MosaikHub Magazine

Ne pas se tromper de bataille…

vendredi 19 juin 2015

En 1991, sous Jean Bertrand Aristide, c’est en plein cœur du Champs de Mars que des autobus ouvraient leurs entrailles pour laisser sortir des Haïtiens, des Haïtiennes et des enfants quasi dechoukés, brutalisés et dépouillés par des extrémistes en short ou en uniforme en République dominicaine. Joaquin Balaguer, au pouvoir à Santo Domingo, n’entretenait pas de relations cordiales avec Titid.

Le rapatriement massif d’immigrants illégaux, prérogative de l’Etat dominicain, souverain, a été utilisé comme une arme politique insidieuse pour déstabiliser, pour satisfaire des extrémistes dominicains pendant ces dernières décennies. Au point que les épisodes de rapatriements massifs, à quelques petits détails près, se suivent et se ressemblent.

Même si il y a eu 1998, 2006 et d’autres rapatriements massifs, certains consécutifs à des massacres perpétrés par des xénophobes qui adorent incendier des biens accumulés par des migrants Haïtiens, Haïti retient son souffle ces jours-ci. Des autorités haïtiennes, concédant avoir été dupées par les Dominicains, flairant une crise humanitaire, appellent à un « konbit patriotique » pour recevoir nos frères et sœurs dans la dignité. L’appel a du sens.

Evans Paul, Premier ministre, comprenant l’urgence de la solidarité, de l’unité nationale en ces temps de crise, souligne qu’il prend sur lui tous les échecs passés de l’Etat haïtien, comme pour souligne qu’il ne faut pas se tromper de bataille. Le Premier ministre s’est montré grand, courageux en admettant l’échec collectif ayant fait d’Haïti une terre inhospitalière pour beaucoup de ses enfants en quête d’un mieux-être ailleurs. Cependant, pour certains, le mea culpa de Evans Paul, quoiqu’utile, important, ne devrait pas évacuer les ratés d’Haïti dans la gestion postarrêt 168-13 du tribunal constitutionnel dominicain qui consacre l’apatridie d’innombrables dominicains d’ascendance haïtienne. Donc, des gens dont le seul crime est d’être noirs, afro-descendants.

Pour le moment, le Premier ministre a raison de mettre en avant l’obligation du rassemblement en lieu et place de la critique qu’il faudra faire, même si le contexte ne s’y prête pas. Cela dit, le pays, ses dirigeants, sa société civile, les organismes de défense des droits humains en Haïti et à l’étranger sont attendus sur deux fronts. Ils ne doivent pas se tromper de bataille. Il faudra être vigilant pour, à défaut de pouvoir l’éviter, réduire les actes de violation des migrants pendant les rapatriements.
D’un autre côté, il sera vital de recenser tous les hommes, femmes et enfants, victimes de ce génocide civil qui prend forme en plein XXIe siècle. Un cas d’apatridie devra être un cas de trop. Les Dominicains, à ce niveau, sont attendus au tournant.

Contre eux, la bataille médiatique et légale devra être menée pour confirmer, si c’est encore nécessaire, qu’il y a encore des racistes qui sont assez sournois pour se jouer de certains Haïtiens pas tout à fait libre, affranchis des pesos dominicains. Personne ne perdra de vue non plus que le PNRE découle d’une stratégie administrative pour gagner du temps, faire semblant avant de passer à l’acte, le génocide civile.

Parce que les deux pays, de faux jumeaux sont condamnés à vivre comme des siamois, il est souhaitable que l’émotion, celle qui force la véritable rupture ait libre cour. Pas cette émotion qui dicte des actes de boycott sans lendemain de produits dominicains ou de proposition de fermeture de la frontière. Les relations diplomatiques doivent être maintenues.
Comme le journal Le Nouvelliste, sous la plume de Frantz Duval, rédacteur en chef l’avait écrit, un nouveau maître s’installe. Haïti est devenue une province de la République dominicaine. Les chiffres sur les échanges commerciaux, sur les dépenses en éducation supérieur pour les jeunes Haïtiens et Haïtiennes en république voisine, le volume d’investissement de capitaux haïtiens en République dominicains illustrent l’échec haïtien. En plusieurs décennies, Haïti a combattu le mauvais combat, celui des luttes intestines.

A quand la rupture ? Quand nos dirigeants apprendront-ils à dire non merci à des forces d’argent en République dominicaine pour servir leurs propres intérêts ? Quand la diplomatie haïtienne va-t-elle servir un projet économique progressiste, nationaliste ? Quel est le projet économique de l’élite haïtienne ? Sans se voiler la face, comment peut-on être pris au sérieux en Haïti où l’apartheid économique et financier instauré a poussé beaucoup trop d’Haïtiens et d’Haïtiennes dans les dents de la mer sur de frêles esquifs ou en République dominicaine ?

Rien n’indique pour le moment que le sursaut est en cours.

Roberson Alphonse robersonalphonse@lenouvelliste.com

- 


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie