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22 juin 1627. Les comtes Bouteville et des Chapelles sont décapités après s’être battus en duel.

lundi 22 juin 2015

Malgré les pressions, Louis XIII refuse de gracier les deux hommes pour enrayer la folie des duels.

Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 22 juin 1627, une foule immense se dirige vers la place de Grève au coeur de Paris. Aujourd’hui, ces petits gâtés de Parisiens ont droit à deux décapitations. Et pas celles de n’importe qui ! Les deux condamnés appartiennent à la fine fleur de la noblesse française : il s’agit du comte de Montmorency-Bouteville, 27 ans, et de son cousin, le comte de Rosmadec des Chapelles, 29 ans. C’est donc du sang noble qui va couler. Pas question de rater ça. Quel crime effroyable ont-ils bien pu commettre pour que le roi ait arrêté leur mort ? Ont-ils parlé d’enfourner Patrick Bruel ? Pire : ils se sont battus en duel malgré l’interdiction formelle du roi et du cardinal de Richelieu. Et peu importe qu’ils appartiennent à deux des plus grandes et plus vieilles familles françaises !

Il faut dire que cette tête brûlée de Bouteville est un multirécidiviste. Le genre à donner des cauchemars à Manuel Valls. Il en est à son 21e duel ! Tous ses adversaires ne sont pas morts, mais son palmarès dépasse largement celui de nombreux tueurs en série. Celui de des Chapelles n’est pas connu, mais il devait également être bien étoffé. Malgré le lobby de leurs deux familles, le roi tient bon. S’il les gracie, les duels continueront à décimer la noblesse. Leur mort servira d’exemple ! Incroyable, mais entre 1589 et 1608, les duels auraient fait plus de 8 000 victimes ! Davantage que les guerres ! Bouteville est une véritable tête brûlée. Il livre son premier duel en 1622, à 22 ans, contre le comte de Pontgibaud. Depuis ce jour, un regard de travers, un mot de trop deviennent un prétexte à se battre. C’est une drogue. Peu lui chaut l’interdiction royale. Par deux fois, le Parlement l’a déjà "déchu du privilège de noblesse", le déclarant "ignoble, roturier et infâme" et le condamnant à "être pendu et étranglé à une potence croisée". Mais, jusque-là, sa haute naissance lui a permis d’éviter la sentence.

Rendez-vous place Royale !

Mais il se bat une fois de trop. En 1626, Bouteville tue en duel le comte de Thorigny. L’année suivante, il blesse le baron de La Frette lors d’un combat devant la cour. Il ne prend même pas la peine de se cacher, se croyant à l’abri de toute condamnation. Mais cette fois, le roi en a plein la marmite. Le comte a dépassé les bornes. Déjà que Montebourg l’irrite avec ses annonces intempestives... Il envoie donc trois compagnies de Suisses pour se saisir de Bouteville mais, averti à temps, celui-ci part se réfugier à Bruxelles auprès de l’archiduchesse gouvernante des Pays-Bas. Cette dernière lui accorde asile à condition de ne pas se battre sur son territoire. Elle va même jusqu’à plaider la cause de Bouteville auprès de Louis XIII, mais celui-ci conseille à l’archiduchesse de plutôt vérifier si ses chaussettes sont archi-sèches... Au contraire, le roi met en garde le comte de ne plus paraître à la cour ou dans Paris. Cette réponse rend le fier Bouteville furieux : "Je me battrai en bref à Paris, et dans la place Royale, puisqu’on me refuse une abolition."

L’occasion ne se fait pas attendre. Voilà bientôt Bouteville défié par le marquis de Beuvron, qui fait spécialement le voyage jusqu’à Bruxelles. Il veut venger la mort de son parent Thorigny. L’archiduchesse intervient à temps pour désamorcer le combat et tente de réconcilier les deux hommes. Ceux-ci font semblant de s’incliner, mais conviennent tout bas de remettre leur explication à plus tard. Rendez-vous est pris sur la place Royale (aujourd’hui, place des Vosges), à Paris. Bouteville est ravi de montrer qu’il ne craint ni le roi ni Richelieu.

C’est ainsi que le 12 mai 1627 Bouteville pénètre sur la place Royale, à 14 heures, accompagné de deux témoins : le comte des Chapelles et son écuyer, le sieur de La Berthe. Ils y retrouvent le marquis de Beuvron, encadré par deux témoins également, Bussy d’Amboise (son beau-fils), malade à crever, et son écuyer Choquet. Les quatre témoins ne sont pas venus faire de la figuration. Eux aussi sont venus croiser le fer entre eux. En garde ! Devant des passants médusés, les six hommes ferraillent avec violence. Ils utilisent chacun une épée et un poignard. Les assauts sont rudes. Les passants se demandent qui sont ces fous qui défient l’édit du cardinal en pleine journée. De La Berthe, blessé par Choquet, arrête le combat. Bussy est mortellement blessé par des Chapelles. Bouteville et le marquis de Beuvron décroisent le fer, car ils entendent les hommes du cardinal accourir.

Hémorragie des gentilshommes

Le marquis de Beuvron et son écuyer parviennent à échapper à l’arrestation en gagnant l’Angleterre. Bouteville et son cousin des Chapelles, qui empruntent la poste à destination de la Lorraine, sont rattrapés à Vitry-le-Brûlé, et aussitôt bouclés dans la Bastille par le grand prévôt. Leur procès est immédiatement instruit par le Parlement. Les familles des deux embastillés font le siège du jeune roi pour qu’une fois de plus il fasse preuve de clémence. En vain. Louis XIII ne cède pas, même quand la mère de Bouteville se jette à ses pieds, même quand le prince de Condé lui écrit une lettre, même quand le duc de Montmorency le supplie. Cette fois, le compte du comte est bon. Le souverain se fend, néanmoins, d’une lettre expliquant la nécessité d’un exemple pour mettre fin à l’hémorragie de ses gentilshommes. "Combien de nobles et bonnes maisons ont été éteintes ! Et que l’excès en fût arrivé à ce point que les plus grands de mon royaume fussent sujets à être provoqués au combat sans nulle cause ni fondement. Tous ces désordres parvenus à cette extrémité, faute de punition, m’ont forcé de laisser agir la justice, en quoi Dieu sait combien mon esprit a été agité et combattu..." Le cardinal de Richelieu approuve son roi.

L’évêque de Nantes est envoyé auprès des deux comtes pour leur inspirer des sentiments de religion. Le 21 juin, après avoir été interrogés par le Parlement, les deux cousins sont renvoyés à la Bastille sans qu’un quelconque arrêt leur soit immédiatement signifié, ce qui leur donne quelque espoir. Ils passent une bonne nuit. À un certain Andrenas qui lui demande comment il envisage sa mort, des Chapelles répond : "J’y suis tout résolu, mais mon cousin, qui est jeune, riche, parent des plus grands seigneurs de France, pourra se fâcher quand on lui parlera de mourir." Une dernière fois, la famille de Bouteville tente de rencontrer le roi, qui se défile.

La tête vole

Le lendemain, le 22 juin 1627 vers 11 heures, un guichetier avertit Bouteville de descendre à la chapelle. "À la chapelle !" s’exclame avec colère le comte. "Oui, monsieur", répond le gardien, qui a l’impertinence de demander au jeune comte de lui donner la bague au doigt. Pour ce qu’elle lui sera utile, désormais. Grand seigneur, Bouteville y consent. Mais quand l’autre a le culot de lui demander ses gants, il les jette par la fenêtre. Son cousin des Chapelles est également mené à la chapelle, où ils restent en prière avec l’évêque de Nantes et d’autres hommes d’Église jusqu’à 5 heures du soir. C’est alors qu’une charrette vient les chercher pour les mener en place de Grève. Durant le trajet, le bourreau leur coupe les cheveux avec la même dextérité que Franck Provost quand il a touché sa dernière paire de ciseaux, dans les années cinquante... Alors que l’exécuteur s’apprête à sectionner la moustache de Bouteville, celui-ci l’arrête. "Mon fils, lui dit alors l’évêque de Nantes, il ne faut plus songer au monde. Quoi ! Vous y songez encore ?"

Notre duelliste enragé est devenu doux comme Mélenchon le jour des résultats de la présidentielle... Il devance son camarade, il s’agenouille à côté de l’évêque durant le salve regina. Bouteville refuse le bandeau avant de poser la tête sur le billot de bois. L’exécuteur lève haut la hache et l’abat avec la violence d’un revers de Nadal. La tête vole du premier coup. La foule applaudit le joli cou(p). Le comte, qui n’a rien senti sur le moment, se demande pourquoi le ciel bascule. En entendant le bruit, des Chapelles, qui patiente dans la charrette, murmure : "Mon cousin n’est plus, prions Dieu pour son âme." À son tour, il pose sa tête sur le billot et s’en va trouver Dieu. Aussitôt, les deux familles récupèrent les corps et les têtes pour les emporter à l’hôtel d’Angoulême, où ils sont embaumés. Durant quelque temps, les duels se font plus rares.


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