MosaikHub Magazine

25 avril 1328. Le trésorier de Charles IV est pendu pour avoir trop pioché dans le trésor royal.

samedi 25 avril 2015

Au XIVe siècle, les rois nouvellement sacrés font pendre le trésorier en place pour lui piquer une fortune souvent mal acquise.


Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Au XIVe siècle, les souverains français montant sur le trône trouvent un moyen efficace de renflouer le Trésor royal qu’ils découvrent souvent vide. Ils font arrêter le trésorier de leur prédécesseur et ordonnent sa pendaison avant de s’emparer de sa fortune, supposée volée dans le cadre de ses fonctions. Le 25 avril 1328, Philippe VI fait donc pendre Pierre de Rémy, trésorier de Charles IV le Bel durant six ans.

Il faut dire que ce Rémy, d’origine modeste, a accumulé une fortune considérable grâce aux dons du roi Charles IV et à diverses petites combines. "On faisait monter, dit l’historien Félibien, la confiscation de ses biens à douze cent mille livres, qui étaient le fruit aussi bien que la preuve de ses pilleries." Une fois arrêté, le trésorier comparaît devant le Parlement présidé par le roi accompagné de vingt-cinq princes et seigneurs et de dix-huit chevaliers. Le jour même, il est condamné pour "péculat" et immédiatement conduit au gibet. À l’époque, les tribunaux sont expéditifs.

Voilà donc le financier traîné derrière une charrette qui s’arrête devant le gibet de Montigny. Il faut le situer au début de l’actuelle rue des Récollets, du côté du canal Saint-Martin. Quand Rémy comprend qu’on veut l’exécuter là, il pique une sacrée colère ! Mais bon Dieu, cherche-t-on à l’humilier ? Qu’on le pende, d’accord, mais pas au gibet de Montigny ! Ce n’est pas qu’il veuille se hausser du col, mais ce lieu d’exécution est réservé aux voleurs de deuxième classe. C’est un scandale. Rémy se tourne vers les archers, les officiers de justice et le bourreau qui l’accompagnent pour leur réclamer d’être mené au gibet de Montfaucon, situé à deux pas de là et qu’il a lui-même fait restaurer trois ans auparavant. Ça, c’est du gibet de première classe où il fait bon être pendu ! Construit un siècle plus tôt, il est destiné aux VIP, tandis que celui de Montigny sert d’annexe qu’on utilise pour les petites crapules ou quand le premier fait relâche pour entretien.

Haute trahison

Il ne faut pas voir les gibets de l’époque comme de simples potences en bois, il s’agit de constructions élaborées. Le gibet refusé par Rémy est, par exemple, constitué de quatre poteaux de bois hauts de six mètres reliés à leur sommet par de grosses poutres. Au sol, ces poteaux sont consolidés par un mur en pierres qui les ceinture. Ces fourches patibulaires, comme on dit, ne servent pas qu’à pendre, mais aussi à exposer les corps des condamnés exécutés en d’autres lieux et d’autres façons. Le bourreau doit parfois faire preuve d’imagination, les corps ne lui arrivant pas toujours en parfait état : les décapités sont suspendus sous les aisselles, les malheureux dont le corps a été bouilli sont mis dans un sac. On accroche également les corps des suicidés. Même des animaux ont droit au gibet, comme des porcs condamnés lors de procès en bonne et due forme pour avoir dévoré des enfants. Pour ne pas heurter la décence, ils sont revêtus d’habits d’hommes.

Pour éviter Montigny, Pierre de Rémy ne trouve pas mieux que de s’accuser de nombreux crimes, et même de haute trahison contre le roi et l’État. Et ça marche, le voilà traîné vers le gibet de Montfaucon. Celui-ci en impose. Aujourd’hui, son emplacement est occupé par le quadrilatère formé par le quai de Jemmapes et les rues Louis-Blanc, des Écluses-Saint-Martin et de la Grange-aux-Belles. L’apparence du gibet a évolué au fil des siècles, mais, grosso modo, il est constitué d’un socle en pierres de douze à quatorze mètres de long sur dix à douze mètres de large, sur lequel s’élèvent seize piliers de pierres hauts d’une dizaine de mètres, reliés entre eux par des poutres en bois. Selon les gravures qui nous sont parvenues, le gibet aurait eu deux ou trois étages. Des chaînes en fer sont fixées sur les poutres pour servir à accrocher les corps qui restent exposés plusieurs mois, se desséchant ou pourrissant. Entre soixante et quatre-vingts personnes peuvent ainsi faire le guet à Montfaucon. Lorsque les corps sont décrochés, ils sont jetés par une trappe située sur le socle.

Pierre de Rémy reçoit donc l’honneur d’être pendu à Montfaucon et même, petite gâterie, à l’étage supérieur. Voilà qui satisfait également l’auteur anonyme du graffiti suivant sur le pilier principal : "En ce gibet, ici emmy, sera pendu Pierre Rémy." Les biens confisqués du trésorier servent en partie à éponger les dettes du roi et à récompenser certains de ses favoris. Sa famille perçoit cependant quelques miettes.


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie