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Les Etats-Unis embarrassés par la dévaluation de la monnaie chinoise

mercredi 12 août 2015

Difficile exercice d’équilibriste : les Etats-Unis ont réagi avec la plus grande prudence à la dévaluation de la monnaie chinoise, qui risque de plomber leurs exportations mais répond en partie à leurs exigences sur la convertibilité du yuan.

Après plusieurs heures de flottement, le Trésor américain a fini par déclarer qu’il était "encore trop tôt" pour juger des implications de la décision chinoise de dévaluer d’environ 2% sa monnaie, qui reste aujourd’hui encore étroitement encadrée.

A première vue, cet avis peut surprendre. Les autorités américaines ne manquent pas une occasion d’accuser Pékin de sous-évaluer artificiellement le renminbi, autre nom du yuan, afin de doper la compétitivité de ses produits à l’étranger.

Mais la banque centrale chinoise a pris soin d’affirmer que la dévaluation décidée mardi était exceptionnelle et, surtout qu’elle s’accompagnait d’une plus grande libéralisation du yuan, répondant ainsi à une très ancienne exigence des autorités américaines.

Washington a été contraint d’en prendre acte, même prudemment. "La Chine a indiqué que les changements annoncés constituaient un nouveau pas vers un taux de change davantage déterminé par le marché", a déclaré le Trésor, tout en adressant une mise en garde : "Toute marche arrière constituerait un développement inquiétant".

- ’Contorsion’ -

Au fond, l’engagement pris par Pékin place l’administration Obama dans une position délicate au moment où les exportations américaines sont déjà plombées par le renchérissement du dollar et où le déficit avec la Chine ne cesse de s’aggraver.

"La décision chinoise contraint l’administration américaine à une difficile contorsion", analyse pour l’AFP Eswar Prasad, ancien cadre du FMI en charge de la Chine.

Selon lui, Washington n’a ainsi plus "aucun argument économique" pour critiquer une décision qui risque de creuser son déficit avec la Chine et "renforcer" les diatribes politiques antichinoises en plein lancement de la course à la Maison Blanche pour 2016.

"Pékin a donné de nouvelles munitions (à ses adversaires) au pire moment possible : dans les premiers moments d’une campagne présidentielle", estime ainsi Kevin Carmichael, du Centre for International Governance Innovation (CIGI).

Pas avare de provocations, le candidat aux primaires républicaines Donald Trump a ainsi rué dans les brancards aussitôt la décision chinoise connue. "Cela va être dévastateur pour notre économie", a-t-il tonné sur CNN.

Selon les experts interrogés par l’AFP, le commerce extérieur américain ne devrait toutefois pas pâtir de la dévaluation chinoise, à la condition qu’elle soit sans lendemain.

Dans la nuit de mardi à mercredi Pékin a annoncé une deuxième dévaluation du yuan.

"L’impact direct sur les exportations américaines sera limité à court terme", avait estimé Robert Kahn, du Council on Foreign Relations, après le premier mouvement de dévaluation.

"Mais, ajoutait-il, si c’est le début d’une tendance plus générale vers une dévaluation, ce serait problématique parce que ce serait une tentative de la Chine d’obtenir un avantage sur ses principaux partenaires commerciaux".

Les Etats-Unis n’ont pas besoin de ça. Ils accusent depuis de longues années un très large déficit sur les échanges de biens vis-à-vis de la Chine (plus de 31 milliards de dollars en juin).

La décision chinoise pourrait toutefois avoir moins à faire avec son grand rival américain qu’avec sa volonté de voir le yuan rejoindre le club fermé des grandes monnaies de référence sur le globe.

Pékin ambitionne ainsi d’élargir l’usage de sa monnaie hors de ses frontières en obtenant son inclusion dans les Droits de tirage spéciaux (DTS), l’unité de compte du Fonds monétaire international actuellement composé de quatre devises (dollar, euro, livre et yen).

"La banque centrale chinoise veut convaincre le FMI que le renminbi peut être une monnaie de réserve", assure Derek Scissors, économiste à l’American Enterprise Institute de Washington.

Le Fonds, qui prendra sa décision en novembre, a récemment posé ses conditions : la monnaie chinoise doit évoluer en fonction des fluctuations du marché et doit être "librement utilisable".

Avec son annonce mardi, Pékin semble avoir entendu l’institution et lui a, selon M. Prasad, "donné exactement ce qu’elle demandait".

Le FMI a salué une "étape positive" tout en affirmant que ces mesures n’auront pas "d’implication directe" sur sa décision.

En dévaluant subitement sa monnaie, la Chine a toutefois introduit une "certaine incertitude" peu au goût des Américains, assure Derek Scissors, qui s’interroge : "Que se passera-t-il si les Chinois décident d’un nouvel ajustement ?"


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