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La peste, une maladie ré-émergente ?

jeudi 26 juin 2014

C’est la grande maladie des livres d’histoire et, pour cette raison, on la considère comme une maladie du passé. A tort, car la peste, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, tue toujours. Certes, la planète ne subit plus ces monstrueuses vagues mortelles comme la peste dite de Justinien au VIe siècle, la célèbre peste noire du XIVe siècle qui ravagea l’Europe et fit plusieurs dizaines de millions de victimes, ou la troisième grande épidémie, aussi connue sous le nom de peste de Chine, qui frappa essentiellement l’Asie de 1894 à 1920 et au cours de laquelle Alexandre Yersin découvrit le bacille responsable de la maladie, qui porte aujourd’hui son nom – Yersinia pestis. Certes les progrès de l’hygiène, les antibiotiques, la vaccination et les campagnes de dératisation (la bactérie est principalement transportée par des rongeurs et transmise par les puces qui les infestent) l’ont fait beaucoup reculer. Mais, contrairement à la variole, la peste est loin d’être éradiquée – il y a d’ailleurs peu de chances qu’elle le soit un jour tant son "réservoir" animal s’avère vaste – et l’actualité vient régulièrement nous le rappeler. RFI a ainsi diffusé il y a quelques jours un reportage sur les mesures de prévention prises à Madagascar, un des pays où la maladie reste endémique.

Dans une étude publiée récemment par The American Journal of Tropical Medicine and Hygiene, le chercheur américain Thomas Butler analyse les données mondiales recueillies sur la peste entre 2000 et 2009. Madagascar figure ainsi au deuxième rang des pays les plus touchés, avec un total de 7 182 cas. La Grande Ile n’est devancée que par la République démocratique du Congo (10 581 cas) où la guerre civile, les déplacements de population et la détérioration des conditions de vie ont probablement favorisé de plus amples contacts entre humains et rongeurs. A la troisième place figure la Zambie, avec 1 309 cas. Au total, sur les dix années retenues, 21 725 cas ont été recensés et 1 612 personnes sont mortes de la peste. Ce nombre est probablement un minimum car tous les décès dus à la maladie ne lui sont pas forcément attribués en l’absence d’analyses. Les pays africains représentent plus de 97 % des infections sur la période. Ceci dit, parmi la douzaine de pays qui ont déclaré au moins 40 malades au cours de ces dix années, on trouve la Chine à la 7e place (227 cas) et... les Etats-Unis à la 11e place avec 57 cas.

L’article de Thomas Butler montre que la peste n’a pas fini de nous surprendre par les voies qu’elle emprunte. Au cours de cette décennie 2000-2009, on a bien sûr des exemples classiques de contamination comme cela a été le cas en 2005 et 2006 dans des mines d’or et de diamants en République démocratique du Congo (plus de 100 morts) ou comme on le constate tous les ans à Madagascar. Mais on a aussi des exemples plus exotiques, comme celui de cette contamination par voie alimentaire en Afghanistan en 2007 : 83 personnes ont été malades après avoir mangé de la viande de chameau infectée et 17 d’entre elles en sont mortes.

Enfin, il y a des anecdotes encore plus étonnantes, comme ces deux cas de chercheurs américains qui ont succombé à la maladie en 2007 et en 2009. Le premier était biologiste et travaillait dans le parc national de Grand Canyon en Arizona. Après avoir retrouvé le cadavre d’un puma doté d’un radio-émetteur, il a décidé d’en pratiquer l’autopsie pour déterminer les causes de la mort. Pensant que l’animal avait été tué lors d’un combat avec un autre puma, il n’a pas pris la précaution de mettre des gants ou un masque. Une semaine plus tard, après avoir été pris de fièvre, l’homme était mort. Le second cas est encore plus extraordinaire, lequel met en scène un généticien qui manipulait fréquemment une souche de la peste dont la virulence avait été génétiquement atténuée par suppression d’une molécule dont la mission est de capter le fer dont la bactérie a besoin. En temps normal, jamais celle-ci n’aurait pu tuer quelqu’un. Mais ce chercheur n’était pas un cas normal, car il était porteur d’une anomalie génétique conférant aux tissus de son organisme une surcharge en fer, ce qui a "compensé" le handicap du bacille ! Hospitalisé d’urgence, l’homme n’a pu être sauvé.

En France, le dernier cas de peste date de 1945 mais cela ne signifie pas forcément grand chose. L’Algérie avait été épargnée depuis 1946, ce qui n’a pas empêché une résurgence de la maladie en 2003. Même si l’Europe n’est actuellement pas touchée, une étude de 2008 a noté qu’au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, le nombre de pays où la peste sévissait n’avait cessé d’augmenter. Au point que l’on peut se demander si cette pathologie ne doit pas être considérée comme une maladie ré-émergente, ce d’autant que bien des conditions favorables au bacille pesteux et à sa diffusion sont réunies : l’augmentation des températures globales dont on sait qu’elle peut augmenter la prévalence de la bactérie chez les rongeurs, la mondialisation des échanges avec des moyens de transport toujours plus rapides et nombreux, l’apparition de résistances multiples aux antibiotiques chez Yersinia pestis, un vaccin plus guère utilisé qui n’a pas encore trouvé de successeur... Par ailleurs, plusieurs auteurs soulignent la grande plasticité du génome de la bactérie, ce qui lui donne la capacité de s’adapter aisément aux modifications de son écosystème, fréquentes sur notre planète désormais.

Enfin, il ne faut pas oublier que l’homme aussi peut se servir de la peste. Le temps n’est pas si lointain où les Etats-Unis et l’Union soviétique imaginaient la bactérie comme une arme biologique. Et ils n’étaient probablement pas les seuls. Une étude de 2006 sur le bioterrorisme rappelle que, selon un scénario envisagé par l’OMS, si l’on vaporisait au-dessus d’une ville de 5 millions d’habitants, 50 kg de bacilles préparés sous forme d’aérosols, jusqu’à 150 000 personnes pourraient être contaminées et 36 000 d’entre elles mourraient. Sans compter les effets d’une panique monstrueuse ni le fait que de nombreux habitants, prenant la fuite, risqueraient de se transformer en autant de vecteurs de la maladie...


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