MosaikHub Magazine

22 janvier 1888. Tentative d’assassinat de Louise Michel par un chouan illuminé

jeudi 22 janvier 2015

Prise de compassion pour son agresseur Pierre Lucas, l’héroïne de la Commune de Paris refuse de porter plainte contre lui.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

À 58 ans, la Vierge rouge est toujours sur la brèche. Rien ne peut étouffer ni la rage ni la flamme qui animent Louise Michel. L’héroïne de la Commune de Paris, celle qui a été la première à brandir le drapeau noir de l’anarchie, est revenue de sa déportation en Nouvelle-Calédonie plus militante que jamais. Elle multiplie les prises de parole. Le 22 janvier 1888, elle arrive au Havre pour donner deux grandes conférences publiques : la première, dans l’après-midi, au théâtre-concert la Gaîté, rue Royale. La deuxième, le même soir, dans la salle de l’Élysée. Le thème : "Les scandales et l’idée révolutionnaire". Son pain quotidien.

Si Louise a de fervents supporters, elle incarne le diable pour d’autres. Notamment pour Pierre Lucas, 32 ans, un Breton fervent catholique et un peu simplet. Il décide d’aller voir de ses propres yeux à quoi ressemble le diable en jupon. Il se rend à la première conférence, dont l’atmosphère est houleuse. Déchaînée, Louise traite le gouvernement de "ramassis de dupeurs et de voleurs". Des contradicteurs présents dans la salle hurlent et l’insultent. Certains disent qu’il faut la foutre à l’eau et qu’elle ne fait que s’enrichir à donner ce type de conférence. Débarquant de sa cambrousse, notre bon Lucas a le cerveau complètement retourné par l’ambiance. Il se prend pour le héros chargé de débarrasser la France de cette enragée qui hurle à la tribune. Il quitte la salle pour se rendre dans une armurerie où il acquiert un revolver. En route, il s’arrête pour écluser quelques verres avec des amis de rencontre qui le chauffent à blanc. Dans un état second, il se rend à la deuxième conférence de Louise Michel.

"Masque tragique"

La salle est bourrée à craquer avec 2 000 personnes. Les pro et les anti-Michel s’affrontent par des insultes, avec des chants. Sur l’estrade, la Vierge rouge poursuit son discours d’une voix monocorde : "Le capital doit disparaître, car les usines ne sont rien s’il n’y a pas d’ouvriers. Il faut que nous sortions de l’auge où chacun se pousse du coude. Nous y arriverons par l’instruction que les humbles et les pauvres ne peuvent avoir aujourd’hui." Elle poursuit en tirant à boulets noirs sur l’armée, sur les guerres.

Pierre Lucas, dont la raison vacille, prend ce discours comme une insulte. Il se lève pour demander la parole. L’oratrice le remarque et écrira plus tard dans ses Mémoires : "C’est un homme grand, au visage régulier et doux, comme empreint de douleur et de rêve, tellement que je dis aux amis près de moi : Cet homme a le masque tragique." Le président de la séance l’invite à rejoindre la tribune. Il commence à parler d’une façon incohérente : "Je ne vous parlerai pas dans un français bien rectal." (Sans doute fait-il référence à recteur et non pas à rectum.) "Je viens déclarer qu’il ne me semble pas admissible de donner 50 centimes à des orateurs qui nous traitent d’assassins et de voleurs ! Je suis breton, je n’ai jamais tué, ni volé !" poursuit-il.

Deux balles à bout portant

On le fait asseoir derrière Louise Michel qui reprend la parole, désireuse de raconter une anecdote. Seulement, derrière elle, le bon catholique Lucas se lève, esquisse un signe de croix et lui tire deux balles à bout portant. Sans doute Dieu est-il anarchiste ce soir-là, car elle ne sent qu’une petite brûlure qui lui fait lancer à la foule : "Ce n’est rien. C’est un imbécile qui a tiré à blanc." En fait, une balle s’est logée dans le temporal gauche, tandis que l’autre s’est fichée dans son chapeau, en arrachant au passage un bout du lobe de l’oreille. Deux médecins tentent en vain d’extraire la balle, mais, guère affectée, elle préfère rentrer à Paris dès le lendemain matin par le train. La première balle ne sera jamais extraite.

Juste après les coups de feu, les amis de Louise Michel sautent sur le dos du tireur pour le mettre hors d’état de nuire, avant de le livrer aux agents présents dans la salle. Lucas est aussitôt conduit à la maison d’arrêt du Havre. Le 28 janvier, il écrit à Louise Michel pour lui demander d’intercéder en sa faveur auprès des juges. À la surprise de certains, celle-ci ne se fait pas prier. La diablesse anarchiste a bon coeur, mais elle considère surtout son assassin comme une victime des curés et des bourgeois manipulateurs. Aussi prend-elle sa plus belle plume pour écrire aux juges : "Pierre Lucas n’est pas coupable, c’est nous qui serions criminels en le laissant condamner... Si sa mise en liberté tardait trop, je retournerais au Havre, et cette fois ma conférence n’aurait d’autre but que d’obtenir cette mesure de justice." Elle écrit même à l’épouse de Lucas : "Apprenant votre chagrin, je désirerais vous rassurer. Comme il est inadmissible que votre mari ait agi avec discernement, il est impossible qu’il ne vous soit pas rendu..." Elle va jusqu’à charger un avocat d’obtenir l’acquittement de Lucas, ce qu’il fait. Gangréné par la tuberculose, le chouan ne profite pas longtemps de sa liberté.C’est également arrivé un 22 janvier

1981 - La série Dallas fait sa première apparition à la télévision française.

1980 - Le physicien dissident Andreï Sakharov est arrêté et exilé à Gorki.

1970 - Le capitaine Bob Weeks effectue le premier vol commercial à bord d’un B747 de la Panam, entre New York et Londres.

1963 - De Gaulle et Adenauer signent le traité de l’Élysée, traité d’amitié entre les peuples français et allemand.

1923 - L’anarchiste Germaine Berton assassine Marius Plateau, secrétaire général de la Ligue d’Action française.

1901 - Décès de la reine Victoria, après un règne de 63 ans.

1892 - Asa Griggs Candler fonde The Coca-Cola Company, après en avoir acheté le nom et la formule à John Pemberton.

1506 - Le pape Jules II crée la garde suisse pontificale, aujourd’hui, la plus petite et plus vieille armée au monde.
Deux ans après sa tentative avortée d’assassinat, c’est lui qui meurt.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie