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Le courage de Miyagi

jeudi 12 mars 2015

En Haïti, le nom de Miyagi réfère à un personnage du film Karaté Kid. Le professeur, dans cette saga, a toutes les qualités. Au Japon, Miyagi est avant tout le nom d’une préfecture, l’équivalent de nos départements géographiques. Lors de la catastrophe du 11 mars 2011, Miyagi et deux autres préfectures, Iwate et Fukushima, ont été sévèrement affectées. A un séisme d’amplitude 9 sur l’échelle de Richter, ont succédé un tsunami et un accident nucléaire à Fukushima.

J’ai retrouvé ma mère après le séisme sous les décombres. Elle était coincée. Une jambe entravée. J’ai essayé de la dégager. Je n’ai pas pu. Quand l’alerte au tsunami a retenti, nous nous sommes dit adieu. Le cœur déchiré, j’ai dû la laisser. Je n’ai pas revu ma mère vivante », a déclaré Sayaka Sugawara, 19 ans, originaire de la ville de Ishinomaki, dans la préfecture de Miyagi.

Donnant dos à la salle du Théâtre national de Tokyo, mais faisant face au monument temporaire élevé à la mémoire des victimes, comme tous ceux qui prendront la parole ce mercredi, la représentante des disparus de la préfecture de Miyagi lit son message de témoignage et de douleur.

Deux autres parents de victimes, rescapés eux-mêmes de la tragédie, sont à ses côtés. L’empereur Akihito et l’impératrice Michiko sont à quelques pas. L’assistance, composée du Premier ministre Shinzo Abe, des ministres, de tous les élus, de dignitaires, du corps diplomatique et de représentants de victimes, retient son souffle.

Pas un mot. Pas un cri. Pas un sanglot. Tout semble pétrifié alors que se déroule la chorégraphie parfaite de la cérémonie du souvenir à la mémoire des victimes du Great Eastern Earthquake comme on nomme au Japon la catastrophe du 11 mars 2011.

C’est à 2h 40 de l’après-midi que le 125e empereur du Japon a fait son entrée dans la salle bondée. Akihito portait une veste queue de pie noire sur un pantalon gris à fines rayures . Un pas derrière lui, son épouse Michiko, l’impératrice, en tenue traditionnelle japonaise, kimono traditionnel blanc cassé et noir le suit.

L’assistance se lève. Se courbe. Fait la révérence. Leurs majestés saluent. Se recueillent devant le poteau recouvert de caractères en écriture japonaise surmonté du drapeau du pays du Soleil-Levant. L’étendard flotte. Il fait partie de l’installation, sans y toucher. Le blanc et le vert dominent grâce aux milliers de chrysanthèmes qui ornent le décor de deuil : un mur de fleurs.

Depuis plus d’une heure, selon l’ordre protocolaire strict, les invités se sont installés. Dans un silence empreint de recueillement, tout le monde a attendu. Le ballet soyeux des attachés de sécurité et autres aides est impressionnant. L’orchestre militaire reprend sans fin une lancinante musique. Cela calme, détend l’atmosphère.

Même les notes de l’hymne national nippon n’y change rien. Pas un photographe ni un cameraman ne se déplace de là où on l’a fixé. Personne dans le public ni parmi les officiels ne prend la scène en photo à l’aide de son téléphone portable. Pas un serviteur zélé ne s’impose. Tout est réglé. Comme du papier à musique.

A 2h 46 p.m., comme le jour du 11 mars quand la triple catastrophe a frappé, une minute de silence est observée. Tout le monde se recueille pendant 60 secondes. Quand l’empereur du Japon prend la parole pour adresser ses condoléances, sa voix, pour ceux qui ne l’ont jamais entendue, résonne comme sortie d’un autre siècle.

L’empereur dit : « Quatre ans ont passé depuis le Great Eastern Earthquake. Ensemble avec les gens réunis ici aujourd’hui, je tiens à exprimer mes plus sincères condoléances à ceux qui ont perdu leur vie dans la catastrophe et leurs familles endeuillées. »

Avant de poursuivre : « Il y a quatre ans aujourd’hui, l’est du Japon a été frappé par un énorme séisme et un tsunami, qui ont fait plus de vingt mille morts ou disparus. Nous ne pouvons pas oublier l’image du tsunami terrifiant que nous avons vu à la télévision ce jour-là. »

Sa Majesté est suivie du Premier ministre Abe. Comme son empereur, le chef du gouvernement japonais est en grande tenue de cérémonie à l’européenne, longue veste noire à jaquette sur pantalon rayé gris. Son déplacement est assuré. Ses mouvements marqués. Ses révérences, devant leurs majestés et devant le monument, parfaites.

Pour le Premier ministre « la calamité qui a entraîné le tremblement de terre a été une crise nationale sans précédent. Cependant, nos ancêtres ont surmonté de nombreuses difficultés et, à chaque fois, se sont levés beaucoup plus fortes. Nous devons tous suivre leurs traces […] », a déclaré, sur un ton résolu, le chef du gouvernement nippon.

Le chef du gouvernement promet « de procéder à la construction d’une nation forte, résistante aux catastrophes. Afin de rendre l’impact des catastrophes futures aussi limité que possible, j’aimerais prendre un engagement solide ici de faire des efforts unifiés pour utiliser les dernières connaissances afin de fournir des mesures globales de prévention des catastrophes ».

« En terminant, je vous offre une fois de plus mes plus sincères condoléances à tous ceux qui ont perdu leur vie dans le grand séisme de l’est du Japon », a lancé ce dernier, mais bien avant, il a fait remarquer que « les dégâts causés par le tremblement de terre et le tsunami nous ont appris la nécessité d’exercices d’évacuation réguliers et d’éducation pour prévenir les dommages causés par le tsunami. Il est important pour nous de ne jamais oublier ce que nous avons appris et de transmettre les leçons aux générations futures, et continuons de nous efforcer à faire de notre pays un endroit plus sûr ».

Les autres hauts dignitaires, président du Parlement, de la Haute Cour de Justice et des parents font aussi leur discours.

Ensuite, c’est toute la salle qui se rend sur le podium officiel pour déposer une offrande florale sur une grande table dressée à cet effet après le départ de l’empereur. D’ailleurs, tout le monde quitte la salle après l’offrande dans l’ordre de préséance qui avait rempli le théâtre.

Dix journalistes venus de pays ayant connu des catastrophes naturelles ces dernières années ferment le ban des quelque 1 200 invités triés sur le volet ayant participé à la cérémonie officielle. Chacun dépose un chrysanthème et salue la mémoire, mais aussi le courage, des victimes des trois préfectures de Iwate, de Fukushima et de Miyagi, les plus affectées le 11 mars 2011.

Quand le dernier invité franchit la porte, les services de sécurité ouvrent la salle pour recevoir les Japonais qui font la queue depuis des heures pour eux aussi rendre hommage. Dans tout le pays, des cérémonies se sont tenues ce 11 mars alors que le Japon s’apprête à accueillir le monde entier pour la 3e conférence des Nations unies sur la réduction des risques à Sendai, non loin de l’épicentre de la catastrophe.

Ce 11 mars 2015, le Japon s’est souvenu du séisme, du tsunami et de la catastrophe nucléaire de Fukushima et des 15 891 morts, des 2 584 disparus, des 3 222 décès liés indirectement au séisme et aux 228 863 évacués. Les plus hautes autorités se sont excusées que tout ne soit pas encore revenu à la normale pour tous et ont pris l’engagement de redoubler d’efforts pour reconstruire mais surtout pour que des conditions similaires ne conduisent pas à autant de destructions.

AUTEUR

Frantz Duval Tokyo


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