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Les zones d’ombre d’un voyage « privé » à Damas

jeudi 26 février 2015

Les parlementaires français, qui ont rencontré mercredi 25 février le président syrien, Bachar Al-Assad, à Damas, contre l’avis du Quai d’Orsay, devaient rentrer ce jeudi sur Paris, avec le sentiment d’avoir ouvert un débat, jusque-là impossible, sur la politique syrienne de la France.

« Juppé puis Fabius [ancien et actuel ministre des affaires étrangères] n’ont cessé de nous dire que Bachar était sur le point de tomber, lâche Jacques Myard, député UMP des Yvelines, rencontré mercredi soir dans un hôtel de Beyrouth, peu après sa sortie de Syrie. Or, quatre ans après le début de la crise, il est toujours là. Qu’on le veuille ou non, il est un élément du règlement politique à venir. »

« Un petit pas »

Franc-tireur bien connu de l’Hémicycle, souverainiste patenté, le maire de Maisons-Laffitte soutient que la montée en puissance des mouvements djihadistes en Syrie, comme le groupe Etat islamique (EI), impose de renouer le dialogue avec Damas. « La guerre a changé de nature. Daech [acronyme arabe de l’EI] est un cancer qui métastase. Bachar n’est certes pas un poussin du jour. Mais le propre de la diplomatie, c’est de parler aux gens que l’on n’aime pas. »

M. Myard, comme les deux autres parlementaires qui ont participé à la rencontre avec M. Assad, le sénateur de centre droit François Zocchetto et son collègue Jean-Pierre Vial, président du groupe d’amitié France-Syrie à la chambre haute, ont refusé de dévoiler ce qui s’est dit durant cette entrevue d’une heure. Ils réservent la primeur de ces échanges aux autorités françaises.

« Je condamne totalement ce déplacement. Bachar n’est pas un dictateur, c’est un boucher », a déclaré Jean-Christophe Cambadélis, premier secrétaire du PS


Syrie : des parlementaires français rencontrent... by lemondefr

Le député PS Gérard Bapt, président du groupe d’amitié France-Syrie à l’Assemblée nationale, à l’initiative de cette mission « privée », affirme n’avoir pas assisté à la rencontre avec le chef d’Etat syrien, conformément à un engagement pris avant son départ, avec le Quai d’Orsay. Des images le montrent cependant monter les marches de la présidence, tout sourire, en compagnie de ses confrères français. Soucieux de ne pas trop froisser ses camarades socialistes au gouvernement, M. Bapt a gardé un profil bas durant la visite, à rebours des déclarations bruyantes de M. Myard. « C’est un petit pas, un premier pas, confiait-il mercredi soir, les traits tirés, dans le hall de l’hôtel de Beyrouth. Si on peut apporter quelque chose pour diminuer les souffrances, ce sera un bon résultat. »

Mercredi, le porte-parole du gouvernement, Stéphane Le Foll, s’est une nouvelle fois dissocié de la démarche des parlementaires. « C’est une initiative qui n’est en aucun cas une initiative officielle de la France », a-t-il insisté.

Plusieurs zones d’ombre planent sur ce déplacement, lui conférant un parfum assez différent des intentions affichées par MM. Myard et Bapt. Les clichés de la rencontre avec M. Assad diffusés par les autorités syriennes montrent que les trois parlementaires n’étaient pas les seuls hôtes français du président syrien. Trois autres participants sont mentionnés sur le compte Facebook de la présidence syrienne : MM. Stéphane Ravion, Patrick Barraquand et Jérôme Toussaint. Le premier est décrit par Damas comme un « conseiller sécuritaire de l’ambassade de France à Beyrouth ». Un titre usurpé selon la représentation française au Liban, qui affirme que M. Ravion ne fait pas partie de son personnel.

Lire les réactions : La visite d’élus à Al-Assad est une « faute morale », selon Valls

« Boucher »

Sur son compte LinkedIn, l’intéressé, ancien journaliste qui fut le compagnon de la sœur du roi du Maroc, se présente de fait comme « conseiller en affaires stratégiques », qui partage son temps entre Bagdad et Beyrouth. Sa présence dans la délégation n’est pas sans rappeler les barbouzes et « apporteurs d’affaires » qui avaient accompagné le député UMP Didier Julia dans sa folklorique équipée, en 2004, visant à libérer les journalistes français Christian Chesnot et Georges Malbrunot, retenus otages en Irak.

M. Patrick Barraquand est présenté par Damas comme un « inspecteur général du ministère de la défense français » et le « secrétaire général de la commission gouvernemental pour l’Union pour la Méditerranée » (UPM). Deux imputations erronées là encore.

S’il a bien été la cheville ouvrière de la mission interministérielle de l’UPM, ce proche de Nicolas Sarkozy et Henri Guaino a été recasé en 2012, après la défaite électorale de l’ancien président de la République, à Bercy, où il occupe un poste de contrôleur général économique et financier. Par le passé, M. Barraquand a travaillé dans des entreprises d’armement, Eurocopter et Safran, notamment à Moscou.

Le Monde a pu identifier le troisième participant non parlementaire à l’étrange réunion de Damas. Il s’agit de Jérôme Tousaint, âgé d’une quarantaine d’années et étiqueté à droite, il a travaillé dans les années 2000 à l’association des maires de France et au cabinet du maire de Sceaux, dans les Hauts de Seine. Aux législatives de 2012, il a été le suppléant d’une candidate UMP, à Saint-Nazaire, qui a été battue au premier tour. La raison de sa présence dans le sillage des parlementaires français n’est pas connue. « Ces gens ne représentent pas le gouvernement, ils n’avaient aucune mission, ils n’étaient porteurs d’aucun message », affirme Romain Nadal, le porte-parole du Quai d’Orsay.

Ni M. Myard ni M. Bapt n’ont donné suite aux demandes d’explication du Monde. En quelle qualité MM. Ravion et Barraquand ont-ils accompagné les élus français jusque dans le salon de réception de M. Assad ? Pourquoi ces hommes au pedigree mêlant business et sécurité ont-ils intégré une mission qui se voulait diplomatique ? Ces questions promettent de compliquer encore un peu plus le retour en France des parlementaires, dont le voyage a suscité de nombreuses critiques.

Le premier secrétaire du PS, Jean-Christophe Cambadélis, a d’ores et déjà promis de prendre des sanctions contre M. Bapt. « Je condamne totalement ce déplacement, a-t-il déclaré. Bachar n’est pas un dictateur, c’est un boucher. »


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