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Est-ce bien de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes ?

vendredi 1er mai 2015

MERCI DE L’AVOIR POSÉE Le droit de vote des femmes ? Pour plusieurs hommes politiques, c’est au général de Gaulle qu’il faut dire « merci ». Une vision un peu enjolivée du suffrage féminin, qu’on doit d’abord à un député communiste... et à des années de luttes féministes

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Il y a 70 ans jour pour jour, les Françaises votaient pour la première fois. Pour célébrer cet anniversaire, plusieurs membres de l’UMP se sont félicités sur Twitter. « C’est le général de Gaulle qui a donné le droit de vote aux femmes, ne l’oublions pas » estime Jean-Pierre Lecoq, maire du 6e arrondissement de Paris. Le député Jean-François Mancel dit, lui, « merci » à Charles de Gaulle, tandis que Xavier Bertrand s’enthousiasme : « Il y a 70 ans le général de Gaulle permettait aux femmes d’exercer leur droit de voter pour la première fois en France. »



De Gaulle, nouvelle icône féministe ? Doit-on vraiment réserver toutes nos louanges au général ? Pas vraiment. « Il ne s’agit pas de nier qu’il a joué un rôle puisque c’est bien lui qui signe l’ordonnance du 21 avril 1944 qui instaure le droit de vote des femmes, décrypte Christine Bard, professeure d’histoire à l’université d’Angers et auteure des Femmes dans la société française au XXe siècle. Mais cette décision n’est pas prise par lui tout seul, mais collégialement par l’assemblée consultative d’Alger, par un vote. »

La proposition d’étendre le droit de vote aux femmes est d’ailleurs avancée par un communiste, Fernand Grenier. Au départ, le texte ne prévoyait que d’instaurer l’éligibilité des Françaises. Fernand Grenier propose d’y ajouter le droit de vote. Cela donnera : « Les femmes sont éligibles et électrices dans les mêmes conditions que les hommes ». Le texte est voté par 51 voix contre 16.

Il est donc un peu hâtif de présenter Charles de Gaulle comme le grand instigateur du suffrage féminin. « Il ne faut pas réécrire l’histoire : le droit de vote des femmes n’était pas un sujet particulièrement important pour de Gaulle, précise Christine Bard. Dans ses mémoires, le droit de vote tient en trois lignes. Il avait des conceptions traditionnelles sur le rôle des femmes, même si cela ne l’a pas empêché d’accepter l’idée de la citoyenneté des femmes, plus aussi subversive qu’au XIXe siècle. »

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En 1944, le suffrage féminin est presque devenu une obligation : il s’agit pour la France de rattraper son (grand) retard vis-à-vis des autres pays européens. Le Sénat, qui bloquait jusqu’alors toute évolution, n’existe plus. « Il aura fallu ces circonstances très exceptionnelles pour que les Françaises puissent voter. C’est beaucoup plus complexe que l’idée du grand homme qui "accorde" ce droit. »

Conquis

D’ailleurs, oublions les termes « donner », « accorder » voire « octroyer ». « Utiliser ces mots, c’est faire comme si les femmes étaient passives, indifférentes, comme si elles ne l’avaient pas vraiment demandé », s’agace l’universitaire. « C’est un mythe que les Françaises étaient peu investies. Certes, en France, le mouvement a été moins radical qu’en Angleterre, plus respectueux de la légalité. Mais il y a eu un mouvement suffragiste très riche, avec de nombreuses associations, des journaux, des dizaines de milliers de militants. Le problème, c’est l’oubli. On n’a pas valorisé cette histoire dans notre mémoire collective. »

Au sortir de la guerre, c’est la participation des femmes à la résistance qui va jouer comme argument de poids : on ne peut pas refuser des droits politiques à des femmes qui se sont battues contre les nazis. Mais cette raison invisibilise tout un passé de luttes féministes pour le droit de vote. « Dès 1944, on occulte le rôle des suffragistes. On les oublie alors que si les femmes ont gagné le droit de vote, c’est parce que des suffragistes l’ont réclamé pendant des décennies. »

Pour remettre les pendules à l’heure, la ministre de la Justice Christiane Taubira s’est, elle aussi, fendue d’un petit tweet : « Non, ni donné ni octroyé, conquis ! Par des générations de femmes opiniâtres, ingénieuses, courageuses, résistantes. Merci. »


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