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30 juin 1827. Partie d’Égypte, la Girafe Zarafa débarque à Paris avant Dalida, Cloclo et Nagui.

vendredi 3 juillet 2015

Cadeau du vice-roi d’Égypte au roi de France, Zarafa la girafe entame son séjour hexagonal par un marathon de 880 kilomètres.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

880 kilomètres à pied, ça use, ça use... 880 kilomètres à pied, ça use les sabots ! Enfin, la voilà, la belle Égyptienne à long cou. Le 30 juin 1827, elle débarque dans la capitale française à la grande joie de Charles X, pleurnichant depuis des mois pour qu’on la lui ramène de Marseille où elle a passé l’hiver. C’est au bras du célèbre naturaliste Étienne Geoffroy Saint-Hilaire que Zarafa a traversé la France, à pied, pour loger au Jardin des plantes. Aucune autre star égyptienne ne connaîtra d’accueil plus enthousiaste à Paris.

Avant son débarquement, la girafe est pour tous les Français un animal mythologique. À peine sait-on que sa taille peut dépasser cinq mètres de haut et son poids dépasser la tonne. Les naturalistes l’ont affublée du curieux nom de Giraffa cameleopardis, croyant qu’elle résultait d’un croisement entre une chamelle et un léopard. C’est Bernardino Drovetti, consul de France au Caire, qui est à l’origine de la venue de Zarafa. En 1825, il reçoit une curieuse requête du ministère des Affaires étrangères qui lui demande de rechercher des animaux exotiques pour le Muséum d’histoire naturelle de Paris. Il trouve un Nagui, mais tout le monde veut sa place... Justement, le vice-roi d’Égypte Méhémet Ali vient de recevoir trois magnifiques girafons de compétition ! Certain que l’un d’eux ravira ce bon Charles X, Drovetti s’en va charmer le pacha pour le convaincre d’en céder un au bon roi de France. Marché conclu, Méhémet Ali charge le consul de mener une des girafes à Paris, la seconde sera envoyée en Angleterre et la troisième à Vienne, pour éviter les jaloux.

Arche de Noé

Ne reste plus qu’à faire arriver la "girafe du roi" à bon port ; ça, c’est une autre paire de manches. DHL se récuse... S’improvisant docteur ès girafes, Drovetti décide qu’il faut lui fournir 25 litres de lait par jour, d’où la nécessité de la faire accompagner par trois belles vaches laitières. Afin de prendre soin d’elle, il la fait accompagner par deux Soudanais, Atir et Youssef. La traversée de la Méditerranée s’effectue à bord d’un deux-mâts, dont le pont est percé pour que la girafe soit à son aise, les fesses dans la paille en fond de cale. Drovelli fait installer un toit au-dessus de la tête de Zarafa pour que son beau minois de princesse soit à l’abri de la pluie et des UV. Le consul profite du voyage pour également transporter des chevaux, des mouflons et des antilopes. C’est donc une véritable arche de Noé qui taille la route.

Le voyage se déroule à merveille, sauf pour une des vaches à qui on a oublié de filer de l’antiémétique pour lutter contre le mal de mer. Une escale en Crête, une autre en Sicile avant d’atteindre les côtes marseillaises le 23 octobre 1826, où des milliers de personnes attendent sur les quais l’incroyable animal. Le comte de Villeneuve, préfet des Bouches-du-Rhône, est excité comme une puce. Il a bien compris l’intérêt suscité par la présence de miss Égypte qui prendra ses quartiers d’hiver dans la cité phocéenne. Pas question qu’elle risque des engelures sur la route. Mademoiselle est installée dans la cour de la préfecture dans des appartements chauffés, s’il vous plaît. Elle a droit à une promenade quotidienne entourée de gardes du corps aussi grands pour elle que des mini-pouces, sous l’oeil d’une ribambelle de curieux, mais surtout de nombreux scientifiques, carnets en main, à l’affût du moindre pet de travers du girafidé ! Jamais on ne lui fout la paix, mais la géante ne bronche en aucun cas ! Normal puisqu’elle est muette, mais l’assemblée ne fait que le découvrir.

Chaussons et capuche

Avec le printemps qui arrive, le préfet laisse sa protégée rejoindre la capitale, car Charles X s’impatiente. Il la veut, sa girafe ! C’est Étienne Geoffroy Saint-Hilaire, un illustre naturaliste du Muséum, qui a pour mission de la ramener, et en forme. Le grand départ a lieu le 19 mai 1827. Pour que la merveille exotique n’attrape pas de rhume, on l’habille d’une superbe cape dotée d’une très, très, très, très longue capuche sur laquelle sont brodées et les armes du roi de France et celles du pacha d’Égypte. Ses sabots sont emballés dans des chaussons. Et c’est parti pour un marathon de 880 kilomètres, à pied ! Ou plutôt à sabot ! Fedex ayant déclaré, à son tour, forfait pour assurer le transport.

Une étape est prévue dans chaque grande ville pour exhiber le nouvel animal de compagnie du roi. Avignon, Lyon, Chalon-sur-Saône, Auxerre... À chaque fois, elle est accueillie par des milliers de fans à rendre jalouse Madonna. Même si la belle ne porte pas de petite culotte sous sa cape pour la jeter dans la foule. Fin juin, enfin, Paris est en vue. De nombreux Parisiens trop impatients s’embarquent sur la Seine ou se jettent sur les routes pour aller à sa rencontre.

Girafomania

Le 30 juin 1827, la girafe royale découvre enfin son nouveau domaine, le Jardin des plantes. À peine le temps de se reposer de la fatigue de la route qu’elle doit être présentée à la cour. Le 9 juillet, elle parcourt les 15 kilomètres pour rallier Saint-Cloud, où séjourne Charles X, qui trépigne d’impatience. La voilà ! Elle est accompagnée par un cortège de chevaux emplumés. On se croirait au carnaval de Rio. La géante exotique adopte la démarche raffinée d’une reine ! Elle est accueillie par Charles X, le duc d’Angoulême, la duchesse, la petite duchesse du Berry et ses deux enfants. La girafe comprend vite à qui elle a affaire, elle saisit délicatement les fleurs que lui offre le roi, se laisse caresser par les enfants... et tend même le cou pour qu’on lui enfile un collier de fleurs. Aloha !

Lors de son retour au Jardin des plantes, elle doit se frayer un chemin entre deux haies de curieux. C’est l’événement de l’année. Tous les Français sont subitement pris de "girafomania" aiguë. Pas moins de 600 000 spectateurs viennent rendre visite à la géante égyptienne durant les six premiers mois de son séjour. Une ligne de vêtements, de la vaisselle, des jouets, des bibelots... sont estampillés "à la girafe", du marchandising à gogo. Mais la gloire de la pionnière est éphémère : de nouvelles stars au long cou viennent lui piquer la vedette, la girafe devient un animal commun des zoos. Un peu oubliée, la belle du pacha d’Égypte vit néanmoins paisiblement dans ses appartements de luxe avec l’un des soigneurs, Atir, qui l’avait accompagnée depuis le début de son périple au Caire et jusqu’à Paris. Elle s’éteint en 1845, sans descendance, des suites d’une tuberculose bovine due à l’ingestion quotidienne de lait. Pendant tout ce temps, Atir n’a pas fait grand-chose d’autre que "peigner la girafe", peut-être est-ce de là que nous tenons l’expression ?

À sa mort, Zarafa est empaillée par Boorman, véritable artiste taxidermiste, et exposée au Muséum, qui la cède au musée de La Rochelle à l’entre-deux-guerres, lors d’une vaste opération de déstockage. Elle y est toujours aujourd’hui, non loin de l’orang-outan de l’impératrice Joséphine, et retrouve sa gloire en 2012 avec la sortie du dessin animé à sa gloire, Zarafa de Rémi Bezançon et Jean-Christophe Lie, dans lequel elle a la chance de voyager en ballon.


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