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Obama aussi refuse de parler de "génocide" arménien

jeudi 23 avril 2015

Pour ne pas heurter son allié turc au Moyen-Orient, le président américain a finalement renoncé à sa promesse de campagne après de vifs débats.

Par Armin Arefi (avec agences)

La Turquie n’est pas seule dans son entêtement à refuser l’évocation de tout "génocide" concernant le massacre de 1,5 million d’Arméniens sous l’Empire ottoman. Elle est suivie en ce sens par son plus grand allié au sein de l’Otan : les États-Unis. En prévision des commémorations du centenaire des massacres vendredi en Arménie, Barack Obama a appelé à une reconnaissance "pleine, franche et juste" des "atrocités de 1915", selon un communiqué de la Maison-Blanche publié mardi. Mais comme les années précédentes, le président américain a pris soin de ne pas prononcer le mot tabou.

Pour le plus grand plaisir de son homologue turc Recep Tayyip Erdogan. "Je n’aimerais pas entendre Obama dire quelque chose comme ça et je ne m’y attends pas de toute façon", s’est réjoui dans la foulée le président turc. "Pour la Turquie, la position américaine est très claire, elle est contre" la reconnaissance du génocide. "Tout au long de ces six années depuis qu’il est président, nous avons longuement parlé de cette question et convenu qu’elle devait être laissée aux historiens, pas aux dirigeants politiques", a-t-il ajouté.

Message d’apaisement de la Turquie

Profitant des commémorations à venir pour lancer un message d’apaisement, Ankara a néanmoins indiqué "partager les souffrances des enfants et des petits-enfants" des Arméniens et présenté ses "condoléances" aux descendants des victimes, selon un communiqué du bureau du Premier ministre Ahmet Davutoglu. Mais soucieux de ne pas entacher la mémoire des fondateurs de la Turquie moderne avec un terme qui les placerait sur le même plan que les nazis, le gouvernement turc persiste à évoquer des "massacres mutuels" survenus lors du démantèlement de l’Empire ottoman, dont elle est l’héritière.

À ce sujet, Barack Obama tenait pourtant un tout autre discours du temps où il était sénateur de l’Illinois. En campagne pour la présidence de 2008, le candidat démocrate parlait volontiers de "génocide", promettant même de prononcer ce mot à la Maison-Blanche s’il était élu. Mais arrivé au pouvoir, le président américain a été rattrapé par la realpolitik. Dans un souci de ne pas heurter son allié au Moyen-Orient, pilier oriental de l’Otan avec lequel les États-Unis sont liés en vertu d’un partenariat stratégique, Barack Obama s’est tu. À contrecoeur.

Promesse de campagne

À en croire plusieurs hauts responsables américains cités par l’agence de presse Associated Press, de vastes débats auraient agité Washington au cours de la semaine passée sur l’occasion de briser le tabou en cette année de centenaire. Et ainsi emboîter le pas au pape, qui a provoqué la fureur d’Erdogan la semaine dernière en osant parler pour la première fois de "génocide" arménien.

D’un côté, des responsables de la Maison-Blanche et du département d’État, davantage spécialisés sur les questions relatives aux droits de l’homme, ont enjoint au président de profiter de l’occasion pour honorer sa promesse de campagne. C’est le cas de Samantha Power, ambassadrice américaine auprès des Nations unies, qui avait exhorté en janvier 2008 la communauté arménienne des États-Unis à voter pour le candidat démocrate en échange de l’évocation publique du "génocide" arménien.

Face à eux se sont dressés d’autres officiels beaucoup plus réalistes, tant au département d’État qu’au Pentagone. Ils ont souligné au contraire qu’une telle décision pouvait sérieusement nuire aux relations bilatérales entre les deux pays, à un moment où les États-Unis ont cruellement besoin de l’aide turque dans la lutte contre l’organisation État islamique. Toujours selon les hauts responsables cités par Associated Press, la sécurité des 1 500 soldats américains présents en Turquie a également été évoquée. Au pied du mur à la veille de la date fatidique, Barack Obama a finalement tranché.

"Sauver des vies dans le présent" (haut responsable américain)

Aucun mot ni référence aux massacres d’Arméniens ou aux commémorations du 24 avril n’a été publiquement prononcé par le secrétaire d’État américain John Kerry et son homologue turc Mevlut Cavusoglu, à l’occasion de la visite de ce dernier à Washington mardi. Toutefois, la Maison-Blanche a précisé dans son communiqué que la conseillère de Barack Obama pour les affaires de sécurité, Susan Rice, avait encouragé le chef de la diplomatie turque à lancer un dialogue ouvert en Turquie sur les "atrocités de 1915". Interrogé par Associated Press, un haut responsable américain a défendu cette décision "aussi bien pour la reconnaissance du passé, que pour notre capacité à travailler avec des partenaires régionaux pour sauver des vies dans le présent", autrement dit au Moyen-Orient.

Tandis que la France et la Russie, qui font partie de la vingtaine de pays au monde reconnaissant le génocide arménien, s’apprêtent à envoyer leur président à Erevan vendredi, les États-Unis se contenteront de leur secrétaire au Trésor, Jack Lew.


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