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23 mars 1801. À demi-dément, le tsar Paul Ier est étranglé par ses officiers

lundi 23 mars 2015

Quatre ans après son accession au trône, le fils de Catherine II est assassiné par son entourage qui ne supporte plus ses lubies.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 23 mars 1801, à minuit, les deux généraux Léonce Bennigsen et Yashvil, à la tête d’une douzaine d’officiers, pénètrent dans le palais Saint-Michel du tsar Paul Ier. Ils ont bu beaucoup de champagne. Ils sont à moitié ivres, comme tout bon Russe, mais pleinement décidés. Ils se faufilent dans les couloirs sombres du palais endormi jusqu’à la porte de la chambre à coucher du tsar. Le garde posté devant n’a pas le temps de s’étonner de leur présence à cette heure tardive que le comte Nicolas Zoubov l’étend à terre d’un coup d’épée à la tête. Le hussard qui ouvre la porte de l’antichambre subit aussitôt le même sort.

Ces hommes sont venus assassiner le tsar Paul Ier ! Ils se regardent une dernière fois. L’alcool les rend téméraires. Oui, ils sont bien d’accord pour se débarrasser de ce pingouin qui mène la Russie à la catastrophe. L’un des conjurés, un habitué du palais, s’adresse à travers la porte de la chambre au valet du tsar pour lui demander d’ouvrir. Le malheureux obtempère. Le remue-ménage alerte le tsar, qui tente de s’échapper par une trappe secrète menant aux appartements de son épouse. Pas de chance : elle est verrouillée. Paniqué, il se cache derrière un rideau.

En découvrant le lit vide, les conspirateurs se disent que l’oiseau s’est envolé du nid. Mais en constatant la tiédeur des draps, le général Bennigsen ordonne de fouiller la pièce. Il aperçoit les pieds du tsar dépasser sous le rideau. "Il est là !" s’exclame-t-il. On le traîne sans ménagement devant une table où le général Zoubov lui demande de signer la renonciation au trône qu’il sort de son habit. Apeuré, le tsar a pourtant la force de refuser. "Non, non je ne signe pas." Les conjurés insistent. Il persiste. Il faut faire vite, car des bruits se font entendre dans le reste du palais. Son épée à la main, Bennigsen s’adresse une nouvelle fois au tsar : "Sire, vous êtes mon prisonnier, votre règne s’achève. Signez immédiatement l’acte d’abdication en faveur du grand-duc Alexandre."

Paul Ier est dingue

Si cette poignée d’hommes osent défier le fils de Catherine II de Russie, c’est parce qu’ils ont une excellente raison. C’est bien simple : Paul Ier est dingue ! Pas au point de se prendre pour Poutine, mais c’est tout comme... Dès son accession au trône, en 1797, il manifeste d’étranges lubies. Haïssant sa mère qui avait tenté de le court-circuiter en faisant d’Alexandre son héritier, il s’entête à détruire tout ce qu’elle a construit durant son règne. Il décide de mettre au pas la noblesse, qu’il juge dépravée et corrompue. Ainsi, il interdit la valse, la jugeant trop osée. Il prohibe les pantalons courts, les bottes à revers et les chapeaux ronds. Bretons ou pas. Ayant une sainte horreur du désordre de la Révolution française, il interdit de prononcer certains mots comme citoyen, club, société et révolution. Il renvoie des ministres hypercompétents sans aucune justification. Il ordonne aux cosaques d’envahir l’Inde. Sans compter une vanité démesurée, de brusques accès de rage et une paranoïa qui horripile son entourage. On lui prête la phrase suivante : "N’est grand en Russie que celui à qui je parle, et uniquement pendant que je lui parle." Bref, après quatre ans d’un règne délirant, l’aristocratie russe veut se débarrasser de ce fou.

Le comte Pierre Alexandre Pahlen, gouverneur de Saint-Pétersbourg, le général Bennigsen, originaire du Hanovre, et les deux frères Zoubov, de retour d’exil, fomentent un complot auquel adhèrent une cinquantaine d’officiers et d’aristocrates. Mais rien ne peut être tenté sans l’assentiment du tsarévitch Alexandre. Comme celui-ci tergiverse, le rusé Pahlen lui jure, la main sur le coeur, qu’il n’est pas question de tuer son père, mais seulement de l’obliger à abdiquer. Le prince accepte du bout des lèvres. Le coup d’État est programmé pour le 23 mars 1801. Ce soir-là, Palhen réunit les comploteurs pour un dîner dans son palais. Pour se donner du courage, on boit beaucoup de champagne.

Trop tard pour reculer

Le tsar Paul 1er saisit l’acte d’abdication que lui tend Bennigsen, mais au lieu de le signer, il le froisse avant de le jeter à terre. Voyant cela, le prince Platon Zoubov se met à hurler : "Vous n’êtes plus le tsar, c’est Alexandre notre souverain." Furieux de se faire engueuler, le tsar ne peut s’empêcher de frapper Zoubov. Stupeur parmi les insurgés. Il faut agir. Le bruit des armes se rapproche de plus en plus de la chambre. Certains veulent s’enfuir, mais Bennigsen les retient. "Désormais, il est trop tard pour reculer !" Le général Yashvil s’en mêle : "Prince (Zoubov), assez parlé. Maintenant, il va signer ce que vous voulez et demain nos têtes rouleront sur l’échafaud."

Il faut aller jusqu’au bout. Assassiner le tsar. Celui-ci n’est pas d’accord. Il plaide sa cause, parle de plus en plus fort. Il supplie d’être épargné. Le comte Nicolas Zoubov, frère de l’autre, tape sur la main du tsar en lui demandant pourquoi il crie tant. Une mêlée s’ensuit. Finalement, Zoubov empoigne une tabatière en or massif pour frapper Paul à la tempe gauche. Le coup est si brutal que la victime tombe inconsciente sur le plancher. Panique ! Certains insurgés se précipitent sur Zoubov pour lui arracher l’épée qu’il a déjà empoignée, tandis que d’autres jettent Paul Ier inconscient sur le lit. C’est un garde nommé Yakov Skaryatin qui l’étrangle avec un foulard. Plus tard, Bennigsen prétendra être sorti de la chambre durant l’assassinat pour aller chercher un flambeau, celui de la chambre ayant été éteint par mégarde.

Le crime commis, les comploteurs sortent de la chambre en annonçant que le tsar est mort subitement d’apoplexie. Nicolas Zoubov court avertir Alexandre dans sa chambre qu’il est désormais le nouveau tsar. "Il est temps de grandir. Gouvernez !" Celui-ci s’empresse d’aller avertir sa mère, qui s’évanouit en apprenant la nouvelle. Quand elle reprend ses esprits, elle refuse de se soumettre à son fils, voulant succéder à son époux. Mais il lui faut céder. Alexandre se rend alors dans la chambre de son père, où il soulève le chapeau qui lui cache la figure. Il découvre la blessure à la tempe. Stupeur silencieuse. Sa mère se tourne vers lui avec une profonde tristesse sur le visage en lui disant : "Félicitation, ce jour, vous êtes le nouveau tsar." À ces mots, Alexandre s’effondre, inconscient, sur le sol

C’est également arrivé un 23 mars

1983 - Ronald Reagan annonce à la télévision l’initiative de défense stratégique (guerre des Étoiles).

1965 - Premier vol habité de la capsule Gemini avec Grissom et Young.

1954 - Fondation de l’association Emmaüs par l’abbé Pierre.

1953 - Mort d’une crise cardiaque de Raoul Dufy à Forcalquier.

1933 - Le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler.

1857 - Elisha Otis inaugure le premier ascenseur installé dans un grand magasin, à New York

1842 - Mort de Stendhal, à Paris.

1840 - John Draper prend la première photo d’un astre, la Lune.

1782 - Mise en vente des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclo

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 23 mars 1801, à minuit, les deux généraux Léonce Bennigsen et Yashvil, à la tête d’une douzaine d’officiers, pénètrent dans le palais Saint-Michel du tsar Paul Ier. Ils ont bu beaucoup de champagne. Ils sont à moitié ivres, comme tout bon Russe, mais pleinement décidés. Ils se faufilent dans les couloirs sombres du palais endormi jusqu’à la porte de la chambre à coucher du tsar. Le garde posté devant n’a pas le temps de s’étonner de leur présence à cette heure tardive que le comte Nicolas Zoubov l’étend à terre d’un coup d’épée à la tête. Le hussard qui ouvre la porte de l’antichambre subit aussitôt le même sort.

Ces hommes sont venus assassiner le tsar Paul Ier ! Ils se regardent une dernière fois. L’alcool les rend téméraires. Oui, ils sont bien d’accord pour se débarrasser de ce pingouin qui mène la Russie à la catastrophe. L’un des conjurés, un habitué du palais, s’adresse à travers la porte de la chambre au valet du tsar pour lui demander d’ouvrir. Le malheureux obtempère. Le remue-ménage alerte le tsar, qui tente de s’échapper par une trappe secrète menant aux appartements de son épouse. Pas de chance : elle est verrouillée. Paniqué, il se cache derrière un rideau.

En découvrant le lit vide, les conspirateurs se disent que l’oiseau s’est envolé du nid. Mais en constatant la tiédeur des draps, le général Bennigsen ordonne de fouiller la pièce. Il aperçoit les pieds du tsar dépasser sous le rideau. "Il est là !" s’exclame-t-il. On le traîne sans ménagement devant une table où le général Zoubov lui demande de signer la renonciation au trône qu’il sort de son habit. Apeuré, le tsar a pourtant la force de refuser. "Non, non je ne signe pas." Les conjurés insistent. Il persiste. Il faut faire vite, car des bruits se font entendre dans le reste du palais. Son épée à la main, Bennigsen s’adresse une nouvelle fois au tsar : "Sire, vous êtes mon prisonnier, votre règne s’achève. Signez immédiatement l’acte d’abdication en faveur du grand-duc Alexandre."

Paul Ier est dingue

Si cette poignée d’hommes osent défier le fils de Catherine II de Russie, c’est parce qu’ils ont une excellente raison. C’est bien simple : Paul Ier est dingue ! Pas au point de se prendre pour Poutine, mais c’est tout comme... Dès son accession au trône, en 1797, il manifeste d’étranges lubies. Haïssant sa mère qui avait tenté de le court-circuiter en faisant d’Alexandre son héritier, il s’entête à détruire tout ce qu’elle a construit durant son règne. Il décide de mettre au pas la noblesse, qu’il juge dépravée et corrompue. Ainsi, il interdit la valse, la jugeant trop osée. Il prohibe les pantalons courts, les bottes à revers et les chapeaux ronds. Bretons ou pas. Ayant une sainte horreur du désordre de la Révolution française, il interdit de prononcer certains mots comme citoyen, club, société et révolution. Il renvoie des ministres hypercompétents sans aucune justification. Il ordonne aux cosaques d’envahir l’Inde. Sans compter une vanité démesurée, de brusques accès de rage et une paranoïa qui horripile son entourage. On lui prête la phrase suivante : "N’est grand en Russie que celui à qui je parle, et uniquement pendant que je lui parle." Bref, après quatre ans d’un règne délirant, l’aristocratie russe veut se débarrasser de ce fou.

Le comte Pierre Alexandre Pahlen, gouverneur de Saint-Pétersbourg, le général Bennigsen, originaire du Hanovre, et les deux frères Zoubov, de retour d’exil, fomentent un complot auquel adhèrent une cinquantaine d’officiers et d’aristocrates. Mais rien ne peut être tenté sans l’assentiment du tsarévitch Alexandre. Comme celui-ci tergiverse, le rusé Pahlen lui jure, la main sur le coeur, qu’il n’est pas question de tuer son père, mais seulement de l’obliger à abdiquer. Le prince accepte du bout des lèvres. Le coup d’État est programmé pour le 23 mars 1801. Ce soir-là, Palhen réunit les comploteurs pour un dîner dans son palais. Pour se donner du courage, on boit beaucoup de champagne.

Trop tard pour reculer

Le tsar Paul 1er saisit l’acte d’abdication que lui tend Bennigsen, mais au lieu de le signer, il le froisse avant de le jeter à terre. Voyant cela, le prince Platon Zoubov se met à hurler : "Vous n’êtes plus le tsar, c’est Alexandre notre souverain." Furieux de se faire engueuler, le tsar ne peut s’empêcher de frapper Zoubov. Stupeur parmi les insurgés. Il faut agir. Le bruit des armes se rapproche de plus en plus de la chambre. Certains veulent s’enfuir, mais Bennigsen les retient. "Désormais, il est trop tard pour reculer !" Le général Yashvil s’en mêle : "Prince (Zoubov), assez parlé. Maintenant, il va signer ce que vous voulez et demain nos têtes rouleront sur l’échafaud."

Il faut aller jusqu’au bout. Assassiner le tsar. Celui-ci n’est pas d’accord. Il plaide sa cause, parle de plus en plus fort. Il supplie d’être épargné. Le comte Nicolas Zoubov, frère de l’autre, tape sur la main du tsar en lui demandant pourquoi il crie tant. Une mêlée s’ensuit. Finalement, Zoubov empoigne une tabatière en or massif pour frapper Paul à la tempe gauche. Le coup est si brutal que la victime tombe inconsciente sur le plancher. Panique ! Certains insurgés se précipitent sur Zoubov pour lui arracher l’épée qu’il a déjà empoignée, tandis que d’autres jettent Paul Ier inconscient sur le lit. C’est un garde nommé Yakov Skaryatin qui l’étrangle avec un foulard. Plus tard, Bennigsen prétendra être sorti de la chambre durant l’assassinat pour aller chercher un flambeau, celui de la chambre ayant été éteint par mégarde.

Le crime commis, les comploteurs sortent de la chambre en annonçant que le tsar est mort subitement d’apoplexie. Nicolas Zoubov court avertir Alexandre dans sa chambre qu’il est désormais le nouveau tsar. "Il est temps de grandir. Gouvernez !" Celui-ci s’empresse d’aller avertir sa mère, qui s’évanouit en apprenant la nouvelle. Quand elle reprend ses esprits, elle refuse de se soumettre à son fils, voulant succéder à son époux. Mais il lui faut céder. Alexandre se rend alors dans la chambre de son père, où il soulève le chapeau qui lui cache la figure. Il découvre la blessure à la tempe. Stupeur silencieuse. Sa mère se tourne vers lui avec une profonde tristesse sur le visage en lui disant : "Félicitation, ce jour, vous êtes le nouveau tsar." À ces mots, Alexandre s’effondre, inconscient, sur le sol

C’est également arrivé un 23 mars

1983 - Ronald Reagan annonce à la télévision l’initiative de défense stratégique (guerre des Étoiles).

1965 - Premier vol habité de la capsule Gemini avec Grissom et Young.

1954 - Fondation de l’association Emmaüs par l’abbé Pierre.

1953 - Mort d’une crise cardiaque de Raoul Dufy à Forcalquier.

1933 - Le Reichstag vote les pleins pouvoirs à Hitler.

1857 - Elisha Otis inaugure le premier ascenseur installé dans un grand magasin, à New York

1842 - Mort de Stendhal, à Paris.

1840 - John Draper prend la première photo d’un astre, la Lune.

1782 - Mise en vente des Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclo


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