MosaikHub Magazine

Bises !

jeudi 24 juillet 2014

Embrassons-nous, puisque désormais tout le monde s’embrasse, filles et garçons, jeunes et vieux. Bon, ben, bises alors. Bizz. Bisous. La bise. A la fin des courriels comme dans la vie, dans la rue ou en queue de SMS. Et que je t’embrasse. Et que je te claque la bise. Les plus sophistiqués (ou prudents) écrivent kiss, besos, baci ; en langue étrangère, ça paraît moins gluant, moins dégoulinant sans doute. N’empêche, je reçois par mail des bises de gens que je connais à peine. Fais bécot à la dame. Beurk. Fais la bise au monsieur. Nan, j’veux pas.

Bon, allez, on se détend. Rien de grave. Après tout, cela participe de la grande vague de régression collective dans laquelle nous baignons depuis le début du siècle. Pas de souci, comme on dit sur l’"île aux enfants" des adulescents.

Ecoutez pourtant les hommes et les femmes de pouvoir clamer depuis six ou sept ans : "Allons, allons, on n’est pas chez les Bisounours !" Au passage, vous voyez de Gaulle ou Pompidou dire ça !? Je sais, les Bisounours n’existaient pas alors. Les Care Bears (Calinours au Canada), apparus en 1981 sur des cartes de vœux, ont englué, enguimauvé, les écrans des années 1980. Puis, comme il fallait faire plaisir à cette génération, deux films sont sortis en DVD en 2004 et 2005. Aussi, quand les politiciens d’aujourd’hui, les patrons, les entraîneurs sportifs, les producteurs de télé-réalité rappellent qu’on n’est pas chez les Bisounours, s’adressent-ils d’abord aux trentenaires ou aux plus jeunes encore. Et, vu leur air, on les croit volontiers.

PRUDENCE

Cependant, considérant toutes les bises qui s’échangent, on peut penser qu’ils ont perdu la partie. Dans le pays réel, comme dans celui des Bisounours, l’embrassade est reine. C’est assez logique. Le fond de l’air étant si pessimiste, l’époque est à l’affectif, à la recherche de chaleur humaine ; on ne veut pas avoir l’air d’en rajouter dans la froideur. Avec des collègues, des connaissances, des amis, comment conclure ? Bien à toi ? Amitiés ? A vite ? A tout bientôt ? Ou alors le "je t’embrasse", bise ou bises, voire bizz. Certains amis ont le droit de m’embrasser, d’autres plus proches préfèrent le hug américain ou l’abrazo latino, ou la poignée de main (pour mes meilleurs amis). Je le reconnais : trouver la bonne distance est un vrai casse-tête. Mais de là à distribuer des bises comme une reine des fleurs sur son char de carnaval...

Le substantif "bise" n’est pas bien vieux, il a un siècle environ (1911, selon les étymologistes). Il vient du verbe "biser" - toujours dans le dico -, qui lui-même sort d’un dialecte de l’ouest de la France semble-t-il, pour dire "baiser" ; lequel verbe descend du latin basiare, qui se rapporte aussi bien au baiser d’amour qu’au baiser de salutation. Colette, qui n’est jamais la dernière à adopter les nouveautés langagières, emploie "bise" dès 1913. Sachez par ailleurs que dès 1500, en français, on trouve le verbe "baiser" comme synonyme de "tromper", "posséder"... soit la signification qu’il acquiert dans l’argot de la fin du XIXe siècle. Se faire baiser, c’est se faire voler ; être baisé, c’est être trompé. Ça vient de loin - Judas, tout ça... Ce double sens devrait inciter nos contemporains à la prudence. Mais pensez-vous. Rien n’arrête la bise.

Chères lectrices et chers lecteurs, ami(e)s des mots, dès la semaine prochaine cette chronique migre sur Internet. Retrouvez-la chez nos cousins du Huffington Post, sous forme d’un blog hebdomadaire. A très vite, à tout bientôt et ce genre de choses !


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