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28 avril 1912. L’anarchiste Jules Bonnot est abattu après avoir tenu tête à 20 000 assaillants.

mardi 28 avril 2015

Après un siège de plusieurs heures, le gangster finit par être abattu dans un garage de Choisy-le-Roi.


Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

À l’aube du 28 avril 1912, Jules Bonnot se réveille dans le garage de son pote Joseph Dubois, à Choisy-le-Roi. Il a passé une sale nuit, ses flingues à portée de main. L’anar est aux abois. Mais faut-il vraiment le qualifier d’anarchiste ? Depuis cinq ans, le bonhomme multiplie les attaques à main armée surtout pour se faire du pognon. Lui, anar ? Quoi qu’il en soit, cette nuit-là Bonnot n’a dormi que d’un oeil, sachant que toutes les polices de France sont sur ses traces depuis qu’il a abattu le numéro deux de la Sûreté nationale, trois jours plus tôt, à Ivry. Mais bon Dieu, cet imbécile de Louis Jouin l’avait bien cherché à vouloir le ceinturer au lieu de l’abattre directement.

À 35 ans, Jules Bonnot s’en est donné à coeur joie dans le gangstérisme, surtout au cours des derniers mois. Le 21 décembre 1911, avec ses complices Garnier et Callemin, il effectuait une grande première : le braquage d’une banque en voiture automobile, et c’était lui qui était au volant ! Il n’avait donc pas choisi n’importe quelle bagnole, mais une Delaunay-Belleville verte et noire de 12 CV. Un engin de luxe. La suite n’a été qu’une folle randonnée parsemée de braquages et de morts.

Voilà comment Bonnot se trouve, ce dimanche matin, blessé à la main, planqué chez son dernier ami resté fidèle, Joseph Dubois. S’il sympathise avec l’anarchisme, ce dernier n’a jamais voulu, pour autant, participer aux attaques de la bande. Il bricole dans le garage qu’il s’est construit sur un terrain donné par un sympathisant à la cause, Fromentin, surnommé le "milliardaire anarchiste". C’est une bâtisse de plâtre et de mâchefer flanquée d’un petit escalier de bois menant à deux chambres sous les toits. Ce qu’il ne sait pas, Bonnot, c’est que le pharmacien de Choisy à qui il a acheté des pansements pour soigner sa main blessée l’a reconnu et dénoncé à la police. Celle-ci a donc passé discrètement le quartier au peigne fin et a fini par apprendre qu’on avait vu un inconnu s’introduire chez Dubois sans que le chien aboie. À 7 h 30, le chef de la Sûreté, Guichard, accompagné de son adjoint et de deux secrétaires, se présente devant le garage.

"À l’assassin !"

Derrière eux, quatorze inspecteurs de la Sûreté, venus en voiture, se planquent. Guichard empoigne son pistolet avant de pousser doucement la porte du garage. Il aperçoit alors Dubois s’apprêtant à enfourcher une moto. Un des agents qui l’accompagnent tire sans attendre sur l’anarchiste, mais son arme s’enraye. Dubois gueule : "À l’assassin !" Il saisit un pistolet. Sa balle atteint l’agent au bras. Une fusillade s’engage, le chef de la Sûreté la fait cesser pour donner l’ordre au garagiste de sortir les mains en l’air. Blessé à l’épaule et au poignet, celui-ci recule sans répondre. Un agent, se sentant en légitime défense, lui tire une balle dans la carotide. Dubois tombe, mort, les bras en croix.

Craignant la venue de ses complices, les flics dégagent du garage. C’est alors qu’ils aperçoivent un homme se tenant sur le palier de l’escalier extérieur. C’est Bonnot. Celui-ci ouvre immédiatement le feu, touchant au ventre l’inspecteur Augêne, qui s’écroule. Des collègues parviennent à le traîner jusqu’à un débit de vin voisin. Pendant ce temps, la foule ne cesse de grandir autour du garage, attirée par la fusillade. Depuis sa position dominante, l’anarchiste arrose tous azimuts, ne s’interrompant que pour recharger son arme.

Guichard comprend que la partie ne va pas être facile, mais, au moins, il n’aura pas le Raid ou le GIGN dans les pattes pour lui saboter son siège. Il charge un de ses hommes d’aller au café voisin pour téléphoner à la préfecture afin de demander du renfort. En attendant, un pompier qui passait par là prête main-forte aux flics. Entre fonctionnaires... Il dégote huit fusils et des cartouches qu’il distribue à des soldats en permission attirés par le remue-ménage. On ne refuse pas une proposition de s’entraîner. Les voilà donc qui s’allongent sur le sol pour commencer à tirer, transformant la baraque en gruyère. Les renforts débarquent enfin. D’abord une compagnie de la garde républicaine en voiture, puis des agents de réserve, des inspecteurs, des gendarmes. Plus on est de fous, plus on s’amuse.

Testament politique

Entre les forces de l’ordre et les voisins venus aider, il y aurait quelque 500 hommes armés arrosant le garage d’un déluge de balles. C’est Fort Alamo. Bonnot seul contre tous. Mais l’anarchiste ne désarme pas. De temps à autre, on aperçoit son bras sortir par la porte ou une fenêtre pour tirer quelques balles. Vers 10 heures, le gangster tient toujours tête. Un "cinématophiste" présent sur place filme l’arrivée de nouveaux renforts, et même d’une mitrailleuse lourde. Voici encore le chef de cabinet du ministre de l’Intérieur et d’autres notables. La foule, elle aussi, gonfle. Il y aurait désormais 20 000 curieux pour assister à la curée contre le monstre. Vers 10 h 45, l’assiégé ne répond plus aux tirs. Certains pensent qu’il s’est suicidé. Mais non, Bonnot est en train d’écrire son testament politique.

Pour déloger Bonnot, le préfet Lépine, jamais à court d’inventions, ordonne de dynamiter la maison. Un gendarme avance avec une voiturette bourrée d’explosifs, se protégeant derrière un matelas. La protection improvisée, que même Charlie Chaplin n’aurait pas osé imaginer, tombe, obligeant le gendarme à rebrousser chemin. Deux camionneurs, Puche et Meunier, proposent alors de faire reculer vers leur garage leur charrette remplie de foin, attelée à un cheval. Le lieutenant Fontan de la garde républicaine se planque derrière avec des bâtons de dynamite. Quand la carriole atteint le mur du garage, le chien de Dubois se jette sur le lieutenant pour le mordre. Il faut l’abattre d’une balle. Fontan dépose une cartouche reliée à un cordon Bickford, il allume la mèche avant de se retirer derrière la charrette. Mais pas d’explosion. Il faut recommencer. Cette fois, le coup part, mais l’explosion est trop faible pour ouvrir une brèche dans le mur. Le cheval blanc attelé à la carriole se tord de rire. La troisième tentative est la bonne : la moitié du mur s’effondre, tandis qu’un incendie embrase la maison.

"À mort, Bonnot !"

D’enthousiasme, la foule, forte maintenant de 30 000 curieux, se précipite en hurlant : "À mort ! À mort ! On tient Bonnot ! À mort, Bonnot !" Les forces de l’ordre ont beaucoup de mal à la retenir. Durant vingt minutes, les pompiers arrosent la maison pour éteindre l’incendie. Mais de Bonnot, aucun signe de vie. Est-il mort ? Prépare-t-il un piège ? Guichard, Lépine et une douzaine d’agents se rapprochent de la maison protégée par la charrette tirée par le cheval, qui commence à trouver la plaisanterie saumâtre. Les assaillants se jettent à plat ventre pour pénétrer par le trou béant dans le mur. Ils butent sur le cadavre de Dubois. Pendant ce temps, le lieutenant Fontan, suivi de policiers, escalade avec précaution l’escalier extérieur. Tous s’engouffrent dans la première chambre. Vide. Il y en a une deuxième. Fontan saisit un matelas pour se protéger, il pousse la porte et tire quatre balles au jugé. Dans la pièce, Bonnot, gravement blessé par l’explosion, s’est caché entre deux matelas. Dunlopillo aurait-il sponsorisé l’assaut ? L’anarchiste tire une première balle sur le lieutenant, qu’il rate, puis une deuxième dans sa propre tête, pour en finir. En même temps, les inspecteurs qui se précipitent lui logent onze balles dans le corps. L’anarchiste mourant jette "Tas de V..."

Agonisant, Bonnot est transporté au bas de l’escalier, où la foule ayant échappé à tout contrôle se jette sur lui pour l’écharper. Les forces de l’ordre parviennent à déposer le moribond dans une voiture qui l’emporte à l’hôpital de l’Hôtel-Dieu de Paris. Durant le trajet, Bonnot, ensanglanté, jette encore quelques injures, avant de rendre l’âme lorsque l’automobile franchit le pont Notre-Dame. Dans les décombres du garage, on découvre le testament de Bonnot, constitué d’une quinzaine de feuillets couverts d’une écriture serrée tracée au crayon. Le bandit anarchiste y crache sa haine de la société et des "exploiteurs qui font travailler les pauvres diables". Il y fait également quelques confidences. Larmoyantes : "Depuis la mort de ma mère, je n’ai plus rencontré une seule affection..." Arrogantes : "Je suis un homme célèbre, la renommée claironne mon nom aux quatre coins du globe et la publicité faite autour de mon humble personne doit rendre jaloux tous ceux qui se donnent tant de peine à faire parler d’eux et qui n’y parviennent." Revendicatrices : "Il me faut vivre ma vie. J’ai le droit de vivre, et puisque votre société imbécile et criminelle prétend me l’interdire, eh bien, tant pis pour elle, tant pis pour vous tous."

La foule, se fichant des dernières pensées du criminel, envahit le garage pour récupérer un souvenir. Des dames, dit-on, auraient trempé leur mouchoir dans le sang de Bonnot. Qui est le sauvage dans cette histoire ?

Les deux derniers membres de la bande, Garnier et Valet, seront à leur tour assiégés le 14 mai dans un pavillon de Nogent-sur-Marne. Eux également mèneront une défense acharnée
C’est également arrivé un 28 avril

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