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9 juillet 1842. L’écrivain Herman Melville est capturé par des cannibales après avoir déserté son navire

jeudi 9 juillet 2015

Désertant un navire baleinier, le jeune Herman, 22 ans, se retrouve à partager la vie de mangeurs d’hommes durant un mois.

Le 31 décembre 1841, le jeune Herman Melville, assoiffé d’aventure, signe un engagement à bord du navire baleinier l’Acushnet. Quelques jours plus tard, le navire quitte l’île de Nantucket, située à l’est des États-Unis au large du cap Cod, le port d’attache des baleiniers. Mais, rapidement, la vie à bord tourne à l’enfer. Le capitaine Pease se révèle être un effroyable tyran. Quelle désillusion ! Le jeune Herman s’imaginait en aventurier affrontant la mer, le voilà traité comme une vermine. Comme le porteur d’un drapeau étranger à Nice...

Dès lors, le jeune homme de 22 ans ne pense plus qu’à déserter. Avec le matelot Richard Tobias Green, devenu son seul ami à bord, il guette la bonne occasion pour abandonner le navire. Celle-ci finit par se présenter le 9 juillet 1842, quand l’Acushnet jette l’ancre devant l’île de Nuku-Hiva dans les îles Marquises. Les deux jeunes gens descendent à terre avec d’autres membres de l’équipage, profitant d’une journée de liberté offerte par le capitaine. Avant de les laisser partir, celui-ci avait pris soin d’avertir les éventuels candidats à la désertion qu’ils risquaient de finir dans l’estomac des anthropophages peuplant l’île. L’avertissement est sans effet sur Herman et Tobias qui préfèrent encore finir comme méchoui chez les autochtones que comme têtes de Turc du capitaine pendant encore trois ans.

De féroces anthropophages

Profitant de l’inattention des autres marins, tous deux s’enfoncent dans l’île à la recherche de la tribu des Happar pour lui demander asile car celle-ci n’a pas la réputation de manger son prochain. Le petit souci, c’est que l’île, très montagneuse, est un véritable labyrinthe tropical. Les deux garçons se trompent de vallée, ils se retrouvent chez les Taïpi, qui passent pour être de féroces anthropophages. Quelques années plus tard, Melville consacrera un roman à son aventure chez les cannibales dont il enjolivera à peine les faits, sinon qu’il évoque un séjour de quatre mois au lieu d’un, ainsi qu’une belle histoire d’amour. Hormis ces inventions, son roman est un extraordinaire témoignage ethnologique sur une tribu plutôt sympathique, si elle n’avait pas le petit travers de faire rôtir ses ennemis.

Revenons à nos deux candidats de Koh-Lanta... Après une longue marche dans la jungle, Herman et Tobias surprennent un couple de jeunes cannibales en train de se câliner dans les fourrés. Ils se mangent du regard au point de ne pas apercevoir les deux jeunes gens approcher, ni même le photographe de Closer embusqué derrière un arbre... Herman et Richardn’ont qu’une question en tête : Happar ou Taïpi ? Fillon ou Sarko ? Gentils ou anthropophages ? Ils sortent des fourrés, échangent des signes avec le couple d’amoureux. Impossible d’en tirer la moindre conclusion. Jouant à quitte ou double, les deux marins se résignent à suivre les deux sauvages jusqu’à leur village.

C’est le paradis

Une fois qu’ils sont arrivés à destination, une nuée d’indigènes surexcités les entoure. Ils finissent par comprendre qu’ils ont tiré la mauvaise carte : ils sont tombés chez les Taïpi. Les voilà désespérés, ils s’attendent à être dépecés. Au lieu de cela, ils sont fêtés. Les traditions se perdent. Les féroces guerriers se révèlent être des hôtes accomplis, les nourrissant, leur offrant du tabac. C’est le paradis. Dans son enthousiasme, Melville décrit une société quasi parfaite. "Est-ce eux, ces sauvages féroces, les cannibales assoiffés de sang dont j’ai entendu parler dans d’effroyables récits ? Ils se traitent l’un l’autre avec plus de bienveillance et sont plus humains que beaucoup de ceux qui étudient les textes prônant la vertu et la générosité et qui répètent chaque nuit que la belle prière se répète dans un souffle par les lèvres du divin et doux Jésus."

Malgré cet accueil digne du Club Med, Tobias, qui reste méfiant, préfère fuir. Il abandonne derrière lui Melville qu’une blessure à la jambe empêche de se déplacer, lui promettant de revenir avec des secours. Une promesse aussi facile à tenir qu’une revalorisation importante du smic... Qu’importe, resté seul, Herman poursuit son séjour enchanteur, protégé par le chef, jusqu’au jour où il découvre le contenu d’un panier accroché au plafond de sa case : trois têtes humaines. "Deux d’entre elles étaient la tête d’insulaires, mais la troisième, à ma grande horreur, était celle d’un homme blanc." C’est alors que la tribu veut le tatouer, sans doute une cérémonie d’adoption, mais il s’y refuse avec la crainte de finir rôti. Sans Norbert de Top Chef, il n’accepte pas de se laisser cuisiner...

De la viande de cochon

Quelque temps plus tard, une guerre éclate avec les Happar voisins. Melville assiste au retour des guerriers triomphants portant d’étranges paquets sanguinolents. Il se renseigne. Les regards sont gênés. On refuse de lui répondre. Puis, tous les chefs participent à une fête dont il est écarté. Il sent qu’on lui cache quelque chose. Mais quoi ? Finalement, malgré les dénégations des villageois, il comprend que les guerriers ont rapporté des steaks taillés dans leurs ennemis vaincus. Eux seuls ont le droit de les rôtir pour se les manger en douce. Melville veut en avoir le coeur net : il ouvre un coffre tabou dans lequel il découvre des ossements humains avec des morceaux de chair. Les indigènes, très embêtés, lui servent une fable, prétendant qu’il s’agit de viande de cochon envoyée par exprès par la société Spanghero... Il fait semblant de le croire, par crainte d’être inscrit sur le menu du jour.

Le 9 août, un mois, jour pour jour, après son arrivée, la rumeur parvient au village qu’un baleinier a jeté l’ancre dans l’île avec Tobias à bord venu le rechercher. Bien que vivant comme un coq en pâte chez ses nouveaux amis, Melville aimerait bien leur fausser compagnie. Mais ceux-ci ne le voient pas ainsi. Ils rechignent à le laisser gagner la plage comme il le demande. Finalement, devant sa promesse de ne pas s’échapper, il part accompagné par sa famille adoptive chargée de le surveiller. C’est là où on apprend que l’anthropophage peut être naïf. Grâce au bon coeur de "ses parents", il échappe facilement à leur surveillance et embarque à bord du voilier. Le voilà sauvé. Deux ans plus tard, Melville relate ses aventures dans le roman Taïpi, qui devient immédiatement un best-seller...


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