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1er janvier 1644. Inauguration du premier théâtre de Molière à Saint-Germain-des-Prés. Un naufrage...

jeudi 1er janvier 2015

Jean-Baptiste Poquelin a 21 ans. Avec la tribu Béjart, il fonde l’Illustre Théâtre. Le succès n’est pas au rendez-vous

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Dans le réduit derrière la scène, les comédiens de l’Illustre Théâtre finissent d’enfiler leurs costumes. Ils ont un trac immense. Aujourd’hui, vendredi 1er janvier 1644, ils inaugurent leur théâtre qu’ils viennent de faire aménager dans un jeu de paume du faubourg Saint-Germain. Non seulement, ils ont investi toutes les économies, mais ils se sont encore endettés jusqu’au cou pour avoir leur salle à eux, le troisième théâtre public de Paris. Ils ne peuvent s’empêcher de jeter un coup d’oeil anxieux dans la salle. Elle se remplit lentement. Ce n’est pas la foule qu’ils attendaient.

La pièce donnée ce soir-là n’est pas connue. Peut-être s’agit-il d’Alcidiane ou les quatre rivaux, une tragi-comédie écrite par Nicolas Desfontaines, écrivain et comédien ayant intégré la troupe. À moins qu’ils n’aient préféré une tragédie, un truc bien chiant, mais que les femmes préfèrent jouer, car leurs rôles y sont bien plus valorisants que dans les comédies. Jean-Baptiste, qui n’est pas encore Molière et n’est pas encore le chef de la troupe, n’a pas vraiment son mot à dire. Cette première représentation est loin d’être un succès. L’assistance est clairsemée. Au grand désespoir des comédiens qui rêvaient de gloire, la foule ne se précipite pas. Aucun mémorialiste de l’époque ne mentionne les débuts de la nouvelle troupe. Ce qui la sauve du naufrage, c’est un incendie. Celui du théâtre du Marais, à la mi-janvier. Rappelons qu’à cette époque Paris ne compte que deux théâtres établis, celui du Marais et celui de l’Hôtel de Bourgogne. L’Illustre Théâtre récupère donc une partie des habitués de l’établissement réduit en cendres. Malheureusement, ceux-ci reprendront le chemin du Marais dès la réouverture de sa salle.

À la limite de la légalité

La création de l’Illustre Théâtre date officiellement du 30 juin 1643, quand six hommes et quatre femmes s’engagent par contrat devant notaire au domicile des Béjart, rue de la Perle. Le chef de la troupe, et le seul comédien reconnu en tant que tel, s’appelle Denis Beys. La tribu Béjart compte Joseph (28 ans) et ses deux soeurs, Madeleine (25 ans) et Geneviève (19 ans). Ces trois-là sont loin d’être des comédiens professionnels. Eux aussi débutent dans le métier. Madeleine écrit des vers, les récite dans des théâtres forains, où elle se fait remarquer par des seigneurs de la cour. L’un d’entre eux, le comte de Modène, s’éprend de cette jeune fille bien qu’elle soit "rousse et sente le gousset". Il lui fait une fille. Elle joue la comédie par-ci, par-là. Fait-elle partie des comédiens qui accompagnent Louis XIII lors de sa conquête du Roussillon ? C’est fort possible. Elle pourrait même s’être alors liée avec le jeune Jean-Baptiste Poquelin, qui remplace son père comme valet de chambre tapissier du roi (son boulot consiste à aménager, au moyen de tentures, les chambres occupées par le roi lors de ses déplacements).

Mais peut-être Jean-Baptiste et Madeleine se connaissent-ils déjà, car ils sont tous deux voisins dans le Marais. Lui est le fils d’un tapissier, renâclant à reprendre le flambeau familial. Il préfère courir les foires pour assister aux représentations en plein air, il aurait même tenté de se faire engager comme pitre par une troupe jouant sur le Pont-Neuf. C’est alors que son père l’envoie accompagner Louis XIII à sa place. De retour du Languedoc, Jean-Baptiste prend des leçons de comédie avec Scaramouche, le plus célèbre des acteurs italiens se produisant alors à Paris. Amoureux de Madeleine, il fréquente les Béjart. C’est ainsi qu’ils en viennent à envisager la création d’une compagnie théâtrale. C’est extrêmement ambitieux, car, à l’époque, une seule troupe française est autorisée par le roi à tenir un théâtre à Paris, celle de Bellerose à l’Hôtel de Bourgogne. Il y a bien aussi le théâtre du Marais, mais il est à la limite de la légalité. Alors, un troisième...

1 100 spectateurs debout

Pour ouvrir un théâtre, il faut beaucoup d’argent. Jean-Baptiste y investit les 630 livres de son héritage maternel qu’il peut toucher grâce à son père qui accepte de l’émanciper (à l’époque, la majorité est à 25 ans). Les cinq autres associés de la compagnie, baptisée l’Illustre Théâtre, sont tous des amateurs, un fils de libraire, un jeune clerc de procureur, un brodeur, deux jolies filles. Il leur faut trouver une salle à aménager. Le jeu de paume, c’est qu’il y a de plus adapté. Ils finissent par trouver leur bonheur dans le faubourg Saint-Germain. L’Illustre Théâtre signe le bail en septembre 1643 avec le propriétaire Noël Gallois du Métayer, lequel s’engage à le remettre en état avant l’hiver. Le jeu de paume est situé dans une maison sise sur les fossés de l’ancienne enceinte de Philippe Auguste, près de la porte de Nesle (aujourd’hui, les 10-12-14 rue Mazarine, 11 et 13 rue de Seine).

La salle fait 32 mètres de long sur 12 mètres de large et environ 12 mètres de haut. Le 31 octobre, la troupe engage quatre musiciens pour 3 ans, à raison de 20 sols par individu et par jour, qu’il y ait un spectacle ou non. C’est une lourde charge. La saison théâtrale vient de commencer, mais il faut encore aménager les lieux, installer la scène, créer les loges, installer l’amphithéâtre. Pendant que les travaux se déroulent, la nouvelle troupe part roder ses pièces en province. Elle effectue surtout un séjour de trois semaines à Rouen, dans un jeu de paume appartenant également à la famille Mestayer. On peut penser que Corneille, qui habite la cité, vient la voir jouer et qu’il rencontre le futur Molière.

Deux représentations par semaine

Les travaux ayant traîné en longueur, le théâtre n’est enfin aménagé que fin décembre. Il comprend une salle de 18,56 mètres de long, une scène de 8,96 mètres de profondeur et, derrière elle, un fond de 4,48 mètres. À tout casser, un maximum de 1 100 spectateurs debout peuvent s’entasser au parterre. Mais, malheureusement pour l’Illustre Théâtre, il y a peu de chance que ce chiffre ait un jour été atteint. Le fond de la salle est occupé par 19 loges. À quelques jours d’ouvrir, on s’aperçoit que les pluies d’hiver ont transformé le chemin des Fossés-de-Nesle (rue Mazarine) en marécage. Impossible pour les carrosses et les chaises à porteurs d’accéder au théâtre. Il faut paver devant la salle. Le 28 décembre, les comédiens passent un marché avec le paveur des bâtiments du roi, Léonard Aubry, qui accepte de paver un rectangle de 6 mètres sur 24, contre 200 livres payables en deux fois, la moitié à la Chandeleur et l’autre moitié à la Mi-Carême. En trois jours, c’est chose faite.

La première représentation peut se dérouler le 1er janvier 1644. On ne joue pas tous les jours. C’est interdit. La loi n’autorise que deux représentations par semaine (le dimanche et un autre jour), plus les jours de fête. Le prix des places est aussi bloqué : 5 sols au parterre et 10 sols aux loges et galeries. Grâce à la fermeture du théâtre du Marais, la salle se remplit quand même. Mais elle est loin d’être pleine. La troupe a bien du mal à payer ses dettes. Pourtant, on reste optimiste. Le 28 juin 1644, elle engage même un danseur. Surprise, au bas du contrat, ce n’est pas la signature de Denis Beys qui arrive en tête, mais celle de Molière. C’est la première fois que Jean-Baptiste utilise officiellement ce nom de scène dont on ne connaît pas l’origine. C’est donc lui aussi qui devient le patron. Désormais, la troupe comte 13 comédiens. Pourtant, la situation financière ne fait qu’empirer. Quand le théâtre du Marais rouvre ses portes, à l’automne 1644, c’est l’hémorragie des spectateurs. Il faut faire des emprunts, renoncer à être payé. Il devient impossible de payer le bail. Le 19 décembre, l’Illustre Théâtre jette l’éponge. Il faut dénoncer le bail et déménager en laissant 2 600 livres de dettes. La troupe se replie sur le jeu de paume de la Croix-Noire, au port Saint-Paul. La salle des Mestayers y est remontée. D’autres galères attendent la troupe, notamment la prison...
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