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Le Rapport Karski. Une voix qui résonne comme une source

vendredi 27 mars 2015

Résumés

En 1977, Claude Lanzmann et son équipe ont retrouvé le résistant polonais Jan Karski. Fin 1978, après plus de trente années de silence, Karski accepte d’être filmé à son domicile pendant deux jours. Dans Shoah (1985), Claude Lanzmann octroie trente-neuf minutes à ce témoignage. En 2010, le réalisateur a repris l’entretien original pour réaliser un nouveau film, Le Rapport Karski, diffusé sur la chaîne franco-allemande Arte. À vingt-cinq ans d’intervalle, Shoah et Le Rapport Karski ont été perçus comme des documentaires, c’est-à-dire comme des films donnant un accès le plus direct possible aux paroles des témoins. Si, dans les deux cas, le réalisateur affirme son souhait de transmettre la « vérité », tant les propos qu’il a tenus au sujet de ses films que les choix visuels qu’il a effectués diffèrent. Il apparaît ainsi que la transmission de la vérité à laquelle aspire le réalisateur prend des formes distinctes selon le contexte de réalisation et questionne ainsi plus généralement la part de la médiation dans la réalisation d’un film dit documentaire.

Plan
Jan Karski dans Shoah

Shoah : une fiction du réel

Le Rapport Karski : la vérité immédiate ?

Du témoignage filmé à la publication

L’auteur tient à remercier Christian Delage, André Gunthert et Thierry Gervais pour leurs conseils et Fanny Lautissier pour son attention toujours bienveillante.

« J’en ai décidé ainsi car il m’a semblé absolument nécessaire de rétablir la vérité. »

Claude Lanzmann, texte introductif au film Le Rapport Karski, 2010

1 Il est également possible que cet entretien se soit déroulé début 1979. Claude Lanzmann cite ces de (...)
2 Cf. David Engel, « He had been chosen, for this mission mainly because of his apolitical background (...)
3 Dans ses rapports oraux effectués pendant la guerre, ainsi que dans ses mémoires publiées en 1944 ( (...)
4 Pour une biographie de Jan Karski, voir T. E. Wood et S. M. Jankowski, Karski, How One Man Tried to (...)
5 On acceptera comme convention qu’un chapitre correspond à la prise de parole d’un témoignant (comme (...)

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En 1977, alors qu’ils réalisaient le film Shoah, Claude Lanzmann et son équipe ont retrouvé le résistant polonais Jan Karski. Fin 19781, après plus de trente années de silence, Karski accepte d’être filmé à son domicile pendant deux jours (fig. 1). L’entretien porte sur son activité d’agent de liaison entre l’Armée de l’intérieur – l’Armia Krajowa – et le gouvernement polonais en exil2 ; Karski raconte sa rencontre avec deux leaders juifs, à la demande desquels il s’est rendu dans le ghetto de Varsovie, puis dans un camp qu’il croyait être celui de Belzec3. Il évoque ensuite la manière dont il a transmis les informations en sa possession aux dirigeants des pays alliés et notamment au Président Franklin Delano Roosevelt le 28 juillet 19434. En 1985, Claude Lanzmann octroie 39 minutes5 – des plus de 9 heures que dure Shoah – à ce témoignage. Dans ce film choral qui donne la parole à des Juifs persécutés, des Allemands persécuteurs et des témoins polonais, Karski est le seul Polonais catholique à parler longuement de l’aide qu’ils ont apporté aux Juifs. En 2010, Claude Lanzmann reprend l’entretien original pour réaliser un autre film, Le Rapport Karski (52 min), diffusé le 17 mars sur la chaîne franco-allemande Arte.

6 Yannick Haenel, Jan Karski, roman, Paris, Gallimard, 2009. À ce titre, on peut lire l’article suiva (...)
7 .Haenel indique dans l’incipit de son ouvrage : « […] les scènes, les phrases et les pensées [attri (...)

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Entre janvier et avril 2010, une controverse oppose le réalisateur à Yannick Haenel, auteur du roman intitulé Jan Karski6. C’est moins le sujet du livre que sa structure tripartite et le point de vue défendu par son auteur que Claude Lanzmann juge problématiques. Dans la première partie, le romancier reprend et s’approprie le témoignage du courrier de la résistance polonaise tel que présenté dans Shoah. Dans la deuxième partie, il prend comme fil conducteur l’autobiographie de Karski, publiée pendant la Seconde Guerre mondiale. Enfin, dans la troisième partie, Haenel prête au résistant polonais ses propres idées. C’est la description romancée du rapport oral de Karski auprès de Roosevelt qui a cristallisé la polémique. Claude Lanzmann reproche à l’auteur la désinvolture de son style et conteste la responsabilité attribuée au président américain dans la destruction des Juifs d’Europe ; l’ouvrage en général et cette description en particulier lui apparaissent anachroniques et irrespectueux des faits passés et des acteurs de l’histoire. Deux visions de la transmission du témoignage de Karski s’opposent alors. Pour Lanzmann, seuls les propos recueillis auprès du témoin en 1978 permettent d’établir la vérité. Haenel insiste au contraire sur la liberté d’interprétation liée à l’écriture d’une fiction7. La polémique porte ainsi, de manière assez classique, sur le rapport à la vérité qu’entretiennent le documentaire et la fiction.

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Pour « rétablir la vérité », Claude Lanzmann réalise donc Le Rapport Karski à partirdes entretiens avec le résistant polonais enregistrés en 1978. À vingt-cinq ans d’intervalle, Shoah et Le Rapport Karski ont été perçus comme des documentaires, c’est-à-dire (suivant le sens commun) comme des films donnant un accès le plus direct possible aux paroles des témoins. Si, dans les deux cas, le réalisateur affirme son souhait de transmettre la « vérité », tant les propos qu’il a tenus au sujet de ses films que les choix visuels qu’il a effectués diffèrent. Il apparaît donc que la transmission de la vérité à laquelle aspire le réalisateur prend des formes distinctes selon le contexte de réalisation et questionne ainsi plus généralement la part de la médiation dans la réalisation d’un film dit documentaire.

Jan Karski dans Shoah

8 C. Lanzmann, “Le lieu et la parole”, in Michel Deguy (dir.), Au sujet de Shoah, Paris, Belin, 1990, (...)

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Au terme documentaire, Claude Lanzmann et son équipe préfèrent l’expression « fiction du réel8 » pour qualifier le film Shoah. Lanzmann a toujours insisté sur le fait que, dans Shoah, la vérité tient plus à l’architecture globale du film qu’à un témoignage en particulier. Dans Les Cahiers du cinéma de juillet-août 1985, il explique alors :

9 Ibid., p. 302

« Il y avait des exigences de contenu (des choses capitales que je tenais à dire) et des exigences de forme, d’architecture, qui font qu’il a cette durée-là. […] il y a des choses magnifiques [qui n’ont pas été montées]. Ça m’a arraché le cœur de ne pas les inclure, et en même temps pas tellement : le film a pris sa forme pendant que je le faisais, et une forme dessine en creux tout ce qui va suivre : même si c’était des choses très importantes, ce n’était pas une trop grande souffrance de les abandonner puisque c’était l’architecture générale qui commandait9. »

10 Courriers électroniques de Ziva Postec des 25 et 27 mars 2010.

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L’entretien avec Jan Karski a été monté à la fin de l’année 198410. La séquence réalisée pour le film porte sur deux des thèmes abordés le premier jour de l’entretien : la rencontre de Karski avec les leaders juifs polonais et sa « visite » du ghetto de Varsovie. Cette séquence permet à la fois d’introduire le thème du ghetto et de développer l’idée que les Juifs ont résisté à la Solution finale. Elle permet également le passage entre la représentation de l’espace du camp d’extermination d’Auschwitz-Birkenau, au sein duquel toute tentative de soulèvement était vaine (le récit de Rudolf Vrba), et celle du ghetto de Varsovie, qui est symboliquement le lieu de l’insurrection des Juifs polonais (sur laquelle se termine le film). Ziva Postec, la monteuse de Shoah, s’en explique ainsi :

11 Ibid.

6
« La raison de ce choix a été pour nous de montrer que l’anéantissement des Juifs s’est passé aux mêmes moments dans les camps et dans les ghettos à la différence de ce que pensent la majorité des gens (que les ghettos survenaient avant les camps11). »

7
La parole de Karski participe donc d’un tout et renforce la structure d’ensemble de Shoah. Suite à un accord passé en 1978, Karski ne pouvait consentir de témoignage filmé avant la sortie en salle de Shoah. Après quelques années, en 1982, le résistant s’impatiente. Lanzmann lui écrit alors une lettre dont il a récemment livré le contenu dans son ouvrage Le Lièvre de Patagonie :

12 C. Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie, Mémoires, Paris, Gallimard, 2009, p. 512-513.

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« Cher Karski, écrivais-je, cinq heures du film sont prêtes, c’est-à-dire plus de la moitié. De l’aveu de tous, elles sont très bonnes, et vous n’êtes pas encore là. Selon les calculs les plus honnêtes auxquels je puisse actuellement me livrer, j’ai planifié que vous n’apparaîtriez que dans deux heures trente-sept minutes vingt-deux secondes. […] J’ajoute aussi que votre rôle sera long et d’une importance décisive pour le film et pour l’histoire. […] Je me rends compte qu’il a besoin de tous ses protagonistes, mais qu’il peut en même temps se passer de chacun. C’est sans doute le propre des grandes œuvres12. »

13 « Vous trouverez ci-joint les photocopies de deux lettres qui ont été écrites sur mon travail par R (...)

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Si la version originale de cette lettre conservée dans les archives de E. Thomas Wood – le biographe américain de Jan Karski – diffère sensiblement des souvenirs du réalisateur, l’idée est la même : Shoah aurait pu se faire sans le témoignage de Karski. En 1982 comme en 2010, cette liberté dans le choix des témoins est essentiel pour Lanzmann13.

Shoah : une fiction du réel

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Le témoignage de Jan Karski monté dans Shoah est construit suivant le principe d’une alternance visuelle entre des plans du résistant et des vues filmées sur les lieux de l’extermination des Juifs d’Europe, ainsi qu’aux états-Unis. Pendant les premières minutes, la caméra passe du visage de Karski à une vue prise depuis une fenêtre montrant la statue de la Liberté. L’analyse précise de cette séquence et du contexte de réalisation du film permet de constater qu’il s’agit de deux plans distincts, tournés dans des lieux différents (fig. 2 et 3).

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Lanzmann a filmé Karski à Washington et non pas à New York. L’impression qu’il existe une continuité visuelle entre le plan de l’entretien et les vues extérieures est créée par un effet de montage. Le plan suivant la présentation de Karski dans son salon est une vue de la pointe sud de Manhattan, tournée depuis Brooklyn Heights, et quelques secondes plus tard, un zoom arrière portant sur un drapeau américain accroché à la façade de la Maison-Blanche a été filmé depuis Pennsylvania Avenue, à Washington. L’espace représenté n’est donc pas celui de l’entretien, mais bien celui dont parle Jan Karski. Plus précisément, il s’agit d’une représentation métonymique du territoire américain à travers ses symboles. Montrer, en moins d’une minute, la statue de la Liberté, les gratte-ciel new-
yorkais, puis le drapeau américain et la Maison-Blanche relève d’une volonté de présenter les États-Unis comme un pays démocratique, où s’exercent les pouvoirs économiques et politiques. La composition du film repose donc sur un dialogue construit entre sons et images, celles-ci ne donnant jamais exactement à voir ce qui est dit par les témoins.

14 C. Lanzmann, Shoah, Paris, Gallimard, coll. “Folio”, 1997 (1re édition Fayard, 1985), p. 239.

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Les premiers mots du résistant témoignent du même type de montage (fig. 4 à 7). Dans le premier plan, Karski s’exprime ainsi : « Maintenant... Maintenant je retourne en arrière... trente-cinq ans... Non, je ne retourne pas... Vous savez, en fait, non... » (fig. 4) ; puis il continue dans le deuxième : « Je suis prêt... Au milieu de l’année 1942, je décidai de reprendre ma mission d’agent entre la Résistance polonaise et le gouvernement en exil, à Londres. Les leaders juifs à Varsovie en furent avertis. Une rencontre fut organisée, hors du ghetto. Ils étaient deux. Ils n’habitaient pas le ghetto. Chacun se présenta : responsable du Bund, responsable sioniste » (fig. 5 et 6). Enfin, dans le troisième plan, Karski s’interroge : « Maintenant, comment vous raconter14 ? (fig. 7) »

15 Ibid.

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La bande-son et la bande-image ont été synchronisées dans le premier et troisième plans. En revanche, le deuxième relève d’un travail de montage qui montre une vue éloignée du salon dans lequel se déroule l’entretien. Le plan est d’abord silencieux, puis la voix de Karski se fait de nouveau entendre (fig. 5 et 6). Le spectateur est dès lors amené à penser qu’après avoir marché dans un couloir, Karski a repris son témoignage. En fait, cette vue est un plan de coupe et la bande-son du film est composée de différents extraits de l’enregistrement de 1978. À partir de la transcription de l’entretien original conservé aux archives du musée Mémorial de l’Holocauste à Washington, dix fragments – provenant des pages une, sept, huit et neuf – ont été identifiés pour ce seul passage. L’ordre chronologique de ces fragments n’a pas été respecté non plus : « (1) Je suis prêt... // (2) Au milieu de l’année 1942, je décidai de reprendre ma mission d’agent // (3) entre la Résistance polonaise et le gouvernement en exil, // (4) à Londres. // (5) Les leaders juifs à Varsovie en furent avertis. // (6) Une rencontre fut organisée, // (7) hors du ghetto. // (8) Ils étaient deux. // (9) Ils n’habitaient pas le ghetto. // (10) Chacun se présenta : responsable du Bund, responsable sioniste15. »

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Le troisième segment de ce passage, « entre la Résistance polonaise et le gouvernement polonais en exil » (between the Polish underground and the Polish Government in exile), est composé de trois parties distinctes. Ce découpage est visible à la première page de la transcription réalisée par l’équipe du film (voir fig. 8). Lors du montage, Ziva Postec soulignait régulièrement les mots qu’elle souhaitait intégrer au film, ici « entre » (between), « la résistance polonaise » (the Polish underground) et « et le gouvernement polonais en exil » (and the Polish Government in exile). Deux passages ont ainsi été supprimés : « la direction de différentes antennes » (the leadership of various segments of) et « et puis un messager entre les partis politiques, de temps en temps pour l’armée de l’intérieur, [et un] délégué du gouvernement » (and then a courier between political parties, from time to time the home army, delegate of the Government).

16 Ziva Postec, séance du séminaire Pratiques historiennes des images animées de Christian Delage à l’ (...)

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Ziva Postec raconte le travail auquel elle s’est livrée avec les images et les mots des entretiens filmés : « J’ai fait de la dentelle, c’est-à-dire que j’ai reconstitué ce que les gens disaient très longuement. Je l’ai raccourci et j’ai remonté la phrase. […] Justement je disais qu’il faut manipuler, pour dire la vérité, et c’était ma préoccupation. [...] c’est une façon de lier l’image et le son. De juxtaposer le son à l’image16. » Comme Claude Lanzmann l’a expliqué lui-même, Shoah n’est pas un accès direct au témoignage, mais un récit visuel élaboré.

Le Rapport Karski : la vérité immédiate ?

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Diffusé en 2010, Le Rapport Karski porte principalement sur la rencontre entre Franklin D. Roosevelt et Jan Karski en 1943 et sur la transmission des informations relatives à la destruction des Juifs d’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale. Le réalisateur avait décrit ainsi les modalités de la rencontre à Karski le 7 juillet 1978 :

17 Lettre de Claude Lanzmann à Jan Karski, datée du 7 juillet 1978, p. 2 sur 3. Archive E. Thomas Wood (...)

« Point 6 : Je voudrais avoir avec vous, devant la caméra, un genre de discussion philosophique sur le problème de la transmission d’une expérience : dans quelle mesure les gens croient-ils en votre rapport ? Belzec ou Treblinka pouvaient-ils signifier ce qu’ils auraient dû auprès de gens vivants en paix à Washington ou à New York ? Je me souviens ardemment par exemple, combien vous étiez profond et impressionnant, lorsque vous m’avez relaté votre rencontre avec Frankfurter17. »

18 On utilise ici cette formule en référence au numéro 21 des Cahiers de l’IHTP dirigé par Danièle Vol (...)
19 Annette Wieviorka, “Haenel : faux témoignage”, L’Histoire, janvier 2010, p. 30-31.

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Dans Le Rapport Karski, Lanzmann dit rétablir la vérité en présentant ces passagesignorés pour Shoah. Il explique que les paroles du messager sont données à voir et à entendre telles qu’il les a recueillies en 1978. Le film est présenté comme ayant une forme proche de celle des entretiens d’histoire orale menés avec les survivants du génocide. Tandis que dans Shoah la vérité advenait suite à un travail de médiation, par la construction d’une œuvre cinématographique, le réalisateur défend au sujet du Rapport Karski l’idée que la vérité sort de la bouche du témoin18. L’entretien filmé avec Jan Karski apparaît alors comme le seul à même de disqualifier « le faux témoignage19 » de Yannick Haenel. Le 20 janvier 2010, Claude Lanzmann introduit la nouvelle diffusion de Shoah sur Arte ainsi :

« Un dernier mot. Un livre de Yannick Haenel qui revendique le statut de roman a récemment été consacré à Jan Karski, protagoniste majeur de la deuxième partie de Shoah. Or j’avais tourné avec Karski en 1978 tout ce que ce “roman” invente. Ce sera un nouveau film intitulé Le Rapport Karski qui sera diffusé au mois de mars sur cette même chaîne. Le vrai Jan Karski rétablit lui-même la vérité. »

20 Cette citation est issue de “Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman”, Les Temps Modernes, art (...)

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Si, pour le romancier, la transmission de l’histoire passe par la médiation littéraire, pour le réalisateur, la vérité historique provient des dires du témoin. Parallèlement, Lanzmann déclare dans l’introduction du numéro de janvier-mars 2010 de la revue Les Temps Modernes, qui reproduit l’intégralité des dialogues du nouveau film : « J’ai filmé tout cela [en 1978] : le texte qu’on va lire à la suite de cette introduction est la transcription de mes questions et des réponses de Karski20. » Enfin, dans l’incipit du film, il explique à nouveau que les propos de Karski doivent rétablir la vérité à son sujet :

« Quarante ans plus tard, en 1985, la sortie de mon film Shoah ressuscita Karski pour chacun de nous, l’inscrivant dans l’Histoire et dans l’Esprit objectif. [...] Au cours de la deuxième journée de tournage, Karski a exposé devant ma caméra tous les détails de sa rencontre avec le Président Roosevelt. Pour des raisons proprement artistiques de tension dramatique, au point où j’en étais de la construction de mon film, parce que celui-ci auraitété trop long, parce que Karski lui-même se montrait, le deuxième jour, très différent de ce qu’il avait été le premier,j’avais choisi de laisser de côté ces passages. C’estpourtant une partie de ceux-là, en particulier la rencontre entreKarski et Roosevelt, que vous allez voir dans un instant.J’en ai décidé ainsi car il m’a semblé absolument nécessaire de rétablir la vérité. »

19
Si un même entretien, réalisé en 1978, est utilisé pour Shoah et Le Rapport Karski, entre 1985 et 2010, Lanzmann a changé de point de vue sur le travail de réalisateur. Pendant cette période, il a également changé sa façon de monter la bande-image. En effet, les séquences du Rapport Karski semblent suivre le déroulement de l’entretien original, soutenant ainsi l’authenticité des propos. De plus, à la différence de Shoah, aucun plan extérieur, distinct de l’espace de l’entretien, n’a été utilisé au montage, accentuant l’impression d’une unité de temps et d’espace (fig. 9 et 10).

21 C. Lanzmann, Shoah, op. cit., p. 255.

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Cependant, pour garantir cet effet d’authenticité, les neuf plans qui composent Le Rapport Karski ont fait l’objet d’un montage tout aussi élaboré que celui de Shoah. Le premier plan reprend les mots prononcés par Karski dans Shoah, « J’ai fait mon rapport21. » Le deuxième est un texte écrit dont les mots défilant à l’écran sont lus par le réalisateur, comme une explication du film, guidant le spectateur dans son interprétation de l’entretien à venir. La conversation entre le réalisateur et le résistant débute au troisième plan, mais son contenu est-il identique à l’enregistrement filmé de 1978 ?

22 Georges Sadoul, “Témoignages photo­graphiques et cinématographiques”, in Charles Samaran (dir.), L’ (...)

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La transcription de la discussion, la piste sonore et la bande-image de l’entretien original conservées aux archives du musée Mémorial de l’Holocauste permettent de répondre à cette question. Bien que l’enregistrement de l’entretien soit aujourd’hui disponible sous un format numérique qui synchronise le son et l’image, les deux pistes ont été enregistrées séparément en 1978. Le son a été capté à l’aide d’un magnétophone Nagra et l’image avec une caméra seize millimètres. En 1961, dans un article de méthode adressé aux historiens, Georges Sadoul écrit que, « le montage s’opère pour la bande-image, mais aussi pour la piste sonore dont les paroles, les musiques et les bruits sont le plus souvent enregistrés séparément avant d’être fondus ensemble pour la reproduction, par une opération appelée mixage. Le montage des sons et celui des images sont en rapport entre eux, mais ne sont pas directement liés22 ». La comparaison de la parole de Jan Karski telle qu’elle a été dite, enregistrée et conservée dans les archives, avec celle transmise dans Le Rapport Karski, révèle des différences notoires qui contestent les propos du réalisateur et l’effet de réalité produit par le montage.

22
D’abord, l’intégralité de l’entretien n’a pas été monté, l’ensemble de la discussion à propos de la visite de Jan Karski au camp d’extermination de Belzec reste ainsi non diffusé. D’autre part, comme dans Shoah, l’ordre de l’entretien de 1978 n’est pas respecté. Les séquences composant le film ont été extraites des bobines vingt-trois à trente, or l’avant-dernier plan provient de la toute fin de la bobine trente, la dernière utilisée.

23 « Même à ce moment-là j’avais des suspicions, que certains de ces leaders – et qui que ce soit que (...)
24 « Peut-être si je veux être un sceptique ou cynique, peut-être qu’il a “passé la balle”. Peut-être (...)
25 Cf. La transcription pour les plans 6 et 7 de la page 62 à la page 67 et entre les plans 7 et 8, qu (...)
26 On reprend ici les noms cités par Jan Karski en corrigeant l’orthographe proposée dans la transcrip (...)
27 À l’époque, président du World Jewish Congress (WJC).
28 À l’époque, président de l’American Jewish Congress (AJC).
29 Homme politique anglais, conservateur, ministre d’État, entre 1943 et 1945. Il devient le baron Col (...)
30 Traduction de l’anglais de l’auteur et passage souligné par l’auteur. Voir la transcription origina (...)

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Ensuite, deux courts passages ont été coupés entre le plan 3 et le plan 423, puis entre le plan 5 et le plan 624. Les dialogues supprimés modulaient certaines des idées mises en avant par Lanzmann pendant la polémique, comme la sincérité des interlocuteurs rencontrés aux états-Unis. D’autres passages plus longs ont également été coupés au montage, entre les plans 6 et 7 et entre les plans 7 et 825. Karski s’exprimait alors au sujet de rencontres qui ont eu lieu avec : Lord Selborne, Sir Robert Anthony Eden, Cordell Hall, le cardinal Amleto Giovanni Gicognani, l’archevêque Edward Mooney, l’archevêque Samuel Alphonsus Stritch, l’archevêque Francis Joseph Spellman, le rabbin Stephen Samuel Wise, le docteur Nahum Goldman et Richard Law26. À l’exception du rabbin Wise27 et du docteur Goldman28, Karski mentionnait l’intérêt limité de ces personnalités pour la dimension juive de son rapport. Il finissait par dire à propos de Law29, « je crois qu’il était encore plus désintéressé que les autres. Sur cette part de ma mission, mais je ne me souviens pas de points particuliers30 ». Ces passages, exclus lors du montage de la piste son, modéraient également les idées défendues par Lanzmann.

31 La retranscription du Rapport Karski est la suivante, alors que dans l’entretien original les terme (...)
32 Voir note 3.

24
Enfin, deux mots prononcés par Claude Lanzmann ont été changés, modifiant ainsi la bande-son originale. Dans l’extrait de la transcription originale (voir fig. 11) et dans le « texte du film » publié dans Les Temps Modernes, deux phrases sont différentes de celles du Rapport Karski. En 1978, Claude Lanzmann – dont le visage est visible sur le bord gauche du plan, mais pas ses lèvres – demandait : « Est-ce que vous vous souveniez de Belzec [...] ». Dans le film de 2010, la question est devenue : « Est-ce que vous vous souveniez de Varsovie [...] (fig. 12). » Le deuxième exemple de permutation de mots concerne aussi le camp d’extermination de Belzec ; la question posée par Lanzmann – qui n’apparaît plus alors à l’écran – en 1978 : « Est-il possible de réaliser Belzec [...] » est devenue après montage dans Le Rapport Karski : « Est-il possible de réaliser la destruction des Juifs31 [...] » (fig. 13). Très vraisemblablement, Claude Lanzmann ne souhaitait pas faire apparaître dans Le Rapport Karski que, lors de sa rencontre avec le résistant, il pensait que le courrier polonais avait visité le camp d’extermination de Belzec32.

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Si la mise en forme du Rapport Karski diffère de celle de la séquence de Shoah, le travail de montage témoigne de similitudes : des séquences de l’entretien original n’ont pas été montées, des passages ont été coupés dans les extraits montés et des mots ont été permutés dans certains dialogues. Quel que soit le type de documentaire et quels que soient les choix esthétiques retenus par le réalisateur, Shoah et Le Rapport Karski partagent les pratiques communément admises dans le travail de montage.

Du témoignage filmé à la publication

33 On peut citer comme exemple la manière dont les témoignages des résistants yougoslaves internés dan (...)
34 “The International Liberators Conference” (soutenu par le United States Holocaust Memorial Council) (...)
35 L’ancien directeur du World Refugee Board (WRB), créé par l’administration Roosevelt à la fin de la (...)
36 Lieutenant-général de l’armée de réserve de réserve qui dirigea les troupes qui libérèrent Auschwit (...)
37 Historien et archiviste, responsable de la section militaire contemporaine, Archives nationales des (...)
38 Discovering the « Final Solution » panel, Story RG-60.3814, cassette 2 656. Intervention de Jan Kar (...)
39 Celle de Jan Karski est reproduite de la page 176 à la page 181 et les échanges avec Kalb aux pages (...)

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La mise en forme d’un témoignage afin d’en assurer la transmission n’est propre ni au médium cinématographique, ni à Claude Lanzmann33. La première prise de parole publique de Jan Karski au sujet de ses missions depuis la Seconde Guerre mondiale s’est tenue le 28 octobre 1981 à Washington, lors du “premier colloque international des libérateurs des camps34”. Il était invité par Elie Wiesel et partageait la tribune avec John Pehle35, Vassily Yakovlevich Petrenko36 et Robert Wolfe37, alors que le présentateur de la chaîne américaine CBS, Marvin Kalb modérait le débat qui suivit. Toutes les interventions de cette conférence ont été filmées38, retranscrites et publiées en 198739. Dans ce cadre éditorial, la communication du résistant polonais a également été adaptée aux exigences de la publication, avec notamment l’addition en introduction du paragraphe suivant :

40 Ibid., p. 176.

« Le thème, “la découverte de la Solution Finale”, nécessite la prise en compte des questions suivantes : 1) Qu’est-ce que l’opinion publique et les dirigeants occidentaux ont appris de la tragédie des Juifs, et quand ? 2) De quelle manière ces informations les ont-elles atteints ? 3) Quelle fut la réaction ? Fut-elle en rapport avec les preuves40 ? »

41 Une copie de la version éditée du texte annoté afin d’incorporer les différences avec le texte orig (...)
42 B. S. Chamberlin et M. Feldman (dir.), The Liberation of the Nazi Concentration Camps 1945, op. cit (...)
43 « I remember when I reported to Zygielbojm. When he asked, so what they want me to do ? No, first o (...)
44 Parti juif antisioniste socialiste en Pologne. Yehuda Bauer, The Holocaust in Historical Perspectiv (...)
45 On n’insiste pas ici sur le fait que le passage de la source audiovisuelle au texte écrit constitue (...)

27
Cet ajout, de même que les multiples adaptations apportées au texte, n’en modifient pas le sens41et suivent les normes en usage lors de la publication d’actes d’un colloque international. À la fin des questions/réponses, le modérateur du débat demande à Karski s’il a été surpris à l’époque par la réaction – ou plus justement l’absence de réaction – de ses interlocuteurs. La fin de la réponse apparaît ainsi dans la version du texte publiée en 1987 : « J’étais comme un magnétophone. Si j’avais des sentiments humains – la surprise, le choc – je serais devenu fou depuis longtemps. [...] Je n’avais plus aucun sentiment. Alors, ne me demandez pas si j’étais surpris. Je n’étais surpris par rien42. » Les points de suspensions signalent un travail de coupe, effectué pour l’édition, qui supprime un temps de parole assez long (145 secondes43), pendant lequel Karski, au bord des larmes et de la crise de nerfs, évoque sa rencontre à Londres avec Szmul Zygielbojm, un des leaders du Bund44. La suppression de ce passage, qui relève d’une décision éditoriale, modifie en partie le sens de l’intervention de Karski45. Les choix éditoriaux proposent ainsi une autre forme de médiation des paroles du résistant polonais que l’accès à l’enregistrement filmé de la conférence a révélé. Qu’il s’agisse du film de Claude Lanzmann ou des actes d’un colloque international, les propos de Jan Karski ont donc été modelés selon les ambitions du réalisateur ou de l’éditeur.

46 Comme l’ont écrit Ilsen About et Clément Chéroux, à propos d’un autre médium, un travail d’historie (...)

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Shoah, Le Rapport Karski et la publication du premier discours public de Karski ne permettent pas un accès immédiat au témoignage de l’acteur de l’histoire. À travers ces supports, la voix de Karski résonne cependant comme une source sans pour autant que nous ayons accès à l’entretien original dans son intégralité. Bien au contraire, les paroles du témoin ont été l’objet d’un travail de médiation propre à chaque médium et le résultat de choix singuliers opérés par le réalisateur, le monteur ou l’éditeur afin de mettre en récit ce qui nous est donné à voir, à entendre et à lire46. Les archives scripturaires, sonores et visuelles rendues accessibles par Claude Lanzmann au musée Mémorial de l’Holocauste ont permis d’analyser la dimension technique et les choix stylistiques du réalisateur dans les deux films créés à partir du même entretien avec Jan Karski. Si Shoah et Le Rapport Karski témoignent de différences relatives à la forme de médiation retenue – ajout de plans visuels extérieurs à l’entretien ou stricte présentation du témoin –, les deux films de Claude Lanzmann exploitent les mêmes modalités de montage pour clarifier et garantir le propos du réalisateur. En revanche, l’analyse des discours de Lanzmann au sujet de ses films révèle des changements importants entre 1985 et 2010. Lors de la sortie de Shoah, il explique la construction d’un récit choral précisément ciselé dont l’« architecture générale » garantit l’accès à la vérité. Vingt-cinq ans plus tard, au sujet du Rapport Karski, il revendique au contraire une médiatisation réduite à son apparat le plus simple afin que « le vrai Jan Karski rétabli[sse] lui-même la vérité ». La notion de vérité est ainsi historicisée et désabsolutisée.

Texte intégral

Notes

1 Il est également possible que cet entretien se soit déroulé début 1979. Claude Lanzmann cite ces deux dates alternativement dans ces entretiens. À titre d’exemple, la date de 1978 est mentionnée dans Claude Lanzmann, “Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman”, Marianne, no 666, 23-29 janvier 2010, p. 83, alors que la date de 1979 est mentionnée dans C. Lanzmann, “Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman”, Les Temps Modernes, no 657, janvier-mars 2010, p. 3. On sait qu’il a mené courant novembre 1978 des entretiens à New York avant de se rendre à Washington pour tourner avec Jan Karski.

2 Cf. David Engel, « He had been chosen, for this mission mainly because of his apolitical background, his impressive physical stamina and his photographic memory », in “The Western Allies and the Holocaust. Jan Karski’s mission to the West, 1942-1944”, Holocaust and Genocide Studies, vol. 5, no 4, 1990, p. 364.

3 Dans ses rapports oraux effectués pendant la guerre, ainsi que dans ses mémoires publiées en 1944 (Jan Karski, Story of a Secret State, Boston, Houghton Mifflin Company, 1944), jusqu’à ses témoignages auprès de Claude Lanzmann, puis de Walter Laqueur (Le Terrifiant Secret, Paris, Gallimard, 1981, p. 277-286), Jan Karski indique toujours avoir vu le camp d’extermination de Belzec. Raul Hilberg a démontré que le témoignage de Karski ne correspondait pas au camp de Belzec dans Exécuteurs, victimes, témoins. La catastrophe juive 1933-1945, Paris, Gallimard, 1994, p. 333-337, voir également R. Hilberg, Holocauste, les sources de l’histoire, Paris, Gallimard, 2001, p. 197-198. Dès 1990, David Engel avait postulé que Karski ne s’était pas rendu à Belzec, mais dans le camp de Belzyce dans “The Western Allies and the Holocaust. Jan Karski’s mission to the West, 1942-1944”, art. cit., p. 374. Il est possible que Jan Karski se soit, en fait, rendu dans le camp annexe de Belzec, Izbica Lubelska, voir Thomas E. Wood et Stanislaw M. Jankowski, Karski, How One Man Tried to Stop the Holocaust, New York, John Wiley & Sons Inc., 1994 ; E. Thomas Wood fait référence à la recherche menée par l’historien polonais Józef Marszalek. Comme l’indique Jean-Louis Panné, « Lorsqu’en 1993, il [Karski] eut l’occasion de revenir en Pologne, il se rendit sur les lieux des deux camps, et identifia formellement le camp d’Izbica, situé entre Lublin et Belzec, non loin de Zamosc », voir Jan Karski, le roman et l’histoire, Paris, Pascal Galodé éditeurs, 2010, p. 20. Dans un entretien filmé en 1995, Karski a expliqué qu’il s’était certainement rendu à Izbica et non – comme il l’a cru pendant des années – à Belzec, voir Diane Glazer Show, Los Angeles, Jewish Television Network, 1995, vidéo consultable aux archives Jan Karski, Hoover Institution Archives, Stanford University, boîte 31, dossier 11. Karski a fait remplacer la mention de Belzec par celle d’Izbica, dans la version de ses mémoires publiée en polonais en 1999, comme le fait remarquer Céline Gervais-Francelle dans “introduction”, Jan Karski, mon témoignage devant le monde, Histoire d’un État clandestin, Paris, Robert Laffont, 2010, p. XX et note 4, p. 389.

4 Pour une biographie de Jan Karski, voir T. E. Wood et S. M. Jankowski, Karski, How One Man Tried to Stop the Holocaust, op. cit. ; en français, J.-L. Panné, Jan Karski, le roman et l’histoire, op. cit. Jean-Louis Panné dit avoir essayé de faire traduire, en vain, la biographie de Jan Karski, p. 14. Pour ce qui est de ces missions, on peut se reporter à l’article de D. Engel, “The Western Allies and the Holocaust. Jan Karski’s mission to the West, 1942-1944”, art. cit. On notera enfin que les archives de Jan Karski et de ses biographes sont accessibles à la Hoover Fondation.

5 On acceptera comme convention qu’un chapitre correspond à la prise de parole d’un témoignant (comme c’est le cas dans le DVD) et qu’une séquence est un ensemble de chapitres ordonnés afin de traiter un thème (les ghettos, les chambres à gaz, la réaction des Polonais, etc.).

6 Yannick Haenel, Jan Karski, roman, Paris, Gallimard, 2009. À ce titre, on peut lire l’article suivant : Patrick Boucheron, “Toute littérature est assaut contre la frontière. Note sur les embarras historiens d’une rentrée littéraire”, Annales ESC, 65e année, no 2, mars-avril 2010, p. 441-467, qui constitue en quasi-temps réel une synthèse magistrale, dont on peut simplement regretter qu’elle ne prenne pas en compte les débats télévisés et ceux qui se sont développés sur Internet.

7 .Haenel indique dans l’incipit de son ouvrage : « […] les scènes, les phrases et les pensées [attribuées] à Jan Karski relèvent de l’invention », Y. Haenel, Jan Karski, roman, op. cit., p. 9. Voir également, Y. Haenel, “Le recours à la fiction n’est pas seulement un droit, il est nécessaire”, Le Monde, 25 janvier 2010.

8 C. Lanzmann, “Le lieu et la parole”, in Michel Deguy (dir.), Au sujet de Shoah, Paris, Belin, 1990, p. 301. Originellement publié dans Les Cahiers du cinéma, no 374, juillet-août 1985, p. 21. Entretien réalisé par Marc Chevrie et Hervé Le Roux.

9 Ibid., p. 302

10 Courriers électroniques de Ziva Postec des 25 et 27 mars 2010.

11 Ibid.

12 C. Lanzmann, Le Lièvre de Patagonie, Mémoires, Paris, Gallimard, 2009, p. 512-513.

13 « Vous trouverez ci-joint les photocopies de deux lettres qui ont été écrites sur mon travail par Raul Hilberg et Yehuda Bauer, les deux plus grands historiens de l’Holocauste, qui ont vu les trois premières heures de mon film en Juillet dernier à Paris. Ils ne parlent pas de votre performance, parce que vous commencez à apparaître dans le film seulement après 5 heures 22 minutes. Mais peut-être est-ce plus important pour vous d’apparaître dans des programmes télévisés de Caroline du Nord ou du Delaware. La décision vous appartient », lettre datée du 10 novembre 1982, archives de E. Thomas Wood, boîte 12, Hoover Institution Archives, Stanford University. Raul Hilberg et Yehuda Bauer sont les deux conseillers historiques qui apparaissent au générique du film.

14 C. Lanzmann, Shoah, Paris, Gallimard, coll. “Folio”, 1997 (1re édition Fayard, 1985), p. 239.

15 Ibid.

16 Ziva Postec, séance du séminaire Pratiques historiennes des images animées de Christian Delage à l’école des hautes études en sciences sociales du 17 mars 2009 au 104, voir Rémy Besson, “Master class avec Ziva Postec – 5 mars 2010 », Culture Visuelle, mis en ligne le 1er mars 2010 (http://culturevisuelle.org/cinemadoc/2010/03/01/master-class-avec-ziva-postec-5-mars-2010 ). Enregistrement vidéo et retranscription en possession de l’auteur.

17 Lettre de Claude Lanzmann à Jan Karski, datée du 7 juillet 1978, p. 2 sur 3. Archive E. Thomas Wood, dossier 12, Hoover Institution Archives, Stanford University.

18 On utilise ici cette formule en référence au numéro 21 des Cahiers de l’IHTP dirigé par Danièle Voldman, “La bouche de la Vérité ? La recherche historique et les sources orales”, novembre 1992, 161 p.

19 Annette Wieviorka, “Haenel : faux témoignage”, L’Histoire, janvier 2010, p. 30-31.

20 Cette citation est issue de “Jan Karski de Yannick Haenel : un faux roman”, Les Temps Modernes, art. cit., qui est donné à lire par Claude Lanzmann comme une republication de “ma condamnation de son livre Jan Karski, roman”, π, no 666, 23-29 janvier 2010, p. 1. Cependant, cette citation qui introduit la publication du texte du film est différente de l’article original, dans lequel était simplement indiqué : « J’ai filmé tout cela, qui sera diffusé à la télévision en mars sur la chaîne Arte. » Une telle mention est tout aussi logiquement coupée à la fin de l’article « […] qui rétablira lui-même la vérité dans un film intitulé Le Rapport Karski qui sera diffusé en mars prochain sur la chaîne Arte et dont on pourra lire le texte intégral dans le no 657 de la revue Les Temps Modernes ». Il est également à noter qu’aux pages 3 et 5 Claude Lanzmann a changé la date de l’entretien avec Karski de 1978 à 1979 et qu’à la page 4 il a coupé le passage suivant : « […] mon silence autorisait en effet nombre de lecteurs d’Haenel à penser que j’avais donné ma bénédiction à ce livre ».

21 C. Lanzmann, Shoah, op. cit., p. 255.

22 Georges Sadoul, “Témoignages photo­graphiques et cinématographiques”, in Charles Samaran (dir.), L’Histoire et ses méthodes, Paris, Gallimard, coll. “Bibliothèque de la Pléiade”, 1961, p. 1393.

23 « Même à ce moment-là j’avais des suspicions, que certains de ces leaders – et qui que ce soit que je rencontre, je n’ai parlé qu’avec des leaders gouvernementaux, qui étaient les personnes les plus importantes aux états-Unis et en Grande-Bretagne – parfois je ne pouvais pas éviter la suspicion que dans l’ensemble ils me voyaient par courtoisie. » Début de la bobine 24, page 53 du transcript.

24 « Peut-être si je veux être un sceptique ou cynique, peut-être qu’il a “passé la balle”. Peut-être que c’était un acte de courtoisie envers l’ambassadeur de Pologne : je fais quelque chose à propos de la mission de votre homme. » Fin de la bobine 25, page 59 du transcript.

25 Cf. La transcription pour les plans 6 et 7 de la page 62 à la page 67 et entre les plans 7 et 8, qui ont évincé les paroles des pages 68 et 69.

26 On reprend ici les noms cités par Jan Karski en corrigeant l’orthographe proposée dans la transcription originale.

27 À l’époque, président du World Jewish Congress (WJC).

28 À l’époque, président de l’American Jewish Congress (AJC).

29 Homme politique anglais, conservateur, ministre d’État, entre 1943 et 1945. Il devient le baron Coleraine en 1954.

30 Traduction de l’anglais de l’auteur et passage souligné par l’auteur. Voir la transcription originale en anglais de l’entretien accordé par Jan Karski à Claude Lanzmann, p. 68, Claude Lanzmann Shoah Collection, au musée Mémorial de l’Holocauste à Washington DC (en ligne : http://resources.ushmm.org/film/display/detail.php?file_num=4739 ). « I think that he was more disinterested than others. In this particular part of my mission, but I do not remember particular points. »

31 La retranscription du Rapport Karski est la suivante, alors que dans l’entretien original les termes en italiques étaient Belzec : « Yourself, for instance ; when you were reporting every day, like a machine, as you say, did you remember Warsaw when you were in Washington ? » et « How do you judge the people who did not grasp the real meaning of what it was ? Is it possible to grasp the destruction of the Jews when one lives in Washington, a completely other world ? » Voir la transcription originale en anglais de l’entretien accordé par Jan Karski à Claude Lanzmann, p. 69, Claude Lanzmann, Shoah Collection, au musée Mémorial de l’Holocauste à Washington DC (en ligne : http://resources.ushmm.org/film/display/detail.php?file_num=4739 ).

32 Voir note 3.

33 On peut citer comme exemple la manière dont les témoignages des résistants yougoslaves internés dans le camp de Banjica ont été édités après-guerre. Dans son article, Jovan Byford insiste en introduction sur le fait que les témoignages sont toujours « socially mediated and contextually and institutionally embedded » avant d’étudier les coupes faites dans les publications de ces derniers entre 1967 et aujourd’hui et de conclure sur le fait que les paroles des acteurs de l’histoire étaient : « There were only usable stories, or rather fragments of testimonies deemed “believable” by those who selected them for publication. » Jovan Byford, “Shortly afterwards, we hear the sound of the gas van. Survivor Testimony and the Writing of History in Socialist Yugoslavia”, History & Memory, vol. 22, no 1, printemps/été 2010, p. 5-47.

34 “The International Liberators Conference” (soutenu par le United States Holocaust Memorial Council), U.S. Department of State in Washington, D.C., 26-28 octobre 1981.

35 L’ancien directeur du World Refugee Board (WRB), créé par l’administration Roosevelt à la fin de la guerre pour venir en aide aux Juifs d’Europe.

36 Lieutenant-général de l’armée de réserve de réserve qui dirigea les troupes qui libérèrent Auschwitz. Représentant de la délégation soviétique.

37 Historien et archiviste, responsable de la section militaire contemporaine, Archives nationales des États-Unis.

38 Discovering the « Final Solution » panel, Story RG-60.3814, cassette 2 656. Intervention de Jan Karski, time code : 10:40:39 à 11:08:44. Les questions de Marvin Kalb et les réponses de Jan Karski se trouvent sur la cassette 2659, time code : 1:11:09 à 1:14:34.

39 Celle de Jan Karski est reproduite de la page 176 à la page 181 et les échanges avec Kalb aux pages 190 et 191, in Brewster S. Chamberlin et Marcia Feldman (dir.), The Liberation of the Nazi Concentration Camps 1945 : Eyewitness Accounts of the Liberators, Washington, DC, United States Holocaust Memorial Council, 1987.

40 Ibid., p. 176.

41 Une copie de la version éditée du texte annoté afin d’incorporer les différences avec le texte original est en possession de l’auteur.

42 B. S. Chamberlin et M. Feldman (dir.), The Liberation of the Nazi Concentration Camps 1945, op. cit., p. 191.

43 « I remember when I reported to Zygielbojm. When he asked, so what they want me to do ? No, first of all he told me that he didn’t like me. He was suspicious. He said, you didn’t tell me anything I didn’t know before. So, then, what they want me to do ? He means the Jewish leaders so I gave it to him and I was saying the truth : let the Jews abroad go to the Offices, if their demands are not met, let them refuse food, let them refuse drink, let them die, slow death, in the streets, we are dying as well, perhaps the world conscience will be aroused. Zygielbojm, so what ? It is impossible, they will send them to policeman and arrest me as insane and send me to psychiatrit institution. It cannot be done. So then... and then : so what they want me to do ? He was irrational, I cannot do it, but I have to do it ? How can I do it, if I don’t know what to do ? Madness, Madness ! The world is mad ! Now I don’t speak to my students about Belzec or... the Ghetto. When I speak about the World War II I speak Szmul Zygielbojm. They will be able to understand. It stayed in my mind. Now, He left a greater impression than Belzec and the Ghetto. Szmul Zygielbojm. He committed suicide then... in May 1943... put on gas. But at this time, I remember, when Szmul Zygielbojm was acting this way, I was annoyed. Mainly he continued to play that act : I am going to be late for the next meeting », transcription de l’auteur à partir de l’entretien original, voir note 38.

44 Parti juif antisioniste socialiste en Pologne. Yehuda Bauer, The Holocaust in Historical Perspective, Seattle, University of Washington Press, 1978, p. 20.

45 On n’insiste pas ici sur le fait que le passage de la source audiovisuelle au texte écrit constitue en soi une perte d’information. Par exemple, dans l’entretien original, quand Jan Karski dit « No funny inspiration, paint as I telling you » [11:05:39 à 11 :05 :41], il prononce ces mots avec un accent particulier, frappant de la paume de sa main le pupitre et marquant ensuite un temps avant de poursuivre le cours de son énoncé. Rien de tel n’est retranscrit dans le texte.

46 Comme l’ont écrit Ilsen About et Clément Chéroux, à propos d’un autre médium, un travail d’historien ne serait « réduire la photographie à un simple rectangle oucarré-image qui contiendrait en son sein l’ensemble des éléments nécessaires à son approche. Chaque image possède un contexte dont la connaissance est nécessaire à sa compréhension historique », in “L’Histoire par la photographie”, études photographiques, no 10, novembre 2001, p. 20. Voir aussi C. Chéroux (dir.), Mémoire des camps. Photographies des camps de concentration et d’extermination nazis, 1933-1999, Paris, Marval, 2001 ; Audrey Leblanc et Rémy Besson, “La Part de l’introduction”, Conserveries mémorielles, no 6, 2009, mis en ligne le 26 décembre 2009, consulté le 2 janvier 2011(http://cm.revues.org/336 )
Pour citer cet article

Référence électronique

Rémy Besson, « Le Rapport Karski. Une voix qui résonne comme une source », Études photographiques, 27 | mai 2011, [En ligne], mis en ligne le 20 juin 2011. URL : http://etudesphotographiques.revues.org/3178. consulté le 27 mars 2015.

Auteur

Rémy Besson

Droits d’auteur