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11 mai 1794. Le bourreau attend que Mmes Roger et Quétineau aient accouché pour les guillotiner.

lundi 11 mai 2015

Pour repousser la fatale échéance de nombreuses femmes condamnées par le tribunal révolutionnaire se déclarent enceintes. Souvent en vain.

Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 11 mai 1794, vers 17 heures, deux femmes sont conduites à l’échafaud érigé en place de Grève. Jusque-là, c’est la routine. Sur la fournée quotidienne que Fouquier-Tinville envoie à la guillotine - entre 30 et 50 condamnés -, il y a un tiers de femmes. C’est un féministe convaincu... Ces deux malheureuses sont, d’une part, Marie-Ange Latreille, 34 ans, veuve du général Quétineau, accusée de comploter avec le père Duchesne pour la restauration de Louis XVII. Et, d’autre part, Victoire Lescalle, 40 ans, veuve du salpêtrier Jean-Gaspard Roger, à qui on reproche des propos favorables à l’ennemi autrichien. Leurs deux époux ont été guillotinés quelques semaines plus tôt. L’une après l’autre, elles offrent leur cou au triangle d’acier et meurent sans un mot. Il n’y a pas grand monde pour regarder leur exécution. Depuis longtemps, les Parisiens se sont accommodés de cette fournée quotidienne de guillotinés. Le journal de TF1 se contente d’afficher le score, chaque jour, en fin d’édition...

Marie-Ange et Victoire n’ont rien en commun, sinon qu’elles étaient enceintes lors de leur condamnation à mort par le tribunal révolutionnaire. Or, on ne guillotine pas une femme grosse. C’est une règle d’or observée depuis des siècles. On attend sa délivrance pour l’exécuter. Depuis l’ancien régime, c’est une règle traditionnelle du droit pénal : "Si une femme condamnée à mort se déclare et s’il est vérifié qu’elle est enceinte, elle ne subira la peine qu’après sa délivrance", selon l’article 27. Bien qu’il en meure d’envie, l’accusateur public Fouquier-Tinville n’ose pas briser la tradition. En revanche, il met un point d’honneur à faire guillotiner les jeunes mères sitôt relevées de leurs couches. Alors que les anciens tribunaux royaux fermaient parfois les yeux sur leur sort.

"Convalescence"

La veuve Quétineau, comme on appelle Marie-Ange Latreille, se déclare grosse aussitôt sa condamnation prononcée, le 21 mars 1794. Un huissier la sépare de ses compagnons conduits à la Veuve, pour la mener dans un local près du greffe. Bientôt, trois médecins attachés au tribunal se présentent pour l’ausculter. Il lui faut s’allonger et relever ses jupes pour leur présenter le corps du délit... Les trois hommes ne se privent pas de tâter l’extérieur et l’intérieur du ventre pour établir leur diagnostic. Humiliant. Ils concluent effectivement à une grossesse de quatre mois. La jeune femme se croit sauvée. Trois jours plus tard, Fouquier-Tinville la fait transférer depuis sa geôle de la Conciergerie jusqu’à l’ancien palais épiscopal sur l’île de la Cité, transformé en hospice. Il accueille exclusivement les détenus malades et les femmes enceintes attendant leur délivrance. Normalement, Marie-Ange devrait y séjourner cinq mois, jusqu’à son accouchement.

La veuve Quétineau n’est pas la seule jeune femme enceinte de l’hospice. Elle y fait la connaissance de Victoire, veuve Roger, qui, elle, est enceinte de huit mois. Par la force des choses, elles deviennent amies, attendant leur destin. Un jour, elles reçoivent la visite de Kim Kardashian enceinte, venue leur distiller quelques conseils de beauté... L’attente n’est pas longue, car après seulement trois semaines de séjour, Marie-Ange fait une fausse couche et, une semaine plus tard, Victoire arrive à terme, accouchant d’un beau nourrisson. Dans leur grande miséricorde, les médecins de l’hospice accordent trois semaines de "convalescence" aux deux femmes avant de prévenir le Tribunal révolutionnaire qu’elles sont prêtres à subir leur châtiment. Le 11 mai 1794, elles sont à nouveau menées devant le tribunal, qui les condamne à être exécutées dans les 24 heures. Mais le bourreau Sanson, qui ne remet jamais à demain ce qu’il peut faire le jour même, s’empare de Marie-Ange et de Victoire pour les offrir immédiatement à son tranchoir. Deux heures après leur condamnation, les deux femmes montent sur l’échafaud... Quant au bébé de Victoire, il est déposé à l’hospice.

"Elle nous a déclaré qu’elle croit être enceinte..."

De nombreuses condamnées par le tribunal révolutionnaire se prétendent grosses sans l’être pour tenter de repousser l’horrible échéance. Elles revendiquent un retard de menstrues ou des relations sexuelles récentes. C’est le cas, par exemple, d’une couturière rouennaise nommée Catherine-Louise-Honorée Ruffin. Depuis quatre mois, elle déclare n’avoir pas vu paraître ses "secours périodiques " et a d’autant plus de raison de se croire enceinte que son époux avait la possibilité de la voir en prison où elle occupait une chambre particulière. Sitôt sa déclaration de grossesse, elle est entraînée dans une des salles du greffe pour que deux médecins l’examinent. En voici le procès-verbal : "Elle nous a déclaré qu’elle croit être enceinte de quatre mois et quelques jours et, sur ce que nous lui avons dit que nous allions la visiter pour constater sa grossesse, elle nous a dit que tantôt vers les 11 heures à peu près, à l’approche de son confesseur et en volant le bourreau, elle avait été tellement saisie qu’elle avait essuyé une perte : nous procédâmes de suite à la visite, et après l’examen le plus scrupuleux, nous n’avons reconnu aucun symptôme de grossesse, ni la perte qu’elle nous avait dit exister ne s’est point trouvé réelle, et l’espèce d’écoulement un peu sanguinolent que nous avons aperçue ne nous a paru être que la fin de ses menstrues, et l’inspection des linges qu’elle venait de quitter et que nous nous sommes fait présenter nous a confirmé dans notre idée... qu’elle ne peut être grosse de quatre mois." Deux jours plus tard, la pauvre femme est guillotinée, victime cette fois-ci d’un important épanchement de sang...

Françoise-Thérèse de Choiseul, épouse du prince Joseph de Grimaldi de Monaco (futur chambellan de Joséphine), se déclare, elle aussi, enceinte sitôt sa condamnation à mort prononcée. Mais cette jeune aristocrate de 27 ans ne cherche pas un moyen de sauver sa vie en faisant cette déclaration. Madame de Monaco avait suivi son mari en exil, mais elle préféra rentrer, ne supportant pas l’éloignement de ses deux filles restées en France. Le 28 février 1794, son arrestation est décidée sous prétexte de conspiration. Elle se retrouve ainsi incarcérée à la prison de Sainte-Pélagie. Quand le tribunal la condamne à la guillotine quelques semaines plus tard, elle se déclare enceinte "de trois mois, ayant eu un commerce charnel (sic) avec une personne dont elle ne voulut pas donner le nom". Elle est aussitôt envoyée à l’hospice épiscopal, où elle est auscultée le soir même par le médecin Enguchard, l’apothicaire et la sage-femme Prioux. Leur procès-verbal dit : "Nous avons examiné et visité la nommée Thérèse Stainville, épouse de Joseph Monaco, âgée de 26 ans, déclarée être enceinte de deux mois e t demi. Notre examen ne nous a fourni aucun signe de grossesse." À vrai dire, comment en aurait-il pu être autrement, car à l’époque, la science médicale était incapable de déceler une grossesse avant quatre mois et demi ?

En réalité, la princesse de Monaco n’est absolument pas "grosse", comme elle l’écrit aussitôt à Fouquier-Tinville. Elle lui précise que ce n’est pas la peur de la mort qui l’a conduite à faire cet aveu, mais "afin de couper" elle-même ses "cheveux et de ne pas les donner coupés par la main du bourreau". "C’est le seul legs que je puisse laisser à mes enfants, au moins faut-il qu’il soit pur." À l’hospice, effectivement, elle a brisé un carreau de vitre pour scier ses cheveux avec un morceau de verre. Le 27 juillet, elle part pour la guillotine après s’être mis du rouge sur les joues pour masquer sa pâleur. Elle lance aux autres détenus : "Citoyens, je vais à la mort avec toute la tranquillité qu’inspire l’innocence. Je vous souhaite un meilleur sort." Durant les 18 mois de son intense labeur, le tribunal révolutionnaire envoie environ 900 femmes à la guillotine. Environ le tiers des condamnés

C’est également arrivé un 11 mai

1987 - Début du procès de Klaus Barbie devant la cour d’assises de Lyon.

1981- Le maître du reggae Bob Marley meurt d’un cancer, à Miami, à l’âge de 36 ans.

1960 - Mise à l’eau du paquebot France par les Chantiers de l’Atlantique de Saint-Nazaire, en présence du général de Gaulle.

1950 - La cantatrice chauve de Ionesco est mise en scène par Nicolas Bataille au théâtre parisien des Noctambules.

1949 - Le royaume de Siam prend le nom de Thaïlande.

1946 - La Scala de Milan, reconstruite à l’identique après un bombardement, est inaugurée par le chef d’orchestre italien Toscanini.

1904 - Naissance de Salvador Dali à Figueras en Catalogne.

1880 - Flaubert est enterré à Rouen en présence de Maupassant, Zola, Daudet.

1812 - Une nouvelle danse fait son entrée en Angleterre, la valse, alors considérée comme vulgaire et immorale.

868 - Fabrication du premier livre par Wan Jie, en Chine, avec un procédé de gravure sur bois.


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