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Les profs de mathématiques en voie de disparition ?

mardi 15 juillet 2014

Les professeurs de mathématiques sont-ils en voie de disparition ? L’éducation nationale ne parvient pas à recruter suffisamment d’enseignants dans cette discipline. Un tiers des postes ouverts restent non pourvus après les résultats du dernier capes, le concours des professeurs certifiés. Sur les 1 243 postes à pourvoir, seuls 836 candidats ont été admis. Le signe que le jury n’a pas trouvé suffisamment de candidats au niveau requis pour enseigner au collège ou au lycée, et qu’il n’a pas voulu brader le diplôme. L’agrégation de mathématiques n’a pas fait davantage le plein, avec 30 % de postes non pourvus (275 admis pour 395 postes).

A la session précédente du capes – une session « exceptionnelle », organisée à cheval sur 2013 et 2014 pour relancer les recrutements de professeurs –, la moitié des 1 592 postes étaient restés vacants. Le taux de postes non pourvus en mathématiques s’élevait déjà à un tiers en 2013, un tiers aussi en 2012, 40 % en 2011.

Le capes de mathématiques est l’un des concours les plus déficitaires. Certes, le ministère avait placé la barre haut en matière de créations de postes, en organisant trois vagues de recrutement en deux ans. Au total, le capes 2014 (sessions ordinaire et exceptionnelle), en mathématiques, ouvre près de 2 800 postes – contre 1 200 en 2013 et 800 en 2009.

Parallèlement, la courbe des candidats, qui n’a cessé de chuter depuis la fin des années 1990, est, elle aussi, repartie à la hausse dès 2012. Mais pas suffisamment. Surtout, une partie des étudiants se sont inscrits aux deux sessions 2014 du capes pour multiplier leurs chances de réussite. Certains se retrouvent donc deux fois admis. Dans ce cas, « ils devront choisir l’un des deux concours et laisseront l’un des deux postes qu’ils occupent vide », explique Caroline Lechevallier, du SNES-FSU, le syndicat majoritaire. Autrement dit, il faut s’attendre à ce que le nombre de places vacantes soit encore plus important que celui affiché aujourd’hui.

CONCURRENCE AVEC D’AUTRES PROFESSIONS

Pourquoi cette pénurie ? Plus que dans d’autres disciplines, le métier de professeur de mathématiques souffre de la concurrence avec d’autres professions. « A niveau de qualification égal, les étudiants peuvent prétendre à d’autres secteurs d’activité, mieux rémunérés, comme la finance, l’informatique, l’ingénierie… C’est moins le cas dans les filières littéraires », souligne le mathématicien Etienne Ghys, membre de l’Académie des sciences. A titre de comparaison, un enseignant débutant touche 2 000 euros brut mensuels, soit 24 000 euros par an, contre 33 000 euros en moyenne pour un ingénieur (hors primes). Le capes de maths pâtit aussi de la désaffection des filières scientifiques à l’université. En 1996, 24 % des bacheliers de la série S se dirigeaient vers une licence scientifique. Aujourd’hui, ils ne sont plus que 11 %.

Où vont ces bacheliers ? « Ils sont de plus en plus nombreux à choisir médecine », observe Martin Andler, professeur à l’université de Versailles-Saint-Quentin. « Et si beaucoup échouent à la première année sélective, peu se redirigent vers les mathématiques ; ils choisissent plus naturellement la biologie. » La concurrence vient aussi des offres privées de formation, comme les écoles d’ingénieurs avec classes préparatoires intégrées. « Nous nous retrouvons dans une situation où les étudiants évitent massivement la licence universitaire et se précipitent dans les filières sélectives – IUT, BTS, classes prépas, écoles d’ingénieurs avec prépa intégrée… –, qui leur paraissent plus sûres pour accéder à l’emploi », renchérit M. Andler.

Si l’on remonte encore plus loin dans la scolarité, il faut aussi mettre en cause la nature de la série S au lycée, qui a perdu toute connotation scientifique. Généraliste, elle accueille de bons ou d’assez bons élèves, dont une bonne partie n’ont ni l’envie ni les aptitudes pour suivre des études scientifiques. Ce serait donc tout un enseignement à repenser, dès les petites classes, pour donner davantage le goût des sciences. C’est en tout cas l’argument d’une partie de la profession, qui plaide pour des mathématiques moins « cassantes », plus « vivantes » et ouvertes sur le monde.

« BEAUCOUP D’ÉTUDIANTS N’OSENT PAS SE LANCER »

Enfin, le capes de mathématiques n’a pas échappé à la pénurie de postes sous le précédent quinquennat. Or, « quand vous brandissez le slogan du “non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux”, vous faites fuir les étudiants. Ils ne vont pas s’engager dans une voie qui n’offre pas de débouchés », observe Pierre Arnoux, professeur à la faculté des sciences de l’université d’Aix-Marseille.

Autre cause qui n’est pas propre aux maths : l’allongement de la durée des études. La réforme de la « mastérisation », en 2008, a imposé d’être inscrit en master 2 (bac + 5) pour se présenter à un concours d’enseignement (au lieu, auparavant, de la licence, soit bac + 3). Pour la première fois cette année, le concours a été avancé au master 1 (bac + 4). Il n’en reste pas moins que « beaucoup d’étudiants n’osent pas se lancer dans un cursus de quatre ans sans la certitude d’avoir un emploi au bout – puisque l’échec au concours ferme l’accès à la profession », note M. Arnoux. « A bac + 1, comme en médecine, on peut jouer à la roulette, pas à bac + 4. »

C’est pour atténuer ce risque que beaucoup défendent aujourd’hui un remède simple, qui a fait ses preuves dans le passé : les IPES, disparus il y a plus de trente ans. « C’était un statut d’élèves-professeurs accordé à des étudiants qui préparaient le capes en échange d’une rémunération, rappelle Etienne Ghys. Il me semble qu’une version adaptée à notre époque permettrait de capter davantage d’étudiants plus tôt. » Et d’éviter que les élèves se retrouvent sans professeur.


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