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8 juillet 1617. Marie de Médicis ne peut pas empêcher sa favorite la Galigaï d’être décapitée.

mercredi 8 juillet 2015

Le jeune Louis XIII hait cette Italienne qui a détourné une fortune avec son époux Concini, le maréchal d’Ancre.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Naine noire !", "Sorcière !", "Hystérique !", "Diablesse !"... Les noms d’oiseaux fusent sur la place de Grève lorsque la confidente de Marie de Médicis, Leonora Dori Galigaï, apparaît. Une foule immense se presse pour assister à sa mort. Au point qu’il a fallu une heure à la charrette la transportant pour se frayer un passage dans la cohue qui encombre les quelques centaines de mètres séparant la Conciergerie de la place de Grève. Le public est haineux, pressé de voir morte cette sorcière, cette Italienne qui, bénéficiant de la bienveillance de Marie de Médicis, plume depuis sept ans le royaume. La fortune de la maréchale d’Ancre - c’est son titre - équivaudrait aux trois quarts du budget annuel de la France. Inouï. Scandaleux. Les Français la haïssent pour cela et pour bien d’autres choses.

Aujourd’hui, la partie est terminée pour elle. La femme la plus puissante du royaume s’apprête à perdre la tête. La charrette s’immobilise devant l’échafaud, elle en descend sous un torrent d’injures. La naine hideuse demande au bourreau d’en finir au plus vite. Il ne demande que ça. Il échancre le col de sa robe, lui bande les yeux. Avec courage, elle prononce quelques mots pour pardonner à ses ennemis, elle n’accable même pas la reine qui l’a abandonnée. Le bourreau lève son épée avant de l’abattre avec la vigueur d’un bûcheron. La tête tombe sur le plancher. Ainsi périt la Galigaï, fille d’une domestique de Florence. L’exécuteur soulève le corps sanguinolent pour le jeter dans un brasier. Enfin, la France et le jeune Louis XIII sont débarrassés d’elle.
Extraordinaire destin que celui de la Galigaï qui commence lorsque, toute gosse, elle devient la copine de jeu de Marie, la fille du duc de Toscane. En effet, cette dernière se sent bien seule dans l’immense palais Pitti depuis que sa mère et ses six frères et soeurs sont morts et que son père est parti vivre ses amours ailleurs. Ce dernier décide de donner une demoiselle de compagnie à sa fille Marie. Finalement, il choisit la fille de Catarina Dori qui prétend appartenir à la grande famille florentine des Galigaï. Marie est ravie. Elle commence par rebaptiser sa nouvelle amie en changeant son nom de baptême de Dianora en Leonora. Les deux fillettes deviennent inséparables, les meilleures amies du monde. Leonora exerce peu à peu son emprise sur sa balourde de maîtresse. Marie devient sa marionnette.

Si Marie de Médicis épouse Henri IV en 1600, c’est sur les conseils de Leonora qui lui a fait refuser de nombreux prétendants jugés insuffisamment titrés. Décrocher le roi de France était inespéré. Bien entendu, Leonora suit sa maîtresse au Louvre où Henri IV qui ne peut pas la sentir, voudrait bien la réexpédier en Italie, mais rien à faire. La reine y tient comme à la prunelle de ses yeux. Il lui faut s’accommoder de cette mocheté brune, naine et maigre comme un hareng. L’absolu inverse des canons de beauté du moment. Pour franchir la porte de la reine, il faut être dans les petits papiers de la Galigaï. Elle décide de tout, ou presque. Grâce à son génie démoniaque, à son ambition démesurée et à la naïveté certaine de la reine, Leonora grimpe dans la société à une vitesse fulgurante, s’enrichissant colossalement.

Concini débité en tranches

En 1601, elle parvient à se faire épouser par Concino Concini, autre confident de la reine, issu de la noblesse italienne. C’est un homme prétentieux et arrogant, haï par le peuple et par Henri IV. Après la mort d’Henri IV, Concini se fait nommer maréchal d’Ancre par Marie, devenue la régente de France. En manipulant la reine, le duo infernal dirige le pays, n’hésitant pas à humilier le petit Louis XIII. Avides, ils s’emploient à siphonner les caisses du royaume de France pour remplir les leurs.

Mais leur règne s’achève avec la majorité de Louis XIII qui leur voue une haine féroce. Il s’empresse de donner l’ordre au chef de ses gardes, le baron Vitry, de se débarrasser de Concini au plus vite. Foin de subtilité : le 24 avril 1617, celui-ci lui tire une balle entre les deux yeux dans la cour du Louvre. Et d’un ! Le cadavre du maréchal d’Ancre est d’abord jeté dans des latrines, puis enterré secrètement sous les orgues de Saint-Germain-l’Auxerrois. Le lendemain quelqu’un a vendu la mèche, le peuple déterre son cadavre, lui crève les yeux et le découpe en petits morceaux pour que chaque quartier de la ville ait son trophée : un bras, une oreille, une jambe ou le nez. En apprenant le sort de son époux, Leonora commence à se faire un sang d’encre. Elle se précipite dans les jupes de la reine mère, la seule à pouvoir la sauver. Mais la comédie a assez duré, Marie de Médicis ne peut rien pour elle, car son fils a pris soin de la consigner dans ses appartements pour éviter tout contact avec l’ensorceleuse. Quelques jours plus tard, la Galigaï est arrêtée, alors qu’elle est encore au lit, allongée sur un matelas de bijoux.

Accusée de sorcellerie

Contrairement à son mari, Leonora a droit à un procès où elle est accusée de manipulations financières, d’ingérence dans les affaires publiques... Mais faute de preuves suffisantes, son avocat Jean-François Copé parvient à lui éviter une condamnation à mort. Les juges cherchent alors une autre raison pour l’envoyer au bourreau. Ses courriers échangés avec l’étranger ? Pas suffisant. N’aurait-elle pas trempé dans l’assassinat d’Henri IV ? Non. Il ne reste plus qu’à l’accuser de sorcellerie. Facile. La Galigaï est épileptique. Ses crises sont déjà suspectes. Sans parler de ses curieuses médecines : par exemple, elle fait égorger des pigeons au-dessus de sa tête, croyant que le sang peut la guérir.

Ses ennemis l’accusent également d’avoir recours à des médecins juifs et à des exorcistes pratiquant la magie. Elle aurait du même coup ensorcelé la reine mère. Sorcellerie et "juiverie", tout y est ! Toujours aucune preuve, toujours aucun aveu, mais les juges tranchent et la condamnent pour "crime de lèse-majesté divine et humaine". Quand on lui demande par quel moyen elle a réussi à envoûter Marie de Médicis, elle répond, paraît-il : "Je ne me suis jamais servi d’autre sortilège que de mon esprit. Est-il surprenant que j’aie gouverné la reine qui n’en a pas du tout ?" La vipère a encore du venin... Le 8 juillet 1617, elle est menée en place de Grève, décapitée, et son corps est brûlé. Exit la Galigaï.


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