à la Savane Diane pour la citronnelle et le vétiver), ainsi qu’à Miragâone et ailleurs dans le pays. Après 57 ans, après tant de recul et de faillites collectives, après le décès à Frères de Duvalier fils (4 octobre 2014), ce qui est actuel, incontournable chez Louis Déjoie qui n’avait jamais cessé de croire qu’Haïti doit et peut changer, se moderniser, c’est à la fois sa vision, sa foi en la patrie, son idée de nos valeureux paysans (La politique de la terre. La seule … La vraie.). Tout cela est demeuré constant. Il y a dans sa réussite, bien sûr, le sens de l’opportunité, des affaires, la ténacité à aller jusqu’au bout de son savoir-faire technique et une vision progressiste de l’avenir national.

L’ensemble de cette vie inaboutie, qui pourrait du dehors sembler peu connue, n’en a pas moins une foncière unité d’inspiration et d’action. En se gardant de l’injuste, du dédain comme de l’amnésie, si chère à nos compatriotes, Georges Condé nous offre, sans ennui, des notations et des esquisses parmi des ombres et des regrets déchirants. On suit dans son livre de mémoire comment le parcours professionnel performant de Louis Déjoie, agronome de toutes ses fibres, le hantait, l’obsédait, le fascinait.

Il ne faut donc pas dissimuler ce qu’il faut retenir ici et ce qui a de quoi nous peiner. L’affrontement entre l’archaïsme et la modernité, entre les chaos politicard et les promoteurs de la croissance économique représente la pièce maîtresse de notre avenir radieux ou de notre perpétuelle déchéance. De grands entrepreneurs comme Louis Déjoie (décédé en exil à New York le 15 juillet 1969), adeptes de l’endo-développement, il n’en existe plus en Haïti, hélas ! « Désindustrialisé » et asphyxié par les contrebandiers de l’import-export, notre pays souffre, à cause de ce déficit organique.

AUTEUR

Pierre-Raymond Dumas


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie