MosaikHub Magazine

Ben Johnson : « J’ai été contrôlé positif parce que j’ai changé d’équipementier »

jeudi 10 juillet 2014

C’est une histoire de chaussures à pointes qui serait à l’origine du contrôle positif de Ben Johnson en 1988, le plus grand scandale de dopage aux JO. Une rumeur avait filtré en décembre dernier : après un dîner en Slovénie avec l’ancien sprinteur canadien en marge d’un documentaire sur le dopage, l’acteur finlandais Janne Reinikainen a rapporté les propos qu’aurait tenus le héros déchu de Séoul : le résultat du test n’aurait jamais été rendu public s’il n’avait pas changé de sponsor. Joint par téléphone, Ben Johnson accepte pour la première fois de donner publiquement sa version de l’affaire dans un entretien exclusif.

Pourquoi avez-vous changé de marque de chaussure entre votre titre mondial en 1987 et les Jeux de Séoul en 1988 ?

J’étais chez Adidas jusqu’en 1987. Après mon titre et mon record du monde, lors de la renégociation de mon contrat, ils n’ont pas voulu payer ce que je demandais. Or, au même moment, un agent de chez Diadora, m’a promis 2,5 millions de dollars sur 4 ans. Mon agent est alors revenu vers Adidas avec cette même proposition. Nouveau refus, c’était trop d’argent... Alors j’ai rejoint la compagnie italienne. De son côté, Carl Lewis a quitté Nike en très mauvais termes et est lui aussi allé vers une nouvelle marque, Mizuno, une compagnie japonaise qui émergeait aux États-Unis. Lui et moi avions donc signé de gros contrats avec un gros bonus pour celui qui remporterait la finale du 100 m à Séoul. Certains ont fait en sorte que Lewis me batte.

Depuis l’annonce du contrôle positif au stanozolol, vous avez toujours avancé la thèse du sabotage. Or, lors de la Commission Dubin (1), vous avez reconnu avoir commencé à vous doper en 1981.

Je n’ai pas pris ce produit à Séoul. D’une part, c’était impensable de prendre des drogues juste avant une compétition, c’était seulement pour l’entraînement. D’autre part, nous n’avions utilisé le Stanozolol brièvement au début des années 80 et nous nous étions vite rendu compte qu’il rendait les muscles trop raides.

Dans votre autobiographie (2), vous racontez la rencontre avec l’ « homme mystère », un certain André Jackson qui vous aurait dopé à votre insu

Oui, c’est lui que l’on voit trinquer avec moi dans la salle de contrôle antidopage, la photo est dans le livre de Carl Lewis (3). Il n’avait rien à faire là, mais apparemment, il avait été missionné par le clan Lewis pour vérifier que je ne prenne pas d’agent masquant pour fausser le contrôle. Il s’est rapproché de moi en 1986, à cette époque je ne savais pas qu’il faisait partie de l’entourage de Lewis. Il était présent lors de plusieurs compétitions et bien sûr à Séoul. J’ai écrit dans mon livre qu’André m’a avoué en 2004 avoir piégé ma bouteille d’eau la veille des séries du 100 m avec des stéroïdes qu’il avait acheté au Texas. Il refuse de parler publiquement, il a seulement déclaré « peut-être que je l’ai fait, peut-être pas... ». S’il ne l’avait pas fait, il aurait clairement nié, c’est évident ! Et il m’a dit aussi qu’il m’avait déjà piégé auparavant, notamment au meeting de Zurich en 1986, mais que ça n’avait pas marché… Or, ça aurait dû marcher…

Vous voulez dire que certains de vos contrôles positifs ont été couverts ?

Oui, je l’ai réalisé immédiatement après celui de Séoul. Tout est alors devenu très clair dans mon esprit. Quand on regarde les résultats de l’époque, seuls les athlètes de chez Adidas n’étaient jamais contrôlés positifs (4). Pourquoi ? Parce que la compagnie avait de bonnes relations avec le Comité International Olympique. Il fallait éviter les scandales et ternir l’image d’Adidas. J’ai été contrôlé positif parce que j’ai quitté Adidas. Si j’étais resté chez eux, rien de tout cela ne serait arrivé. Le sport-business est vraiment très sale, vous savez…

Pourquoi n’avoir pas fait cette révélation plus tôt ?

C’est la Commission Dubin qui a tout faussé. Pour que les entretiens soient plus simples, on était supposé dire certaines choses, il fallait qu’on admette avoir pris des stéroïdes et mettre un terme à cette histoire pour passer à autre chose…

(1) du nom de Charles Dubin, avocat canadien qui a mené la "Commission d’enquête sur le recours aux drogues et aux pratiques interdites pour améliorer la performance athlétique" pendant trois mois à partir de janvier 1989.

(2) Seoul to Soul, 2010

(3) Inside Track, 1992

(4) En réalité, peu d’athlètes de premier plan ont été contrôlés positifs lors d’évènements majeurs dans les années 80. Les quatre principaux, la demi-fondeuse Sandra Gasser, le fondeur Martti Vainio et les lanceurs Anna Veroui et Ben Plucknett n’avaient effectivement pas de chaussures Adidas aux pieds, mais la liste est trop courte pour pouvoir en tirer des généralités sur le système que veut dénoncer Ben Johnson.

Ben Johnson a participé cet automne à une campagne de prévention contre le dopage #ChooseTheRightTrack devant aboutir à une pétition et des propositions déposées au Comité International Olympique.

Contacté par Le Monde, Adidas n’a pas souhaité faire de commentaire.

À lire au sujet des dernières déclarations de Ben Johnson : les dessous de la "course la plus sale de l’Histoire"


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie