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Un mystère astronomique de 470 millions d’années

dimanche 6 juillet 2014

La roche tient le registre des temps révolus. On connaît les fossiles d’animaux ou ceux de plantes, qui nous font remonter les ères géologiques vers des espèces aujourd’hui disparues. On connaît moins les météorites fossiles, ces cailloux tombés du ciel il y a bien longtemps et que les sédiments ont conservés dans leur mémoire de pierre. Elles témoignent non pas de ce qui s’est produit sur Terre, mais de ce qui est arrivé dans l’espace.

La grande majorité d’entre elles viennent de la carrière de Thorsberg, dans le sud de la Suède. On y exploite des couches de calcaire d’une épaisseur totale approchant les 5 mètres, ce qui représente près de 2 millions d’années de dépôts. Ceux-ci datent du milieu de l’ordovicien, un moment du paléozoïque où la vie marine explose. En 1993, après la découverte par hasard de deux vieilles météorites dans le calcaire de Thorsberg, une équipe de scientifiques a entrepris, en accord avec le carrier, une recherche systématique de ces voyageuses célestes. Elle va ainsi montrer en 2004 que ces pierres venues de l’espace sont la trace d’une pluie de météorites qui s’est abattue sur Terre il y a 470 millions d’années après que, quelque part dans la grande ceinture d’astéroïdes, située entre Mars et Jupiter, un gros astéroïde, peut-être d’une centaine de kilomètres de rayon, a été percuté et brisé par un "impacteur" plus petit.

Les débris du gros astéroïde sont bien connus des astronomes : ils continuent de tomber sur Terre encore aujourd’hui. Connus sous le nom de chondrites de type L, ils représentent un quart des cailloux que nous recevons de là-haut. En revanche, au sujet de l’impacteur, le mystère est complet : de lui nous n’avons aucune trace. Dans une étude à paraître dans le numéro du 15 août des Earth and Planetary Science Letters (EPSL), cette équipe internationale (Suède, Suisse et Etats-Unis) d’astronomes et de géophysiciens annonce avoir trouvé un "Objet mystérieux" qui pourrait bien être la réponse à l’énigme. De 1993 à 2011, à Thorsberg, des dizaines et des dizaines de météorites (101 aujourd’hui) ont été patiemment extraites de la roche. Et à chaque fois il s’agissait de chondrites de type L, au point que, de l’aveu même de Birger Schmitz, le chercheur qui en faisait le catalogue, cela commençait à devenir "assez lassant". Mais, en juin 2011, tout change. Les carriers, habitués à repérer les météorites, découvrent une inclusion grise dans le calcaire beige qu’ils dégagent. Une sorte de galet de 8 centimètres de long sur 6,5 de large et 2 d’épaisseur. C’est l’Objet mystérieux auquel l’article des EPSL est consacré.

Avec le temps, ses minéraux de base ont largement été remaniés et transformés en argile mais cela n’a pas empêché l’analyse isotopique de prouver sans le moindre doute que l’objet était d’origine extra-terrestre et qu’il ne s’agissait pas d’une chondrite de type L, ni même d’une chondrite tout court. L’étude des grains de spinelle que la météorite contient montre que l’Objet mystérieux ne correspond à aucune autre des 49 000 météorites recensées sur Terre à ce jour. Il semble s’apparenter à un groupe rare, les winonaïtes. Mais il y a un hic. En général, les winonaïtes errent dans l’espace entre 20 et 80 millions d’années avant d’atterrir sur notre planète. Or, dans le cas de la météorite de Thorsberg, l’analyse de son exposition aux rayons cosmiques montre qu’elle n’a voyagé que pendant un "petit" million d’années, une sorte de trajet express. Or, un million d’années, c’est exactement la durée qu’ont mise les premières météorites de type L pour toucher Terre...

Pour les chercheurs, la coïncidence est trop belle pour en être une. Trois hypothèses s’offrent à eux. Les deux premières (1/une roche avec les caractéristiques de la météorite se trouvait à la surface du gros astéroïde percuté et a été éjectée avec le reste et 2/ un éclat de winonaïte provenant d’un astéroïde voisin a été arraché par ricochet) sont jugées assez peu probables. Les auteurs de l’étude privilégient donc la troisième : on aurait là un morceau de l’impacteur dont l’essentiel a sans doute été vaporisé dans la collision. Ce fragment-là aurait échappé à la destruction et atteint notre planète après une sorte de voyage de groupe avec les chondrites. Selon l’article des EPSL, une collision de ce genre dans la grande ceinture d’astéroïdes, capable de détruire un astéroïde aussi gros, peut théoriquement se produire quatre fois par milliard d’années.

L’événement astronomique du milieu de l’ordovicien a d’ailleurs peut-être eu des conséquences terrestres plus importantes qu’une simple pluie de météorites (étalée sur des centaines de milliers d’années voire davantage). Dans une étude parue en 2001 dans les EPSL, Birger Schmitz et deux de ses collègues notaient ainsi que, quand on rangeait par date les cratères terrestres résultant d’un impact avec un gros objet céleste, on avait un curieux pic correspondant à... 470 millions d’années.


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