21 avril 1918. Von Richthofen, dit le Baron rouge, l’as de la Luftstreitkräfte, est abattu.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

"Kaput". Le sergent Ted Smout, du corps médical australien, arrive juste à temps pour recueillir la dernière parole du pilote du Fokker qui vient de se poser. Il n’en croit pas ses yeux. Affalé sur son siège, il a devant lui le corps sans vie du Baron rouge. L’as des as de l’aviation allemande. Celui qui compte quatre-vingts victoires officielles à son palmarès. Davantage que tout autre aviateur de la Grande Guerre. Manfred von Richthofen, 25 ans, ne sèmera plus jamais la mort dans le ciel. Soulagement et respect. C’est une mort pourtant bien peu glorieuse pour le héros allemand, dégommé en plein ciel par un tir venant du sol. Dégommé comme un perdreau de l’année...

Manfred Albrecht Freiherr von Richthofen est né dans une famille aristocratique installée du côté de Wroclaw (Pologne). Comme beaucoup de jeunes Prussiens, il intègre la cavalerie, mais demande rapidement sa mutation dans la toute jeune armée de l’air impériale. Il abat son premier ennemi en août 1915 alors qu’il n’est qu’observateur sur un avion de reconnaissance. Bientôt, le voilà pilote. Il abat un avion français au-dessus de Verdun, le 26 avril 1916. Mais il ne peut l’inscrire officiellement à son palmarès, parce que son adversaire est tombé du côté français, où les autorités allemandes ne peuvent vérifier sa déclaration de victoire. Le premier combat victorieux confirmé de Richthofen intervient le 17 septembre 1916. À partir de cette date, il enchaîne les victoires à une cadence infernale. Le pire, c’est qu’il ne se croit pas à la guerre, mais à une compétition sportive. Pour chaque avion mis au tapis, il s’achète une coupe en argent sur laquelle il fait graver la date et le type de l’avion abattu. À la 60e victoire, il doit arrêter sa collection, non par modestie, mais parce que l’argent commence à manquer en Allemagne.

Fragments d’os éparpillés dans son crâne

Contrairement à ce qu’on croit, le Baron rouge n’est pas un as de l’acrobatie aérienne. C’est surtout un fantastique malin qui sait reconnaître du premier coup d’oeil les proies les plus faibles au sein de la flottille ennemie. Exactement comme un prédateur dans la savane. Il plonge alors sur elle avec le soleil dans le dos pour bénéficier d’un avantage certain. Pour plus de sûreté encore, il demande également à des copains de couvrir ses deux flancs et son arrière. C’est ainsi que le 23 novembre 1916, il abat l’as britannique, le major Lanoe Hawker VC. Avant de piloter le triplan Fokker auquel on l’associe, il a acquis la plupart de ses victoires avec des Albatros qu’il a commencé à peindre en rouge en janvier 1917, quand il est nommé chef d’escadron. D’où son surnom de Baron rouge.

Durant le mois d’avril 1917, il abat vingt-deux avions britanniques, dont quatre en un seul jour. Le 6 juillet de la même année, il est touché à la tête. Complètement désorienté et ayant perdu une grande partie de sa vision, il parvient néanmoins à poser son appareil. Il doit subir plusieurs opérations pour retirer les fragments d’os éparpillés dans son crâne. Six semaines plus tard, en dépit des mises en garde des médecins, il est déjà en l’air. Jusqu’à sa mort, il souffre en permanence de maux de tête et de nausées. Son caractère également change.

"À notre ennemi vaillant et digne"

Le 21 avril 1918, jour de sa mort, le Baron rouge vole avec son escadron au-dessus de la Somme. Arrivé au contact d’avions canadiens, il choisit sa proie : un avion piloté apparemment par un novice, volant à faible altitude. Il commet alors une erreur - chose inhabituelle chez lui - en combattant au-dessus des lignes ennemies à basse altitude, ce qui le met à portée des tirs adverses. Lors de sa traque, il esquive de justesse un biplan qui plonge vers lui, avant de se cabrer brutalement pour éviter le crash. C’est durant ce court laps de temps que Richthofen reçoit la balle mortelle en pleine poitrine. Dans un suprême effort, il parvient à atterrir juste au nord du village de Vaux-sur-Somme, dans un secteur contrôlé par les Australiens.

Qui est l’auteur du coup de feu ayant tué l’as allemand ? Presque un siècle plus tard, la controverse n’est toujours pas close. Officiellement, la RAF a toujours attribué sa mort au capitaine Arthur Roy Brown, le pilote du zinc qui a piqué le Fokker du Baron rouge. Mais c’est en vérité strictement impossible, car la balle qui a frappé le pilote allemand vient du bas, et pas du haut. Pendant le combat aérien, plusieurs soldats australiens déchargent leurs armes sur l’avion. Lequel a touché Richthofen ? Plusieurs noms ont circulé sans qu’aucune certitude émerge. Mais, après tout, est-ce si important de savoir qui a réellement abattu le Baron rouge ? S’il y a une chose à souligner dans cette histoire, c’est le respect des soldats alliés pour le Prussien volant. Ils lui ont organisé des funérailles militaires. Six capitaines de l’armée de l’air portent son cercueil devant une garde d’honneur qui tire une salve. Sur son mémorial dressé dans le cimetière de Bertangles, près d’Amiens, une main anonyme a inscrit ces quelques mots : "À notre ennemi vaillant et digne
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