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20 juin 1894. Alexandre Yersin identifie le bacille de la peste au cours d’une épidémie à Hong Kong.

samedi 20 juin 2015

Appelé dans la colonie britannique frappée par la peste, le chercheur franco-suisse est le premier à voir le tueur en série.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 20 juin 1894, dans un modeste cabanon installé dans le jardin de l’hôpital de Hong Kong, Alexandre Émile Jean Yersin, 31 ans, se penche sur son microscope. Ce qu’il voit l’effraie : des milliers de petites taches. Elles grouillent. Il a un mouvement de recul. Pour la première fois, un homme observe le bacille de la peste, le plus grand tueur en série depuis l’aube des temps. Cette découverte lui vaut l’honneur de donner son nom à la bactérie : Yersinia pestis.

Médecin, bactériologiste, explorateur, ethnologue, ex-préparateur à l’Institut Pasteur, Yersin est une des personnalités les plus attachantes de la fin du XIXe siècle. Né en Suisse, il a pris la nationalité française malgré les mises en garde de Guy Forget, Jean Alesi ou Arthur... En juin 1894, il vit à Saigon quand le ministère des Colonies français et l’Institut Pasteur lui demandent de se rendre toutes affaires cessantes à Hong Kong où la peste a débarqué en provenance de Canton où elle a déjà fait 60 000 morts. Pourquoi diable la France se mobilise-t-elle pour sauver des Chinois et une poignée d’Anglais ? Parce que l’épidémie menace de s’abattre sur l’Indochine française ! Yersin est chargé de découvrir "la nature du fléau, les conditions dans lesquelles il se propage" et de "rechercher les mesures les plus efficaces pour l’empêcher d’atteindre nos possessions". Il rejoint la colonie britannique le 15 juin, quand déjà plus de 300 Chinois ont déjà salué leurs ancêtres.

Une purée de bacilles

Faute de place, Yersin installe son matériel de laboratoire dans une paillote qu’il fait bâtir à la hâte dans la cour de l’hôpital de la ville. Puis il parcourt le quartier chinois où la peste fait des ravages, alors qu’elle épargne la ville européenne. Il ne peut que constater des conditions hygiéniques déplorables favorisant l’épidémie. Les familles s’entassent dans de misérables logements, en colocation avec des millions de rats. Les ordures traînent partout, les égouts débordent. C’est une horreur. Mais il en faut plus pour décourager Yersin. Du 17 au 19 juin, il multiplie les autopsies et les prélèvements sur les cadavres des pestiférés. "Il était tout indiqué de rechercher tout d’abord s’il existe un microbe dans le sang des malades et dans la pulpe des bubons", écrit-il par la suite. Le 20 juin 1894, des bacilles, il en trouve. Ça fourmille, ça grouille. "La pulpe des bubons est, dans tous les cas, remplie d’une véritable purée d’un bacille court, trapu, à bouts arrondis, assez facile à colorer par les couleurs d’aniline et ne se teignant pas par la méthode de Gram", note-t-il.

Durant plusieurs jours, Yersin multiplie les observations et les expériences pour confondre définitivement le tueur microscopique. Il injecte la purée de bacilles d’un animal à un autre pour en vérifier la virulence. Il confirme que les rats sont les grands pourvoyeurs de la peste. Mais comment la bactérie fait-elle pour sauter du rongeur à l’homme ? Il a beau chercher, il ne trouve pas. Peste, il n’a pas l’idée d’incriminer la puce. En revanche, il constate que la mouche est victime du bacille. "Il y avait beaucoup de mouches crevées. J’ai pris une de ces mouches, et après lui avoir arraché les pattes, les ailes et la tête, je l’ai broyée dans du bouillon et l’ai inoculée à un cobaye. Le liquide d’inoculation contenait une grande quantité de bacilles absolument semblables à celui de la peste, et le cobaye est mort en quarante-huit heures avec les lésions spécifiques de la maladie."

La bourse ou la vie

Simultanément, l’équipe japonaise de Shibasaburo Kitasato, également appelée à la rescousse, ne parvient pas à observer le même grouillement de bacilles que Yersin. Étrange. On en connaît maintenant la raison : les Japonais, mieux outillés que Yersin, peuvent faire incuber les échantillons à 37 °C, croyant qu’à cette température les bactéries prolifèrent davantage. Or ce n’est pas le cas : Yersinia pestis préfère une température plus basse. Voilà pourquoi Yersin, qui n’a pas les moyens de se payer des incubateurs, obtient des résultats. Finalement, Kitasato parvient, croit-il, à isoler un bacille. Les deux savants décident de partager la découverte. Ultérieurement, les échantillons envoyés par le Japonais en Occident ne montreront que des streptocoques, et non le bacille de peste. Voilà pourquoi, en 1970, le mérite de la découverte du bacille de la peste revient officiellement à Alexandre Yersin, et à lui seul.

En revanche, Yersin ne parviendra jamais à fabriquer un vaccin efficace contre la peste. Sa mission achevée à Hong Kong, il s’installe au Vietnam, où il poursuit ses recherches en les finançant avec la culture de l’hévéa. Il vend le latex à Michelin. Homme plein de compassion, il soigne gratuitement les centaines d’Annamites qui viennent le trouver. Ce qu’il écrit alors à sa mère devrait être médité par tous les médecins d’aujourd’hui : "Je ne fais pas payer ces gens. La médecine, c’est mon pastorat. Demander de l’argent pour soigner un de ces malades, c’est un peu lui dire la bourse ou la vie."


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