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Scandale de la NSA : beaucoup de bruit pour presque rien !

mercredi 24 juin 2015

En réalité, les protestations de la France sont de pure forme. Les relations avec l’allié américain ne devraient guère souffrir de ces péripéties.

Au-delà du concert de réactions très vives auquel se livre la classe politique et les autorités, il est très improbable que la crise suscitée par les "révélations" de Mediapart et Libération aille au-delà des protestations diplomatiques en raison des puissants intérêts stratégiques liant les deux pays.

"C’est un mauvais moment à passer pour tous les responsables concernés", car "il est extrêmement choquant pour trois présidents français de voir leurs noms, ceux de leurs conseillers ainsi que la teneur de leurs propos reproduits dans des rapports des agences d’espionnage américains", reconnaît Nicole Bacharan, chercheur associé à la Hoover Institution de l’université américaine de Stanford. Il n’empêche : les conséquences devraient être limitées.

"Il va y avoir des discussions sévères, peut-être des déplacements de personnels politiques américains en poste en France (c’est arrivé au chef du bureau de la CIA à Berlin), et puis voilà, cela n’ira pas plus loin", prédit-elle.

Après le refroidissement provoqué en 2013 par l’annulation soudaine par Washington contre le gré de Paris de frappes en Syrie, les relations bilatérales sont revenues au beau fixe. Et les intérêts des deux pays sont trop convergents sur nombre de crises, de l’Ukraine à la lutte contre le groupe État islamique (EI) en Irak en passant par le Sahel, pour que le scandale débouche sur une rupture, relèvent tous les experts consultés.

Shérif adjoint

Ironie du sort, la coopération bilatérale excelle tout particulièrement dans le domaine du renseignement. "Toutes les opérations militaires que nous menons en ce moment, singulièrement dans le Sahel, se déroulent grâce à des moyens d’écoutes et satellitaires américains", relève l’eurodéputé Arnaud Danjean, spécialiste des questions de défense. "On est quand même en guerre ensemble", renchérit Nicole Bacharan. En Irak, particulièrement, avions Rafale et Mirage français participent quotidiennement, aux côtés de chasseurs-bombardiers américains, aux frappes et missions de reconnaissance visant l’État islamique.

Du côté américain, "la France est devenue le deputy sherif (le shérif adjoint) sur un plan militaire", abonde Dominique Moisi, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). "Elle s’est substituée dans ce rôle à la Grande-Bretagne qui, depuis son intervention malheureuse en Irak, n’a pas l’appétit pour le faire et qui a réduit considérablement son budget de défense."

Vis-à-vis de leurs partenaires européens et à l’égard de la scène politique française, les autorités françaises ne peuvent toutefois pas rester muettes après les révélations du quotidien Libération et du site Mediapart selon lesquelles les renseignements américains ont écouté, entre 2006 et 2012 au moins, les trois derniers présidents français : François Hollande, élu en 2012, et ses deux prédécesseurs de droite, Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac. François Hollande a multiplié à cet égard les démonstrations d’autorité : réunion d’un conseil de défense (regroupant ministres et responsables militaires), convocation rare de l’ambassadrice américaine à Paris Jane Hartley, envoi à Washington "dans les jours qui viennent" de son coordonnateur du renseignement, Didier Le Bret, un diplomate qui vient de prendre ses fonctions à l’Élysée.

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Du grain à moudre pour les pro-Moscou

"Le conseil de défense, c’était de l’affichage. Que voulez-vous qu’il dise ? Que le président doit faire attention à la façon dont il utilise son téléphone ? Qu’il ne faut pas tout dire sur un téléphone portable ouvert et qu’il vaut mieux utiliser des moyens de communication cryptés ?" ironise Arnaud Danjean, membre du parti d’opposition Les Républicains. Un avis partagé par Dominique Moisi : "On fait semblant d’être surpris et choqués surtout pour des raisons de politique intérieure. Il faut dire au peuple de gauche qu’on est indignés, au peuple de droite que la nation est en danger..."

LIRE nos articles "La France savait" et "Trois questions-clés sur l’espionnage américain"

In fine, les protestations devraient rester diplomatiques. "Faire savoir à nos amis américains qu’on n’est pas du tout contents, c’est la moindre des choses, c’est de bon aloi... On va rappeler aux Américains un certain nombre de lignes rouges", souligne M. Danjean. L’espionnage entre alliés pourrait, en revanche, faire le jeu de la Russie. "Moscou va dire : Vous voyez, votre avenir est avec nous dans une Maison commune européenne. Regardez, ils vous espionnent, ils vous méprisent, etc. anticipe M. Moisi. Cela va renforcer tous ceux qui en Europe se tournent du côté de Moscou plutôt que de Washington."


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