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4 mai 1897. La soeur de l’impératrice Sissi flambe dans l’incendie du Bazar de la charité.

mardi 5 mai 2015

La duchesse d’Alençon, épouse du petit-fils de Louis-Philippe, périt avec 125 membres du gotha parisien lors d’une vente de bienfaisance.


Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

En fin d’après-midi, ce 4 mai 1897, une odeur de chair grillée se répand dans le 8e arrondissement de Paris. Cette odeur horrible odeur provient d’un incendie qui embrase le Bazar de la charité, au 17 de la rue Jean-Goujon, où se déroule une réunion de bienfaisance. Le hangar en bois de 1 000 mètres carrés abritant la vente s’est brutalement enflammé, piégeant toutes les dames de la haute dont les longues robes se transforment en torches. Hurlements de terreur ! Sauve-qui-peut général ! Agonies terribles ! Qui sème la charité récolte l’incinération. Et Dieu dans tout ça ? Comme d’habitude, il tourne pudiquement les yeux ailleurs...

Pourtant, cette journée avait merveilleusement bien débuté. Dès le matin, la foule de précipite dans le Bazar où les architectes ont reconstitué une rue de Paris au Moyen Âge, avec ses éventaires, ses échoppes aux enseignes farfelues, ses étages en trompe-l’oeil et ses murs tapissés de feuillages et de lierres. Les enseignes rappellent les temps anciens : "À la truie qui file", "Au lion d’or", "Au chat botté"... Au total, vingt-deux stands proposent lingerie, colifichets et objets en tout genre collectés pour la grande vente. Tous les bénéfices doivent être reversés aux pauvres, aux invalides, aux orphelins... En début d’après-midi, le hangar se remplit à vue d’oeil, près de 1 200 personnes sont déjà là. Surtout des femmes qui adorent, une fois par an, donner un peu de leur fric pour soigner leur réputation. Rien de nouveau sous le soleil. On reconnait Son Altesse royale la duchesse d’Alençon, épouse du petit-fils de Louis-Philippe Ier, soeur cadette de Sissi l’impératrice. Mais aussi la duchesse de Vendôme, la duchesse d’Uzès, la marquise de Saint-Chamans, la comtesse Greffulhe, la générale Février, la marquise de Sassenay, Carla Sarkozy, Valérie Trierweiler... Bref, tout le gratin, la jet-set française.

L’allumette fatale

Pour ravir les aristos, le baron de Mackau, président de l’organisation caritative, a cru bon d’accueillir le tout nouveau cinématographe des frères Lumière. Chouette ! La salle de projection est installée dans une sorte d’appentis en bois, adossé au hangar, où, pour cinquante petits centimes, on peut assister à la projection de La sortie des usines Lumière à Lyon, de L’arrivée du train en gare de La Ciotat et de L’arroseur arrosé. Seulement voilà, l’entrepreneur Normandin, chargé des représentations cinématographiques, fait la gueule. Depuis deux jours il se plaint du réduit mis à sa disposition pour abriter l’invention du siècle, alors qu’un espace immense est consacré à la vente de ces fichus chiffons de bonnes femmes. À peine a-t-il assez de place pour loger ses appareils, ses bidons d’éther, ses tubes à oxygène, ses boîtes, ses bouteilles... tous très inflammables. Il s’est même demandé à un moment si le projectionniste et son assistant n’allaient pas finir sur les genoux des spectateurs.

Peu après 16 heures, la duchesse d’Alençon confie à une de ses voisines, Mme Belin : "J’étouffe..." Celle-ci lui répond : "Si un incendie éclatait, ce serait terrible !" Elle brûle sans le savoir : moins d’une demi-heure plus tard, dans la cabine du cinématographe, la lampe du projecteur qui brûle de l’éther est à sec. M. Bellac, le projectionniste, entreprend de faire délicatement le plein quand son assistant, Grégoire Bagrachow - un ancien bonze tibétain - ne trouve rien de mieux à faire que de craquer une allumette. Erreur fatale. Les vapeurs d’éther s’embrasent instantanément. Les deux acolytes tentent péniblement de contenir les flammes. Autant demander aux eaux de la mer Rouge de reculer.

Effondrement

Le duc d’Alençon, qui accompagne son épouse, est discrètement alerté de l’incendie. Aussitôt, il commence à faire évacuer des centaines de personnes par l’entrée principale. Soudain, un rideau du hangar prend feu. En quelques secondes les flammes se propagent à tout ce décor fait de bois blanc, de carton et de velum goudronné, agrémenté de tapisseries, de tentures, de dentelles, de rubans... Que de belles textures pour ravir les flammes !

Le calme cède à la terreur. Les femmes se prennent les pieds dans leurs longues robes, celles qui tombent finissent piétinées par la horde de fuyards hurlants qui se précipitent vers la sortie. Le hangar se transforme en brasier. Certains invités, voyant la sortie totalement bouchée, rebroussent chemin pour essayer de s’enfuir par la cour intérieure. C’est le cas de la duchesse d’Alençon, qui a voulu rester pour aider quelques personnes à sortir. Mais la cour se révèle un mortel cul-de-sac, car elle donne sur les cuisines de l’hôtel du Palais, dont toutes les fenêtres sont dotées de barreaux. Les cuisiniers parviennent à en desceller quelques-uns, permettant ainsi à une poignée de personnes de s’échapper. À l’intérieur du hangar, le faux plafond en velum goudronné s’effondre enflammé sur la foule. Un plombier nommé Piquet et un vidangeur nommé Dhuy, passant par là, se précipitent courageusement dans le Bazar de la charité pour secourir de nombreuses femmes et des enfants. "Deux bras se tendaient vers moi. Je les saisis, mais il ne me resta dans les mains qu’un peu de peau brûlée et un doigt", racontera Piquet au Petit Journal. Ceux ou celles qui sont restés piégés à l’intérieur se transforment en torches vivantes et se tortillent avant de tomber au sol, carbonisés au milieu des décombres calcinés. Quinze minutes après le début de l’incendie, l’édifice s’effondre déjà.

Peines de prison avec sursis

À l’extérieur, les pompiers s’efforcent d’éviter que l’incendie ne se propage aux bâtiments voisins. Dans la foule épouvantée, le duc d’Alençon cherche sa femme. En vain. Elle n’a pas réussi à s’enfuir. Son corps méconnaissable sera authentifié ultérieurement grâce à sa sublime denture et à un bridge en or. Ce jour-là, faire la charité coûte la vie à 126 personnes et des brûlures graves à plus de 250 autres. Les victimes sont essentiellement des femmes. Alors qu’au moins deux cents beaux mâles se pavanaient dans le Bazar, les victimes masculines se comptent sur les doigts d’une seule main ! Et encore, il s’agit de trois vieillards, d’un portier de 12 ans et d’un médecin. Les autres n’ont pas hésité à piétiner ces dames pour s’en sortir vivants ! Les lâches ! Les journaux à grand tirage s’emparent du drame, glorifiant les deux ou trois véritables héros et ironisant sur tous les autres, les "chevaliers de la Pétoche" ou les "marquis de l’Escampette". C’est comme si Brad Pitt s’était tranquillement barré sur la pointe des pieds en laissant cramer son Angelina Jolie dans le Bunker du Festival de Cannes en proie aux flammes. Impensable.

Une fois le gratin roussi, on cherche le coupable. Les conspirationnistes débordent comme toujours d’imagination. Pour certains, c’est un attentat perpétré par un pays étranger ! Pour d’autres, c’est forcément la faute d’un juif ! Le pauvre Michel Heine, qui a gracieusement mis à disposition son terrain pour accueillir le Bazar de la charité, est montré du doigt. La calomnie est de très courte durée. Les causes de l’incendie sont formellement établies après l’interrogatoire des employés des frères Lumière, qui avouent leur maladresse. En août suivant, ils écoperont tous deux de peines de prison, mais avec sursis, car ils ont eu une attitude très courageuse pour sauver des vies pendant l’incendie. C’était quand même la moindre des choses.
C’est également arrivé un 4 mai

1989 - Assassinat de Jean-Marie Tjibaou et de Yeiwéné Yeiwéné à Ouvéa en Nouvelle-Calédonie.

1988 - Libération des otages Carton, Kauffmann et Fontaine à Beyrouth.

1979 - Margaret Thatcher est la première femme britannique à prêter serment pour devenir Premier ministre.

1959 - Les quatre cents coups de Truffaut est présenté au Festival de Cannes.

1956 - Gene Vincent enregistre Be-Bop-A-Lula.

1949 – Annonce de la fin du blocus de Berlin-Ouest.

1940 - Début de la construction du camp d’Auschwitz en Pologne.

1923 - L’État de New York supprime la prohibition.

1904 - Les Américains entament la construction du canal de Panama après avoir racheté la concession aux Français.

1802 - Bonaparte plaide devant le Conseil d’État pour la création de l’ordre de la Légion d’honneur.

1776 - Rhode Island est le premier État américain à proclamer son indépendance.

1493 - Une bulle papale partage le monde en deux, entre l’Espagne et le Portugal.


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