MosaikHub Magazine
CRESFED / 31e numéro de la revue Rencontre

« Que nous apportent les élections ? »

mardi 20 janvier 2015

« Que nous apportent les élections ? » C’est la question à laquelle le numéro 31 de la revue haïtienne de société et de culture dénommée « Rencontre » apporte un éclairage par une série d’articles et de témoignages inédits. Le Centre de recherche et de formation économique et sociale pour le développement (CRESFED) a procédé, vendredi, à Canapé-Vert, à sa présentation autour du thème « Elections et dynamiques démocratiques en Haïti ».

C’est en présence de personnalités du monde universitaire, de chercheurs et intellectuels haïtiens et étrangers, d’hommes politiques, ainsi que des membres de la revue que le CRESFED a présenté vendredi le tout dernier numéro de la revue Rencontre. Cette présentation a été un prétexte pour organiser une conférence-débat très animée et très fructueuse sur certains articles de la revue. Un panel composé des professeurs Ginette Chérubin, Gotson Pierre et Hérold Toussaint sont intervenus sur des sujets portant notamment sur les élections et dynamiques démocratiques en Haïti et le financement des élections.

Une diversité de thématiques en rapport notamment aux élections, à l’économie, au sport, à la migration et à la question féminine, écrites par d’éminentes figures de l’intelligentsia haïtienne, enrichit les pages de ce numéro, qui se veut une contribution à la connaissance et à la diffusion des dossiers d’intérêt national. Mais les intervenants ont jeté leur dévolu sur des articles traitant particulièrement des questions électorales. Conjoncture oblige. C’est, selon Gotson Pierre qui estime que ce numéro est d’actualité, ce qui constitue la porte d’entrée sur ce numéro-phare de la revue.

« Que nous apportent les élections ? » Dès la présentation du document (p3), Ruth Myrtho Casséus plante le décor du présent numéro de Rencontre. Et c’est à cette question que celle-ci apporte un éclairage par une série d’articles et de témoignages de ses collaborateurs qui, pour la plupart, ont été des membres de Conseil électoral. Cette présentation de Ruth Myrtho est suivie d’une table ronde animée par la directrice du CRESFED, Suzy Castor, avec la participation de Jean-André Victor, Rosemond Pradel et Cary Hector.

Ces derniers soulèvent des questions, apportent des informations permettant de mieux comprendre les enjeux lors des joutes électorales en Haïti et de comprendre également l’implication et le jeu de la communauté internationale. « Dans les dernières élections de 2010, il se manifesta une ingérence inédite de l’international qui en assurera le financement, la sécurité, la logistique des opérations et, en plus, annonça, réalisa et proclama les résultats de ces élections », affirme Suzy Castor, qui relève quelques paradoxes qui ont caractérisé ces élections, dont « Etat faible mais gouvernement omniprésent ; une société fragilisée et des élections de plus en plus coûteuses ; élections nationales et tutelle internationale ».

Jean-André Victor parle pour sa part de régime électoral de tutelle, présentant quatre mécanismes pour s’expliquer, qui sont le recours à l’expertise internationale, le financement et le recours à l’arbitrage international. « Le dernier mécanisme, ajoute-t-il, c’est le jeu de la carotte et du bâton, pour vous porter à faire ou ne pas faire quelque chose. On peut annuler votre visa ou vous faire des menaces de natures diverses, selon que vous êtes vulnérables ou corrompus. »

Plus loin, l’agronome soutient qu’on ne peut pas, dans de telles conditions, avoir des élections libres, honnêtes et démocratiques dans le pays. « Comment demander à ceux qui exercent la tutelle de faciliter et de cautionner un processus électoral au bout duquel le gagnant sera celui qui va combattre la tutelle ? », se demande-t-il.

« Le processus électoral échappe au contrôle de l’Etat haïtien »

Dans ce numéro, on trouve également un ensemble de témoignages inédits. Des informations qui ne sont que des scoops mais, venant des ex-responsables de CEP, peuvent vous laisser sans voix. « En 2006, j’étais au Conseil électoral. La présence internationale était si forte que le Conseil lui-même n’avait aucun rôle. (…) Monsieur Bernard recevait son salaire de l’international qui lui dictait comment orienter la situation, témoigne, neuf ans plus tard, Rosemond Pradel, secrétaire général du Conseil électoral provisoire de 2006, (p.12). L’international a une influence extraordinaire sur les élections en Haïti pas seulement du point de vue de financement mais aussi de celui de l’orientation des résultats et du choix des différents candidats. »

D’après lui, les élections constituent une pomme de discorde et une source de crise qui ne datent pas d’hier. « La fraude, la corruption étaient toujours là. L’international était toujours là et aujourd’hui encore il est plus fort que jamais », explique l’ex-secrétaire de CEP, notant que le processus électoral échappe au contrôle de l’Etat haïtien après les élections de 1990. « Tandis que ces dernières étaient totalement financées par le Trésor public (4 millions de dollars) et étaient réalisées uniquement par des techniciens haïtiens compétents et sérieux… »

Cary Hector, lui, avance le concept de « démocratie formatée » pour expliquer la fragilité du pays par la problématique électorale. Il parle aussi d’un « système d’élections sous tutelle dans une démocratie sous surveillance ». De l’avis de M. Hector, « le système de gouvernement colonial direct est remplacé par la démocratie formatée, après la Seconde Guerre mondiale, affirmant que nous sommes dans une situation de tutelle qui ne dit pas son nom ».

Des propositions pour en reprendre le contrôle

Mais les intervenants ne se limitent pas à pointer le problème du doigt. Ils font aussi des propositions visant à changer la situation. C’est ainsi que Jean-André Victor suggère de partir du dialogue entre les partis pour arriver au dialogue national en invitant les autres secteurs, afin de sortir de ce régime électoral de tutelle.

Entre autres propositions, Rosemond Pradel croit, quant à lui, « qu’il faut reformater ce pays, la société et notre mode de fonctionnement, réaliser des élections sérieuses, crédibles nous permettant de choisir effectivement les dirigeants de qualité qui ont la capacité de mener ce pays à bon port ; soulignant qu’il s’agit là d’un exercice extrêmement compliqué.

En sus de cette table ronde autour des élections et la dynamique démocratique en Haïti, d’autres articles intéressants et enrichissants ornent les pages de ce numéro de la revue Rencontre du CRESFED. Citons à titre d’exemple « Histoire des élections en Haïti », de l’historien Georges Michel qui dresse un panorama des élections en Haïti de 1806 à nos jours et du contexte politique de ces élections. Il y a aussi « Financement et élections » où l’auteur – Jean Samuel Vincent – explique que le financement des élections est un acte éminent de souveraineté.

Entre autres papiers il y a « Des élections démocratiques sont-elles possibles aujourd’hui en Haïti ? » écrit par Freud Jean et « Les élections en Haïti : un droit politique bafoué » d’Antonal Mortimé, qui fait un état des lieux des différents CEP qu’a connus le pays depuis la promulgation de la Constitution de 1987 et fait aussi des propositions pour la réalisation d’élections acceptables en Haïti.

Lors de son intervention, le professeur Ginette Chérubin a salué le côté actuel de cette revue qui a été éditée en novembre 2014. « Des questions posées en novembre trouvent déjà leur réponse tandis que d’autres restent encore pendantes », a dit l’auteur de « Le ventre pourri de la bête ».

De son côté, le professeur Hérold Toussaint a mis l’accent sur ce qu’il appelle « la cohérence extraordinaire de ce numéro-phare de la revue ». D’après le docteur en sociologie, cette réalisation constitue une petite victoire des sciences sociales en Haïti. « Sans la recherche scientifique, ajoute-t-il, il n’y aura pas de décollage en Haïti. La question historique est fondamentale. Il n’y a pas que des salops dans le pays, il y a aussi de grandes figures », a-t-il déclaré saluant le travail des collaborateurs du 31e numéro de la revue Rencontre du CRESFED réalisé sous la direction de l’historienne Suzy Castor.

AUTEUR

Bertrand Mercéus

mbertrand@lenouvelliste.com


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie