MosaikHub Magazine

15 juillet 1910. Veuve, Marie Curie entame une liaison secrète avec le physicien Paul Langevin.

mercredi 15 juillet 2015

Marie est veuve depuis quatre ans, Paul est malheureux en ménage. Cela suffit pour les rapprocher physiquement.

Vous croyez que la presse people touche aujourd’hui le fond avec les amours de Hollande, Rihanna ou Nabilla ? Dites-vous bien qu’il y a un siècle, c’était déjà le cas. La malheureuse Marie Curie, pourtant Prix Nobel, est piétinée, traînée dans la boue et pire encore parce qu’elle trouve un peu de bonheur dans les bras du physicien Paul Langevin, déjà marié. La presse accuse cette Polonaise de voler le mari d’une brave Française. Quel scandale ! Qu’elle quitte la France ! Qu’elle rejoigne Leonarda ! Qu’elle rende ses prix ! L’Action française, Le Petit Journal et bien d’autres journaux se déchaînent alors avec une violence que la presse à scandales d’aujourd’hui n’oserait pas.

En 1910, quand Marie se rapproche de Paul, elle est déjà veuve depuis quatre ans. Son époux, Pierre, est mort écrasé par un attelage, sur les quais, près de la place Saint-Michel. Très attachée à son époux, la physicienne est détruite. Pour tenir, elle se jette à corps perdu dans ses travaux et l’éducation de ses deux enfants. Elle n’est plus qu’une ombre jusqu’à ce jour du printemps 1910, où elle arrive pour dîner chez ses amis, les Borel, en "robe blanche, une rose à la ceinture". Stupéfaction ! Incrédulité ! La veuve rayonne. Les Borel se regardent, s’interrogent. Elle n’avoue rien. Surtout pas qu’elle est amoureuse de Paul Langevin, physicien célèbre, ex-élève de Pierre et de cinq ans son cadet. À pas de loup, Marie Curie et Paul Langevin se sont apprivoisés. La solitude de l’une et le mauvais mariage de l’autre les ont rapprochés. Il lui a avoué sa flamme au-dessus d’un bec Bunsen. Elle l’a acceptée avec beaucoup de radioactivité. Impossible de vivre leur amour au grand jour. Il est marié et sa femme n’est pas commode. Elle n’hésite pas à le cogner. Oui, oui !

"À samedi, ma chérie"

Alors, pour se livrer en toute quiétude à des expériences de physique appliquée, à des transferts de fluides amoureux, le couple loue, le 15 juillet 1910, un deux-pièces au cinquième étage d’un immeuble situé au 5, rue du Banquier. Pas trop loin de l’École de physique. Ils s’y retrouvent dès qu’ils ont un moment de libre. C’est leur "chez-nous". Lettre de Paul : "Je t’écris en toute hâte pour te dire que, si tu n’es pas venue le matin, je retournerai chez nous l’après-midi à partir de 2 heures... Je suis aussi impatient de te revoir, beaucoup plus que je ne suis inquiet des difficultés à venir. Cela me sera si bon d’entendre de nouveau ta voix et de revoir tes chers yeux... À samedi, ma chérie, je ne cesse de penser à toi. Je t’embrasse tendrement... Je tiens à obtenir des conditions d’existence acceptables pour nous deux et je suis d’accord avec toi sur ce qu’il convient de faire pour les obtenir. Nous parlerons de cela demain. De toute manière, je passerai chez nous, vers huit heures et demie."

Jeanne Langevin finit par soupçonner quelque chose. Elle appartient à la race des jalouses agressives. Son mari tremble devant elle. D’autant que la mère et la soeur de Jeanne la soutiennent, n’hésitant pas à insulter et à cogner ce grand imbécile de Paul qui s’échine à vouloir faire des expériences au lieu de gagner plein d’argent dans le privé. Bref, Jeanne renifle quelque chose de pas catholique dans l’attitude de son époux. Il traîne trop souvent autour de la veuve. Il y a aiguille (de radium, bien sûr) sous roche. Elle se plaint à des amis de les voir prendre souvent le train ensemble pour se rendre au labo. Les vacances arrivent à point nommé. Les Langevin partent pour la Bretagne. Paul et Marie s’envoient de longues lettres amoureuses. Catastrophe, l’une d’elles est interceptée par Jeanne, qui tombe à bras raccourcis sur Paul. Quasiment hystérique, elle menace de dévoiler sa liaison avec Marie, quitte à déclencher un scandale national. Elle parle même de tuer la Polonaise si celle-ci persiste à vouloir lui voler son époux. Le physicien prend la menace au sérieux, il en parle à Marie quand ils se retrouvent à Paris. Mais que faire ? Osera-t-elle ? Un beau jour, l’épouse bafouée, soutenue par sa soeur, passe à l’attaque. Elles accostent Marie Curie dans la rue pour l’injurier et la mettre en demeure de quitter la France. C’est la guerre. Des amis, mis au courant du drame, conseillent à Marie de s’éloigner de Paris en attendant que la virago se calme, mais celle-ci refuse de céder. Peu à peu, la tempête s’apaise, car Langevin promet à son épouse de ne plus revoir Marie.

Menaces

Que vaut la promesse d’un homme amoureux quand elle lui est extorquée sous la menace ? Pas grand-chose. Avec Marie, il continue à échanger des courriers. Depuis la Bretagne où elle est partie se reposer avec sa famille à la fin de l’été 1910, elle lui écrit : "Et voici que nous sommes liés par une affection profonde que nous ne devons pas laisser détruire." Elle espère encore que Langevin trouve le courage de quitter son épouse et ses quatre enfants pour elle. La malheureuse : elle connaît tout de la radioactivité du radium, mais rien de la veulerie des époux. Elle poursuit : "Dis-toi quelquefois qu’il faut que je tienne à toi par un lien bien fort, pour que je sois décidée à le défendre, au risque de ma situation et de ma vie, alors que j’ai pourtant d’autres devoirs si importants à remplir." Elle achève sa lettre en lui indiquant comment faire pour se séparer de Jeanne. Elle le met en garde contre la possibilité que cette dernière se fasse mettre enceinte pour le retenir. "Mais tant que je te sais près d’elle, mes nuits sont atroces..."

Dès son retour à Paris, Marie Curie est accaparée par sa candidature à l’Académie des sciences. Il n’y a pas plus machiste et xénophobe que la communauté scientifique de l’époque. Elle échoue à deux voix près, au profit d’Édouard Branly. Paul et Marie ont repris leur liaison avec mille précautions. Mais la situation devient de plus en plus intenable. À Pâques 1911, un inconnu à la solde de Jeanne Langevin s’introduit dans le deux-pièces de la rue du Banquier pour voler les lettres d’amour que Marie et Paul y conservent. Elles échouent entre les mains de l’épouse bafouée, qui fait savoir à Marie être prête à déclencher un maxiscandale public s’ils poursuivent leur liaison secrète. Cette fois-ci, la physicienne décide de s’éloigner de Paris et accompagne un couple d’amis à Gênes, en Italie. Pendant ce temps, Langevin vit un enfer, Jeanne menace à tout moment de publier les lettres. Durant l’été, Paul quitte la maison en entraînant ses deux fils aînés. Il emprunte une somme considérable à Marie pour la verser à sa femme afin de la calmer.

"Ramassis de métèques"

Le 4 novembre, alors que Paul et Marie assistent à la fermeture du congrès Solvay, qui rassemble la fine fleur des physiciens mondiaux, dont Einstein, le scandale éclate. Le Journal publie un article, titré "Une histoire d’amour : madame Curie et le professeur Langevin" et signé par un certain Fernand Hauser. Le torchon prétend que les deux physiciens se sont enfuis ensemble. Un tissu de mensonges puisqu’ils assistent officiellement au congrès. Mais tous les journaux de l’époque embraient sur l’histoire et en rajoutent. Surtout Le Petit Journal, dont l’un des directeurs est le beau-frère de Jeanne Langevin. Les articles présentent cette dernière comme une épouse éplorée, victime d’une étrangère qui lui vole son mari. Le 7 novembre, coup de tonnerre, on apprend que Marie Curie décroche le prix Nobel de chimie. La presse française passe quasiment sous silence la nouvelle. Einstein croit la défendre en assurant que sa consoeur "n’est pas assez séduisante pour être dangereuse pour quiconque".

L’attribution du Nobel ne désarme pas Jeanne. Au contraire : elle balance un bâton de dynamite en menaçant son mari d’un procès s’il ne renonce pas à la garde de ses enfants et ne s’engage pas à lui verser une pension alimentaire de 1 000 francs. Il refuse. Procès. L’Action française, dirigée par Léon Daudet, entre dans la danse. Le journal tire à boulets rouges sur Marie Curie la Polonaise, la dreyfusarde, la briseuse de couple. L’Intransigeant prend le relais. Les deux journaux menacent de publier les lettres de Curie et de Langevin, mais finalement abandonnent cette ignominie à L’OEuvre, un torchon. La publication intervient le 23 novembre. Haro sur l’étrangère qui détruit un foyer français ! C’est une nouvelle affaire Dreyfus. Le journaliste décrit une "France aux prises avec le ramas de métèques qui la pillent, la souillent, la déshonorent". Des extraits des lettres de Marie sont publiés, surtout les plus compromettants. Le scandale fait tache d’huile au point d’inquiéter la faculté des sciences de la Sorbonne, qui emploie Marie Curie. Certains de ses collègues commencent à lui battre froid. Le Conseil des ministres évoque son cas. Il est question de lui demander de quitter la France. On lui ferait avoir un laboratoire en Pologne. Soutenue par un noyau d’amis fidèles, Marie fait de la résistance, fait front aux racontars. Le mathématicien Paul Painlevé prend sa défense.

Duel

Paul Langevin, largement dépassé par l’ampleur de l’affaire, se résout néanmoins à provoquer en duel le patron du journal L’OEuvre. Celui-ci se déroule le 26 novembre, dans le bois de Vincennes. Les deux adversaires s’éloignent de 25 pas avant de se faire face puis de lever leur pistolet. "Un, deux, trois, feu !" Gustave Théry dirige son arme vers le sol, Langevin l’imite. Pas même un coup de feu. Décevant. Les photographes les regardent d’un oeil torve. Ces événements ne peuvent pas rester sans écho à Stockholm. On fait savoir à Marie que sa présence à la remise des prix serait malvenue. Mais elle ne se laisse pas intimider, jugeant que les attaques dont elle fait l’objet n’ont pas à interférer avec le terrain scientifique. Crânement, le 10 décembre 1911, elle reçoit son prix des mains du roi Gustave V.

À son retour, elle doit être hospitalisée d’urgence à cause d’une maladie rénale, sans doute amplifiée par le scandale. Entre-temps, Langevin évite le procès en passant un accord avec sa femme à qui il abandonne la garde des enfants en échange d’un droit de visite. Aussitôt, le scandale s’évanouit. Mais il ne peut plus être question pour Paul et Marie de vivre ensemble. Leur liaison ne résiste pas à la tempête. Trois ans plus tard, Paul Langevin regagne même le toit conjugal. Cela ne l’empêche pas de prendre une nouvelle maîtresse, mais anonyme cette fois-ci. Quant à Marie, elle retourne à ses chers travaux et à ses tendres enfants.

Aujourd’hui, Marie Curie, Pierre Curie et Paul Langevin sont réunis sous le même toit pour l’éternité : celui du Panthéon


Accueil | Contact | Plan du site | |

Creative Commons License

Promouvoir & Vulgariser la Technologie