MosaikHub Magazine

« L’Etat n’a pas le droit de laisser notre société aller à une telle dérive »

jeudi 16 avril 2015

Sans pancartes ni slogans, des milliers de catholiques ont marché mercredi dans les rues de Port-au-Prince en signe de solidarité notamment avec les communautés religieuses victimes de l’insécurité dans le pays ces derniers mois. Cette marche, qui s’est terminée à la cathédrale de Port-au-Prince où une messe a été chantée en la circonstance, a également servi de prétexte aux initiateurs pour formuler des recommandations aux autorités et pour exiger que la lumière soit faite sur les attaques perpétrées contre les religieux (ses).

« Marche de solidarité et de compassion avec toutes les victimes d’agression. Nous disons non à la violence ! Non à la barbarie ! Justice ! Justice ! Justice ! » Tels étaient les mots estampillés aux couleurs de notre bicolore sur une banderole au fond blanc portée à l’avant de cette marche organisée mercredi par la Communauté haïtienne des religieux (ses) (CHR), pour protester contre les actes d’insécurités dont sont victimes certains des siens, depuis quelques mois dans le pays. Partis de la rue M, en face du local de ladite institution religieuse, les marcheurs ont gagné l’avenue Jean Paul II, la rue Capois, Lalue, les rues Pavée et Mgr Guilloux pour aboutir à la cathédrale de Port-au-Prince.

Des congrégations de sœurs, de prêtres, des fidèles, des écoliers, des étudiants, … ; ils étaient des milliers à prendre part à cette marche silencieuse, escortée sur tout le parcours par des agents de la PNH. Une situation qui a causé un embouteillage monstre pendant plusieurs minutes sur les différentes intersections débouchant sur le parcours. A la cathédrale [transitoire] de Port-au-Prince où une messe, présidée par Guire Poulard, archevêque de Port-au-Prince, a été chantée à l’occasion. Plusieurs personnes, n’ayant pas participé à la marche, y avaient déjà pris place. En un clin d’œil, l’enceinte de cet édifice érigé en novembre 2014 « en attendant la mobilisation des 45 millions de dollars » pour construire le bâtiment définitif de la cathédrale était remplie comme un œuf. Si bien qu’il y avait presque autant de personnes à l’extérieur qu’à l’intérieur.

« Nou se yon pèp Bon Dye voye pou fè tout bagay mache dwat, nou se yon pèp Bon Dye voye pou fè sèvis li… », a chantonné d’emblée l’assemblée au moment de la possession d’entrée. Plus d’une centaine de prêtres et trois messeigneurs, entre autres, prennent place sur l’autel. Quelques minutes plus tard, la sœur Martine Prévit, de la congrégation Saint-Louis de charité, était appelée à livrer un message prévu pour l’occasion.

Il importe de rappeler que depuis quelques mois, des religieux et religieuses font « systématiquement » l’objet des actes de cambriolage, d’intimidation, de bastonnade par des individus armés. Selon la sœur Martine, ses actes, qu’elle qualifie de barbarie, témoignent d’un non-respect des valeurs religieuses dans le pays, croyant dur comme fer qu’ils (les religieux) sont ciblés par ces attaques. « Cela nous fait d’autant plus mal que les congrégations féminines et étrangères n’en ont pas été épargnées. C’en est trop !... », a déclaré la sœur Prévit devant cette assemblée où les autorités ont brillée par leur absence.

« Père, pardonne-les ! Ils ne savent pas ce qu’ils font », a-t-elle repris les paroles de Jésus qui, sur la croix, a demandé du pardon pour ses bourreaux. N’empêche qu’elle a interpellé les autorités à assumer leur responsabilité en vue de mettre la main au collet des malfrats et de faire lumière sur cette affaire. « L’Etat n’a pas le droit de laisser notre société aller à une telle dérive, a-t-elle ajouté. Les autorités judiciaires doivent diligenter une enquête en bonne et due forme afin de trouver les coupables… Justice et paix exigeons-nous pour nos communautés et le pays en général. »

Plus loin, Martine Prévit a fait état de plus d’une quarantaine de religieux et religieuses qui ont été victimes de novembre 2014 à nos jours par les malfaiteurs, en citant, cas par cas, ces crimes, ainsi que l’endroit et le lieu où chacun (de ces crimes) a été commis sur le territoire. « Nous offrons au seigneur toutes ces victimes pour qu’il les soigne et qu’il sauve notre peuple de l’oppression économique, politique et sociale, a-t-elle poursuivi. Nous renouvelons notre engagement, à accompagner le peuple, à partager sa vie et à l’aider à prendre en mains sa destinée… »

Prenant la parole au nom de l’Archidiocèse de Port-au-Prince, Mgr Patrick Aris a, pour sa part, mis l’emphase sur l’apport du secteur religieux au pays, comme pour faire comprendre que les Haïtiens n’ont pas intérêt à persécuter les religieux dans la société. « C’est grâce aux religieux que nous avons une éducation, une formation professionnelle de qualité dans le pays. Ce sont les communautés religieuses qui s’engagent dans le domaine de la santé, qui travaillent avec les paysans, les enfants, qui encadrent les jeunes … Nous sommes souvent les seuls à aller dans les endroits les plus reculés du pays où aucune autorité de l’Etat n’est présente. Nous sommes les ambulanciers, les médecins, les infirmières, les agronomes, les ingénieurs des plus pauvres abandonnés dans le reste du pays… »

« Allons-nous laisser tomber toutes ces choses parce qu’on nous persécute ? Allons-nous abandonner la cause de Jésus-Christ ? », s’est interrogé le prélat. Et de répondre : « Nous n’allons pas abandonner le peuple haïtien seul dans cette situation d’insécurité. Ceux qui commettent des crimes,…, ne peuvent pas remporter la victoire sur l’évangile que nous vivons chaque jour dans notre vie », a-t-il rassuré.

Plus loin, Mgr Aris a exprimé son inquiétude du fait que la majorité des agresseurs sont encore en liberté, affirmant haut et fort qu’ils ne sont pas satisfaits des efforts déployés par les responsables dans le cadre de cette affaire. Il a par conséquent exigé notamment l’arrestation des autres bandits et le démantèlement de tous les gangs de criminels ; de la protection pour toutes les propriétés religieuses et spécialement les communautés religieuses ; de la protection et réparation pour toutes les victimes engagées auprès du peuple haïtien et de la protection et sécurité pour toute personne vivant sur le territoire national.

Selon des informations véhiculées par la Police nationale, le réseau de gangs qui attaque les communautés religieuses compte une quinzaine de membres, précisant que cinq d’entre eux ont été arrêtés et que les 10 autres sont encore en cavale. La PNH avait, en outre, annoncé l’ouverture d’une enquête afin de faire la lumière sur ce dossier. « Nous souhaitons vivement que cette enquête aille jusqu’au bout et permette de faire toute la lumière sur ces attaques programmées contre les communautés religieuses », a de son côté exigé le religieux Zamor C. Jean, qui réclame également que les bandits soient jugés et punis conformément aux lois haïtiennes…

AUTEUR

Bertrand Mercéus

mbertrand@lenouvelliste.com


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie