MosaikHub Magazine

Côte d’Ivoire : la leçon des maîtres de la sculpture

jeudi 23 avril 2015

L’auteur de "Léopold Sédar Senghor, l’art africain comme philosophie" pose son regard sur l’exposition du musée du Quai Branly.

Ces maîtres de la sculpture nous enseignent une chose essentielle lorsqu’il s’agit d’art : à regarder, ou plutôt à voir. À voir d’un regard qui est bien davantage que le seul sens de la vue. En effet, devant l’œuvre d’art, habituellement, on avance, on recule, on fait un pas de côté, bref, on calcule la bonne distance à laquelle il faut se tenir pour mieux la contempler, selon ce que l’on pense être la « bonne perspective ».Regarder, ici, c’est abolir toute notion de mise en perspective, et d’abord la distance qu’établit ce que l’on croit savoir de l’objet, autrement dit toutes les questions qui naissent de la posture ethnologique que l’on épouse trop souvent, d’emblée, lorsqu’il s’agit des arts d’Afrique : celles qui visent l’objet à travers sa fonction, religieuse, rituelle, sa signification sociale, bref, celles qui cherchent à le connaître par sa cause ; or, plutôt que de le comprendre par sa cause, il s’agit, pour le saisir comme œuvre, de le comprendre, d’abord, dans sa raison d’être. Une raison d’être qui est inscrite dans la manière dont il se donne à nous, dans l’énigme et l’évidence de son existence. Les questions ethnographiques de causalité viennent après la rencontre.Le regard qui abolit la distance, c’est aussi celui qui transmet à tout notre être le rythme propre de l’objet, c’est-à-dire sa puissance esthétique. Poser sur l’œuvre ce regard qui est tout à la fois sentir et toucher, c’est ainsi éprouver en nous-mêmes que nous devenons sereins. Sereins de la sérénité des masques aux yeux baissés, tournés qu’ils sont vers le dedans, vers une force tout intérieure à laquelle nous nous sentons invités à nous ouvrir. Regarder ces statuettes jumelles, par exemple, c’est sentir dans ses propres muscles, jusque dans ses reins, la cambrure de leurs deux dos courbés. Sentir que l’on est alors au spectacle d’une danse et que l’on danse aussi.


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