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Italie : gérer les biens confisqués à la mafia reste un casse-tête

mercredi 8 juillet 2015

Les autorités italiennes ont placé mercredi sous séquestre des biens d’une valeur de plus de 1,6 milliard d’euros appartenant à une famille mafieuse.

La gestion des milliers de biens en tout genre saisis à la mafia - immeubles entiers, entreprises de BTP ou voitures de luxe - est un véritable casse-tête pour les autorités italiennes. Après que les autorités ont saisi mercredi les biens d’une valeur record de 1,6 milliard d’euros, Michelangelo Patanè, procureur à Catane, en Sicile, prévient d’un air désabusé : « En Italie, il est plus difficile de gérer les biens saisis à la mafia que de les confisquer. »

Conséquence d’années de lutte contre Cosa Nostra en Sicile, la Camorra à Naples ou la « Ndranghetta en Calabre, l’État italien est aujourd’hui à la tête de quelque 3 000 entreprises et propriétaire de plus de 12 000 biens immobiliers, et gère aussi un pactole de plus de deux milliards d’euros de dépôts bancaires et de biens mobiliers. Mais l’intendance a parfois du mal à suivre.
Nous avions un patrimoine immobilier, de sociétés et autres biens mafieux saisis, qui avait grandi plus que prévu », explique le préfet Umberto Postiglione, directeur de l’Agence nationale pour la gestion des biens confisqués à la mafia (ANSBC), créée en 2010 pour tenter de remédier à ce trop-plein.

« Les banques nous freinent »

L’établissement balnéaire le Lido des cyclopes à Catane est un exemple de société confisquée à Cosa Nostra que l’ANSBC est parvenue à faire fonctionner. Cette ancienne propriété d’un duc local, transformée dans les années 1960 en établissement balnéaire, a été définitivement saisie en 1995, explique Salvatore Piggioli, employé de la société gérant l’établissement désormais propriété de l’État. L’endroit est spectaculaire, avec un immense jardin sur plusieurs niveaux classé au patrimoine local pour sa beauté et pour la grande variété de ses plantes, 300 cabines pour les touristes, une grande piscine, etc.

« Maintenant que l’établissement appartient à l’État, la situation est bien meilleure parce que les bénéfices sont réinvestis dans l’établissement, alors qu’avant le propriétaire les gardait pour lui », explique M. Piggioli. « Mais les banques nous freinent, elles n’ont pas confiance dans les sociétés confisquées et, si nous demandons un prêt, elles refusent de nous l’accorder », ajoute-t-il.

Deuxième vie plus « honorable »

Les chiffres sont impressionnants : au cours des six dernières années, la justice a confisqué à la mafia 1 286 hectares de terrains, soit l’équivalent d’un dixième de la superficie de Catane, selon une étude du parquet de cette ville. Le nombre des employés dans les entreprises saisies a atteint 684 personnes sur la même période, faisant de ce groupement le 4e plus grand employeur privé de la Sicile. La saisie des biens est considérée comme une des principales armes dans la lutte contre la mafia.

« Le mafieux craint davantage la saisie de ses biens que 10 ans de prison, car ces 10 ans, il les prend en compte dans ses projets », affirme Giuseppe Giuffrida, expert-comptable et gestionnaire depuis 25 ans de sociétés saisies à la mafia. Du coup, ça ne se passe pas toujours très bien. « À Naples, deux des employés de l’agence sont allés, accompagnés par la police, prendre possession d’une maison saisie à un mafieux local », se rappelle M. Postiglione. « Quand ils ont introduit la clé donnée par l’ancien propriétaire dans la serrure, ils ont été projetés sur le mur d’en face par une décharge de 380 volts. Heureusement que l’on ne voulait pas les tuer », poursuit le préfet.

Après la saisie, certains de ces biens peuvent avoir une nouvelle vie plus « honorable », comme la villa d’un boss napolitain, Egidio Coppola, devenue fin juin un musée. L’ANSBC a aussi réussi, non sans mal, à trouver un repreneur pour 33 supermarchés et même un centre commercial entier saisis au fil du temps. Tout en donnant aux pompiers les 33 camions passés sous sa juridiction. Et au traditionnel marathon de Rome au printemps, il n’est pas rare de voir une Porsche Cayenne arborant le logo de la Croix-Rouge italienne et l’inscription : « Véhicule confisqué à la pègre ».


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