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Face à l’antisémitisme, le choix du départ des juifs pour Israël doit rester un personnel

mardi 20 janvier 2015

Je n’ai pas aimé voir le premier ministre britannique, David Cameron, dérouler le tapis rouge aux entrepreneurs français. Je n’ai pas davantage aimé voir le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, appeler les juifs français à émigrer vers Israël.

Pourtant, je comprends les Juifs de France qui, subissant un antisémitisme de plus en plus violent, brutal et aveugle, s’interrogent, s’inquiètent et envisagent de partir.

Les tragédies des mercredi 7, jeudi 8 et vendredi 9 janvier furent un électrochoc national qui nous a menés le long d’un arc-en-ciel d’émotions : la révolte, la rage, la compassion, la solidarité, et la fierté. Mais si ces deux événements sont l’effroyable expression d’un même islamisme radical, ils sont de nature différente.

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Charlie est une exécution, celle d’un ennemi nommément ciblé, honni des fanatiques car jugé blasphématoire. A travers lui, c’est une liberté fondamentale de 1789 qu’on cherche à éliminer : celle de penser et dire ce que l’on veut dans les limites de la loi. C’est sans doute autant la barbarie de l’attentat que l’atteinte à nos libertés qui ont provoqué une telle émotion et cet élan de solidarité à travers le monde.

Dans l’attaque contre l’Hyper Cacher, vendredi, il n’y a pas d’ennemi mais un stéréotype, cristallisant des haines aussi absurdes que diverses et recuites, prétexte aux pires atrocités du XXe siècle : le Juif. On comprend alors que l’attentat, porte de Vincennes, à Paris, s’inscrit dans une sinistre et aveugle lignée.

C’est Ilan Halimi, mort torturé en 2006, parce que juif. Ce sont quatre exécutions dont celles de trois enfants à Toulouse dans l’équipée assassine de Mohamed Merah en 2012, parce que juifs. Ce sont quatre personnes abattues par Mehdi Nemmouche à Bruxelles en 2014, parce que dans un musée juif.

Intégration ratée

L’antisémitisme violent n’est pas nouveau en France, et n’a cessé d’être protéiforme. Religieux (des édits d’expulsion du Moyen Age à l’extrême droite des années 1930), économique (des caisses royales à renflouer par confiscation à l’anticapitalisme révolutionnaire), revanchard et militariste (défaite de 1870 et affaire Dreyfus) et racial (l’anthropométrie à Vichy).

Mais la seconde guerre mondiale et la Shoah débouchèrent sur un consensus social et un tabou. Ce dernier a perduré jusqu’aux années 1980, avant de se fracasser sur la diffusion des thèses négationnistes. Un nouvel antisémitisme libéré s’est alors engouffré dans la brèche ; celui d’une minorité de jeunes issus de l’immigration, fragiles, au cadre familial distendu, soumis à l’influence extérieure et instrumentalisés, et réagissant aux images des conflits du Proche-Orient. Cet antisémitisme devient une sorte de bravade, tandis qu’un sentiment d’impunité domine : s’attaquer aux juifs ne provoque pas de réaction considérable ; Ilan Halimi et Toulouse en sont la preuve.

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Reconnaissons tous ensemble que l’intégration a ici été un ratage complet, sur le plan de l’éducation, de l’urbanisme, de l’insertion dans l’emploi ; et qu’il sera urgent d’y remédier pour le bien de notre démocratie.

Par ailleurs, Israël et les conflits moyen-orientaux s’invitent dans cette violence alors que la question d’Israël n’est pas simple en France : elle télescope une politique arabe ancienne ; elle relève vite de la politique intérieure du fait de l’importance relative de la communauté juive française dans les enjeux d’émigration, du fait aussi de l’importance de la communauté musulmane française ; et, surtout, elle pâtit d’une confusion entre antisémitisme, antisionisme et antiracisme, l’un servant d’alibi à l’autre pour masquer le propos véritable.

Minimiser de peur de voir croître davantage

Et c’est là le cœur du problème. La justesse des mots, leur poids, leur pouvoir.

Paradoxalement, ceux qui maîtrisent le sens des mots – les pouvoirs publics, la presse, les intellectuels – ont refusé l’idée d’une peste antisémite, craignant de stigmatiser et d’alimenter un sentiment islamophobe. Minimiser de peur de voir croître davantage ; banaliser l’inacceptable, comme ce « mort aux juifs ».

Voilà pourquoi il faut continuer à s’insurger – tous – contre cette omerta ; car on ne peut nommer « opinion » une doctrine qui vise à supprimer les droits de particuliers ou à les exterminer. L’antisémitisme est un délit et doit être traité comme tel, sans faiblesse. C’est cela, notre République une et indivisible.

Dès lors, pourquoi rechigner à appeler un chat un chat ? Pourquoi mentionner si longtemps des « suspects » alors qu’il s’agit de terroristes islamistes ? Le « gang des barbares », Mohamed Merah, le « loup solitaire » : dangereuses formulations qui tiennent à distance ; mais on aurait pu dire « antisémite » ou « islamiste radical ».

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Les mots comptent, pour prévenir l’antisémitisme aussi bien qu’un amalgame dommageable à l’islam. Curieusement, sous prétexte d’éviter les amalgames, on les génère par l’usage de mots imprécis.

Jalousie, rancœur, haine

Les politiques semblent enfin le comprendre, eux qui avaient un temps de retard face à cette foule spontanée et silencieuse. « Si le juif n’existait pas, l’antisémite l’inventerait », disait Sartre. L’antisémitisme est le choix d’exister par la jalousie, la rancœur, la haine meurtrière, et non la raison ouverte aux autres. Le tolérer, c’est mettre en danger l’ensemble de l’édifice social. Et il faut saluer la fermeté des déclarations de l’exécutif.

Reste à savoir ce que sera le legs politique du formidable élan des samedi 10 et dimanche 11 janvier. L’attente est immense. L’unité nationale est essentielle, mais pas suffisante : lors de la manifestation contre la profanation du cimetière de Carpentras, en 1990, tous étaient déjà là – cela n’a pas suffi.

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Le sursaut ne peut être que collectif et je sais gré à Manuel Valls d’avoir rappelé que « la France sans les juifs n’est pas la France ». Je suis en désaccord avec Benyamin Nétanyahou : en tant que Français et juif, je ne souhaite pas qu’on me dise où aller, et je suis reconnaissant à la France pour tout ce qu’elle a fait. Je reste persuadé que la France est une terre d’asile dans son ADN. Pour cela, elle doit offrir à tous le même degré de sécurité et de confiance. Qui aimerait conduire ses enfants à l’école, aller prier, sous protection policière ? Le contrat national doit permettre à chacun de vivre dans sa foi, sa différence, quelle qu’elle soit, en toute sécurité.

Et si certains juifs souhaitent partir pour Israël, il leur appartient de le décider librement et intimement, et de préférence pour des raisons positives. C’est le sens même de l’alya, le fait pour un juif de rejoindre Israël : « s’élever », par conviction ; et non par défaut. Mais il ne devrait pas y avoir à choisir : c’est cela la République française, le respect dans la différence.

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