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17 mai 1978. Le cadavre de Charlie Chaplin, après avoir été kidnappé, est retrouvé dans un champ

dimanche 17 mai 2015

Deux Bulgare avaient cru se faire de l’argent facile en déterrant le cadavre de Charlot dans son cimetière suisse.

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Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Au paradis des comédiens, Charlie Chaplin est aux anges. Il rit tellement fort qu’il en étouffe. De l’air ! De l’air ! Jamais, de son vivant, il n’aurait pu imaginer une telle scène : des juges, des flics et deux types menottés qui défoncent un champ de maïs à la recherche de son cercueil. Les deux crétins arrêtés dans la matinée ne retrouvent pas l’endroit où ils l’ont enterré dix semaines plus tôt après avoir dérobé son cercueil dans le cimetière de Corsier-sur-Vevey. C’est unique : ils voulaient extorquer une rançon à sa veuve, Oona ! Quand les agents font venir des détecteurs de métaux, les larmes ruissellent sur la figure de Chaplin. Ça y est, enfin, le cercueil est découvert. Fini de rigoler. Après avoir pris la clé des champs durant deux mois et demi, Charlie Chaplin va devoir réintégrer le caveau familial. Cette triste perspective le rend plus joyeux qu’un hassid le jour du Grand Pardon... Pour apprécier tout le sel de cette incroyable épopée funèbre, il faut remonter au 27 décembre 1977, jour de l’inhumation de Charlie Chaplin. Les télévisions du monde entier diffusent les images de la cérémonie. À Lausanne, elles tombent sous les yeux d’un réfugié polonais de 24 ans nommé Roman Wardas. Quelques jours plus tard, le même lit dans le journal qu’un truand italien a kidnappé le corps d’un défunt pour faire chanter la famille. Y’a des mecs qui ont un de ces culots ! Soudain, son sourire se fige. Et s’il faisait la même chose avec le cadavre de Charlot ? Il pourrait en retirer suffisamment de fric pour acheter un garage.

Il en parle aussitôt à un autre réfugié, bulgare, sans le sou. Gantscho Ganey est aussi baraqué que lui est maigrichon. Il ressemble au gros flic des films de Charlot, avec le même pois chiche dans le crâne. Le Bulgare commence par ne rien piger. Enlever un cadavre ? Mais c’est complètement idiot ! Un otage, on menace de le tuer, mais un mort ? Finalement, le jeune Polonais parvient à convaincre son ami qu’il possède un scénario imparable pour ramasser un bon paquet.

Émotion planétaire

Les deux branquignols mettent leur plan à exécution dans la nuit du 1er au 2 mars 1978. À bord d’un vieux break, ils se rendent au cimetière de Corsier-sur-Vevey. C’est tranquille, il n’y a pas âme qui vive. Les tombes sont entourées d’un mur bas facilement franchissable. Ils garent leur véhicule à proximité, dans une longue allée bordée de cyprès. Ils repoussent sans difficulté la petite pierre tombale et se mettent à creuser. Après deux heures d’efforts, ils parviennent à sortir la bière et à la jeter à l’arrière du break. Réveillé en sursaut, Charlot se réjouit : enfin du monde. Il commençait à s’emmerder ferme là-dessous.

L’avantage d’enlever un cadavre, c’est qu’il n’y a nul besoin de le surveiller ou de le nourrir. Wardas décide de l’enterrer dans un champ en bordure du lac de Genève, près du village de Noville. C’est un coin qu’il connaît bien pour venir souvent y pêcher. Les deux hommes creusent un trou, puis prennent quelques photos pour accompagner leur demande de rançon. Comprenant qu’il n’a fait que changer de tombe, Chaplin a un coup de blues : il espérait tellement se marrer avec ces deux zigotos, et le voilà qui se retrouve à nouveau sous terre, à deux kilomètres à peine de son manoir. Au moins, en tendant l’oreille, il entend presque Oona et les enfants. C’est déjà ça. Il l’aime tellement, son épouse ! Une déesse de douceur à qui il voue un véritable culte, l’oonanisme...

Une fois débarrassés du cadavre, les deux complices retournent en ville. Wardas préfère faire le mort durant quelques jours et laisser retomber l’émotion de la découverte du viol de la tombe. Car le monde entier s’interroge. Quels sont les auteurs d’une telle ignominie ? Charlot a-t-il été enlevé par un groupe d’admirateurs fanatiques pour être inhumé dans son comté natal en Angleterre ? Ou alors par des chrétiens intégristes horrifiés de la présence d’un juif dans un cimetière ? D’autres encore sont persuadés qu’il a été enlevé par une organisation d’extrême gauche. Les scénarios les plus fous sont évoqués à la plus grande joie de Charlot.

Souricière

Quelques jours après l’enlèvement, Wardas téléphone à la veuve de Charlot pour réclamer 600 000 francs suisses. C’est un prix d’ami pour une immense star. Oona l’envoie sur les roses. Le ravisseur rappelle à plusieurs reprises, envoie des photos du cercueil. Désormais, c’est Géraldine, la fille du comédien, qui leur répond, car lady Chaplin est trop traumatisée par l’affaire. Wardas commence à négocier, il baisse la somme réclamée, jusqu’à 150 000 francs suisses. Rien n’y fait. Il finit par se demander si ces salauds veulent récupérer le corps de leur mari et père. Du coup, il menace Géraldine de tuer ses frères et soeurs. La police enregistre les conversations. Apparemment, le kidnappeur passe ses coups de fil depuis une cabine téléphonique à Lausanne.

Pour débloquer la situation, la police demande à la famille de faire semblant d’accepter. Wardas respire. Avant de raccrocher, il dit à Géraldine qu’il rappellera le 16 mai à 9 h 30 du matin pour fixer le lieu de la remise de la rançon. C’était l’erreur fatale à ne pas commettre, car les forces de l’ordre suisses n’ont plus qu’à tendre une souricière. Quand Wardas passe son coup de fil, 240 cabines téléphoniques de Lausanne sont placées sous surveillance policière. L’origine de son appel est identifiée, il s’agit justement d’une des cabines surveillées. Il est aussitôt interpellé. Très vite, il dénonce son complice, qui est arrêté à son tour.

Dalle de béton

Les autorités décident d’attendre la nuit pour déterrer le cercueil afin de ne pas ameuter les curieux. Mais dans le noir, les deux Pieds nickelés sont incapables de localiser la tombe de fortune. Il faut donc utiliser des détecteurs de métaux. Le cercueil est ouvert pour vérifier l’identité de l’occupant. Le juge d’instruction reconnaît bien Charlot qui esquisse une grimace de dépit. Son escapade est terminée. Le fils aîné de sir Chaplin, Eugène, partage cette tristesse : "Le corps se trouvait dans un endroit réellement magnifique. Un champ de maïs. Au point, je l’avoue, que nous n’étions pas loin de regretter qu’on l’ait retrouvé, tant il était bien là-bas."

Six jours plus tard, Charlot est inhumé une deuxième fois dans le même cimetière de Corsier-sur-Vevey, lors d’une cérémonie intime. Une dalle de béton de deux mètres d’épaisseur est coulée sur la tombe pour éviter un nouveau rapt. Cette fois, Charlot ne pourra plus s’échapper. Quelques mois plus tard, Wardas est condamné à 4 ans et demi de prison et Ganey à seulement 18 mois. Ils attendent toujours un oscar pour le meilleur scénario...


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