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Négociations fiévreuses sur le nucléaire iranien avant la date butoir de mardi

lundi 30 mars 2015

Les négociations sur le nucléaire iranien se sont poursuivies dans une atmosphère fiévreuse, lundi 30 mars, à Lausanne, en Suisse, alors qu’il reste à peine vingt-quatre heures pour arracher un accord entre l’Iran et les grandes puissances sur les principaux paramètres du programme nucléaire de la République islamique.

Les réunions se sont à nouveau multipliées, lundi, dans les salons de l’hôtel Beau Rivage, un palace surplombant le lac Léman, entre Mohammad Javad Zarif, le ministre des affaires étrangères iranien, et ses homologues du « P5 + 1 », représentant les cinq pays membres du Conseil de sécurité, plus l’Allemagne.

Alors que la montre tourne pour parvenir à un compromis sur les grandes lignes d’un accord, qui ouvrirait la voie à la poursuite des négociations, jusqu’au 30 juin, pour finaliser les détails techniques, le climat des discussions est très dur, selon un participant. De son côté, un diplomate constate que « les Iraniens aiment bien négocier au bord du précipice, ils sont assez bons pour cela ».

nucléaire iranien

Une issue encore incertaine

Rarement une négociation diplomatique aura été aussi difficile, longue et complexe. L’issue des pourparlers de Lausanne demeurait toujours incertaine, lundi, malgré douze ans de discussions et seize mois de consultations intenses depuis la signature d’un accord intérimaire entre l’Iran et les pays du « P5 + 1 », en novembre 2013. Celui-ci a débouché sur un gel provisoire du programme nucléaire iranien et une levée limitée des sanctions internationales contre le régime de Téhéran.

Même si les équipes de négociateurs se connaissent par cœur et ont passé au crible ces derniers mois tous les scénarios techniques possibles, il restait encore, à la veille de la date butoir, de grandes divergences sur les points clés d’un futur accord, d’après une source bien informée.

Les Occidentaux veulent des garanties

L’objectif poursuivi par les « Six » est de s’assurer que l’Iran ne puisse pas acquérir une bombe atomique sous le couvert de son programme nucléaire civil. Or, l’Iran a déjà menti par le passé, en dissimulant l’existence des sites de Natanz et Fordo, ses deux principaux centres d’enrichissement d’uranium, une matière fissile indispensable pour fabriquer une arme atomique. Du coup, les Occidentaux veulent s’assurer que tout accord offre les garanties nécessaires de transparence pour vérifier que l’Iran tient ses engagements.

Pour y parvenir, cela suppose de mettre en place un écheveau complexe de mesures qui visent, in fine, à brider le programme nucléaire iranien pour que son « break-out », c’est-à-dire le temps nécessaire pour produire assez d’uranium enrichi pour se doter d’une bombe, soit au moins d’un an. Le but étant de permettre aux Occidentaux de réagir si l’Iran décidait de se lancer dans une course à l’arme nucléaire, ce que Téhéran n’a jamais fait, même s’il en a les moyens depuis plusieurs années.

Trois points controversés

Alors que les négociations approchent de leur dénouement, un diplomate occidental a souligné qu’il restait toujours « trois points difficiles » et que l’issue des tractations « dépend des réponses » à ces questions. Il s’agit, a-t-il poursuivi, de la durée de l’accord, du rythme de la levée des sanctions contre l’Iran et de l’adoption d’un mécanisme, dit « snap back », qui permettrait de réimposer des sanctions si Téhéran ne tient pas parole.

Sur la durée, les Occidentaux veulent qu’un accord restrictif soit en vigueur pendant au moins quinze ans, avec une phase très contraignante pendant les dix premières années, suivie d’une levée graduelle des restrictions, notamment sur la recherche et le développement, pendant les cinq années suivantes. « On souhaite tous que ce soit quinze ans. Mais il y aura des durées différentes pour divers aspects de l’accord, même si la plus grande partie de l’accord sera sur quinze ans », insiste un proche du dossier. En revanche, les Iraniens réclament une durée plus courte, jugeant qu’une mise sous tutelle aussi longue est punitive.

Les sanctions contre l’Iran

Concernant les sanctions, le blocage porte essentiellement sur les quatre résolutions votées, depuis 2006, par le Conseil de sécurité de l’ONU. Elles visent surtout à empêcher les activités de prolifération nucléaire et ont été complétées, à partir de 2010, par des sanctions économiques, adoptées par les Etats-Unis et l’Union européenne. « Les Iraniens voudraient que l’on lève tout, tout de suite », souligne ce diplomate. Un scénario irréaliste car il priverait les Occidentaux de leurs moyens de pression sur l’Iran.

Or, pour Téhéran, les sanctions de l’ONU ont surtout une valeur symbolique car tant qu’elles sont en vigueur, le pays est toujours au banc de la communauté internationale. « Il s’agit principalement d’un enjeu de fierté nationale », insiste une source européenne. Mais pour sortir de cette impasse, un diplomate influent a laissé entendre que des « gestes » pourraient être faits, en levant certaines mesures contre des « personnes et des entités », mais ils seront limités car « la plupart des individus sont mouillés dans le programme de prolifération ».

A cela, s’ajoute un débat interne épineux entre les « Six » sur le « mécanisme », proposé par la France, pour réintroduire les sanctions de l’ONU, en cas d’infractions constatées de la part de l’Iran. La Russie, notamment, rechigne à approuver un procédé qui serait automatique car cela reviendrait à priver un membre permanent du Conseil de sécurité de son droit de veto.

Nombre de centrifugeuses

A la veille de l’échéance du 31 mars, une autre controverse a éclaté sur les modalités pour arriver à un « break-out » d’un an. Pour y parvenir, il faut agir sur plusieurs paramètres : le nombre de centrifugeuses – l’Iran en dispose de près de 20 000, dont la moitié en activité –, le modèle des machines utilisées, d’une puissance variable, et le stock d’uranium déjà enrichi. Or, l’Iran aurait refusé, dimanche, d’envoyer une grande partie de son stock en Russie, comme cela avait été envisagé, et demanderait maintenant de diluer son stock d’uranium, sous forme de gaz, sur le sol iranien. Un procédé destiné à rendre son utilisation à des fins militaires quasi impossible. Mais des diplomates occidentaux ont atténué la portée de cette volte-face, estimant qu’elle était surtout à usage interne et qu’elle ne constituait pas un problème « majeur » dans les négociations.

En dépit de la persistance de ces obstacles, il paraissait néanmoins peu probable, lundi, que les discussions de Lausanne s’achèvent sur un échec total. « Nous avons accumulé tellement de travail qu’il serait impardonnable de tout perdre », a déclaré Sergueï Ryabkov, le chef des négociateurs russes. « A un moment, il faut quand même dire oui ou dire non », a ajouté, de son côté, un responsable occidental. « On est dans une situation historique », tous les chefs de la diplomatie des pays négociateurs sont présents, a-t-il fait valoir. « On a beaucoup travaillé et ce sera beaucoup plus compliqué de reprendre des négociations après » la date butoir du 31 mars, a-t-il souligné.

Possible prolongation

Pour justifier une prolongation des tractations jusqu’à la fin juin, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, le principal acteur de ces pourparlers, avec son homologue iranien, ne peut pas retourner à Washington les mains vides. Pour convaincre un Congrès qui menace de faire dérailler le processus en adoptant de nouvelles rétorsions contre l’Iran, à partir de la mi-avril, M. Kerry doit pouvoir faire état d’avancées à Lausanne. De même pour M. Zarif, car les « durs » du régime de Téhéran, hostiles à tout rapprochement avec l’Occident, ne manqueront pas de dénoncer un « marché de dupes », si le négociateur iranien ne peut pas invoquer des concessions sur le dossier clé de la levée des sanctions.

Reste à régler la délicate question de la présentation de l’accord. Les Iraniens ne veulent pas d’un texte trop long et précis, afin de conserver une marge de manœuvre vis-à-vis de leur propre opinion publique et aussi pour ne pas être trop liés pour la suite des opérations. Quant aux Occidentaux, ils veulent s’assurer que le document contienne toutes les « garanties » nécessaires. « Il faudra des choses précises, quantifiées et avec des délais sur tous les principaux paramètres, les Américains ne peuvent pas retourner devant le Congrès sur la base de principes flous », souligne un diplomate.

A priori, les négociateurs s’orientent vers la rédaction d’une « déclaration », dont le contenu ne sera pas rendu public, mais qui fera l’objet d’une « communication » de la part de M. Zarif et de Federica Mogherini, la diplomate en chef de l’UE, qui coordonne les travaux du « P5 + 1 ». Il y a cependant un écueil de taille que l’ensemble des négociateurs veulent écarter à tout prix : conclure ce compromis le 1er avril pour éviter que les adversaires d’un accord qualifient aussitôt le texte de Lausanne de poisson d’avril…

Yves-Michel Riols (Lausanne, Suisse, envoyé spécial)
Journaliste au Monde


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