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16 juillet 1676. La marquise de Brinvilliers est décapitée sous les yeux de Mme de Sévigné.

jeudi 16 juillet 2015

Violée à sept ans, abusée par ses deux frères, Marie-Madeleine Dreux d’Aubray se venge en empoisonnant son entourage.

C’est donc elle, la fameuse marquise de Brinvilliers, le monstre qui a empoisonné père et frères ! Cette minuscule femme de 46 ans priant sur la charrette qui la mène sur le lieu de son supplice... Elle ressemble davantage à une sainte qu’à une criminelle. À la regarder, on la dirait aussi innocente qu’un Copé. Les milliers de Parisiens entassés le long du parcours en auraient presque des larmes aux yeux. Pourtant, dans quelques minutes, le bourreau tranchera bel et bien son cou avec la dextérité d’une Maïté sectionnant celui d’un poulet. Encadrée par l’exécuteur des hautes oeuvres de Paris et par son confesseur, la marquise porte une robe de bure. Une cornette de nuit en simple toile dérobe son visage aux yeux de la foule. Elle tient à la main un cierge jaune. Des centaines de têtes se penchent aux fenêtres pour assister au supplice. Voilà madame de Sévigné qui, dès le lendemain, écrira à sa fille : "Enfin, elle monta sur l’échafaud avec bien du courage, seule et nus pieds. Là, elle fut un quart d’heure mirodée, rasée, dressée et redressée par le bourreau : ce fut un grand murmure et une grande cruauté. Le lendemain, on cherchait ses os, parce que le peuple disait qu’elle était sainte."

Née en 1630, Marie-Madeleine Dreux d’Aubray est la fille du lieutenant civil de Paris. Sa mère est morte en couches. À l’âge de 7 ans, elle se serait fait violer par un domestique, bientôt imité par ses frères. Cela ne l’empêche pourtant pas de se muer en une jolie jeune fille à la physionomie douce et innocente. Aimable et pleine d’esprit, elle plaît beaucoup aux hommes qui se disputent sa main. L’heureux gagnant est le jeune marquis Gobelin de Brinvilliers, fils d’un président à la chambre des comptes, persuadé d’épouser un ange.

Les malades de l’Hôtel-Dieu cobayes

La première année du mariage s’écoule merveilleusement. Ils sont fous amoureux l’un de l’autre. Ils sont comme François et Ségolène à l’ENA... Marie-Madeleine adore recevoir du monde dans son hôtel particulier, rue Saint-Paul. Un jour, son époux le marquis lui présente un capitaine de cavalerie, le chevalier Godin de Sainte-Croix. Il a de la prestance, se prétend bâtard d’une noble famille et avoue une passion pour l’alchimie. Il fait sa cour à la marquise, qui s’y montre d’autant plus sensible que son époux commence à la délaisser. Le chevalier l’écoute, la plaint, la console et la baise. Ils ne prennent même pas soin de cacher leur liaison. Le cocu s’en accommode d’autant plus qu’il multiplie les maîtresses. Ainsi va la vie, agréable et joyeuse pour La Brinvilliers qui prend, néanmoins, le temps d’accoucher de sept enfants. La rumeur n’en attribue que trois à son époux.

Scandalisé par la conduite de sa fille, le lieutenant civil de Paris va la trouver pour lui faire la leçon. Furieuse, elle l’envoie sur les roses. Dreux d’Aubray décide alors de la sauver malgré elle en faisant embastiller son amant, Godin de Sainte-Croix. Autant dire que la Marie-Madeleine voue son géniteur aux enfers. Au cours de son emprisonnement d’un an Sainte-Croix fait la connaissance d’un alchimiste italien du nom d’Exili, qui lui confie le secret des poisons. À sa sortie, il retrouve le lit de la marquise, à qui il transmet ses nouvelles connaissances car elle désire se venger de son père. Pour écarter tout soupçon, elle commence par se fabriquer l’image d’une sainte en fréquentant plus que jamais les églises, en se confessant souvent, en pratiquant l’aumône. Elle visite les malades de l’Hôtel-Dieu qu’elle utilise à leur insu comme cobayes en leur distribuant des biscuits imprégnés de poison pour définir la bonne dose. Avant de passer à l’action, elle teste une dernière fois son cocktail de la mort sur sa femme de chambre, qui a été élevée avec elle. On n’est jamais mieux servi que par les siens... La pauvre femme survit à l’empoisonnement faisant ainsi comprendre à la Brinvilliers qu’il lui faut augmenter la dose.

La rusée prévoit de tuer son père à petit feu pour écarter le soupçon d’empoisonnement, mais il lui faut un complice sur place pour délivrer le poison. C’est ainsi qu’elle fait engager par son père le laquais de Sainte-Croix, un certain La Chaussée. À partir du début de l’année 1666, ce dernier entame sa sinistre mission en déversant de petites doses de poison dans les aliments de monsieur d’Aubray dont l’état de santé décline au fil des mois. Après de longues souffrance, le père de la marquise finit par s’éteindre le 10 septembre 1666. Et d’un !

Dettes, amour et poison

Quelques années plus tard, la divine marquise décide de se débarrasser de ses frères. Par vengeance de ce qu’ils lui ont fait subir lorsqu’elle était jeune ? Pour s’emparer d’une part plus grosse de l’héritage familial, car elle est horriblement dépensière ? En tout cas, elle fait de nouveau appel à La Chaussée, qu’elle fait engager successivement chez ses deux frères pour les empoisonner à leur tour en 1670. Après ces deux fratricides que personne ne la soupçonne d’avoir commis - sauf peut-être sa soeur -, Marie-Madeleine se dit qu’elle se débarrasserait bien de son époux le marquis. Elle lui administre régulièrement de petites doses pour faire croire à une fluxion de poitrine. Mais Godin de Sainte-Croix, qui commence à être effrayé par sa maîtresse, s’arrange pour que ledit époux absorbe chaque jour un contrepoison. Cela aurait pu continuer longtemps si l’alchimiste n’était pas mort accidentellement. Alors qu’il mène une dangereuse expérience, il laisse tomber le masque de verre qui le protégeait de vapeurs mortelles. Il meurt dans la minute. Le commissaire venu constater la mort trouve sous le lit de la victime une cassette enveloppée d’un grand papier. Il y est écrit de la remettre en main propre à la marquise de Brinvilliers, sans essayer de l’ouvrir. Une telle consigne ne peut qu’éveiller la curiosité du commissaire, qui s’empresse d’ouvrir le coffret pour y découvrir des reconnaissances de dettes, des lettres d’amour de la marquise de Brinvilliers ainsi que des flacons de poison. Tout cela est très suspect : le policier mène l’enquête et rassemble des témoignages accablants pour la marquise.

Celle-ci, sentant l’étau se refermer sur elle, prend la fuite. Après un crochet par Londres, elle s’enferme dans un couvent près de Liège pour échapper à sa condamnation par contumace, prononcée en 1673 à la suite des aveux, sous la torture, de La Chaussée. Durant trois ans, elle ne met pas le nez dehors par crainte d’être arrêtée et ramenée en France. Finalement, elle tombe dans le piège tendu par un policier français qui, déguisé en prêtre, parvient à l’attirer hors de son abri. Elle est transportée à Paris, où son procès s’ouvre le 29 avril 1676. Soumise à la question, elle refuse d’avouer. Aujourd’hui, certains historiens veulent croire qu’elle aurait été plus manipulée par Sainte-Croix qu’organisatrice principale des meurtres. D’autres sources prétendent que ses poisons auraient été utilisés pour empoisonner Henriette d’Angleterre, fille de Charles Ier d’Angleterre et cousine de Louis XIV, morte dans d’atroces souffrances, le 30 juin 1670, au château de Saint-Cloud. Par ce meurtre, la marquise aurait voulu empêcher l’alliance franco-britannique. Ses poisons auraient également servi à empoisonner Colbert.

"N’est-ce pas là un bon coup ?"

Condamnée à avoir la tête tranchée, elle est donc conduite en place de Grève accompagnée de son confesseur, l’abbé Pirot, qui laisse un compte rendu détaillé des derniers instants de la marquise. Elle a réussi à le convaincre de son innocence. Il la prend même pour une sainte ! Avant de quitter la prison pour l’échafaud, elle lui dit : "Monsieur, voilà un chapelet que je serais bien aise qu’il ne tombât pas entre les mains du bourreau ; ce n’est pas que je croie qu’il en ferait un bon usage, ces gens-là sont chrétiens comme nous, mais enfin j’aimerais mieux le laisser à quelque autre." La charrette s’arrête devant l’échafaud. Des badauds crient vengeance et l’insultent. "Le bourreau était sorti du tombereau pour disposer l’échelle de l’échafaud ; elle me regarda d’un visage doux et d’un air plein de reconnaissance et de tendresse, les larmes aux yeux." L’exécuteur la fait s’agenouiller. "Il la décoiffa sitôt qu’elle fut à genoux ; il lui coupa les cheveux par-derrière et aux deux côtés." On lui bande les yeux. Le bourreau lève haut sa lourde épée. Ce n’est pas le moment de viser à côté. "Un coup sourd dont le son frappa mes oreilles, c’était le coup que le bourreau lui donna pour abattre la tête. Il fit cela si habilement que je ne vis point du tout le couteau passer, quoique j’eusse toujours la vue appliquée à la tête qu’il coupa, et je suis encore à savoir comme est fait cet instrument, que je n’ai jamais vu, ni nu ni dans le fourreau... Il ne dit rien du tout à madame de Brinvilliers, elle se tenait seulement la tête fort droite. Il la lui avala d’un seul coup, qui trancha si net qu’elle fut un moment sur le tronc sans tomber. La tête tomba sur l’échafaud fort doucement en arrière, un peu du côté gauche, et le tronc devant, sur la bûche qu’on avait mise devant elle en travers. Le bourreau se tourna de mon côté, s’essuyant le visage et me disant d’abord, comme s’il eut eu de la complaisance pour son adresse : Monsieur, n’est-ce pas là un bon coup ? Je me recommande toujours à Dieu dans ces occasions-là, et jusqu’à présent, il m’a assisté. Il y a cinq ou six jours que cette dame m’inquiétait et je lui ferai dire six messes."

Reste à brûler le corps et la tête. Les archers du guet font reculer la foule pour allumer le bûcher déjà préparé, composé de bois et de paille. Il flambe toute la nuit. Au petit matin, les valets du bourreau dispersent la cendre dans la Seine. Des curieux, persuadés de la sainteté de la marquise, se précipitent pour recueillir quelques souvenirs calcinés. Laissons le dernier mot à la spirituelle marquise de Sévigné : "Son pauvre petit corps a été jeté, après l’exécution, dans un fort grand feu et les cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante, dont nous serons tous étonnés."


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