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15 août 1926. Hospitalisation de Rudolph Valentino dont la mort initiera une vague de suicides

samedi 15 août 2015

La première star du muet, plus sexy que George Clooney, Brad Pitt et Leo DiCaprio réunis, meurt d’un banal ulcère à l’estomac.

À l’écran, Rudolph Valentino est muet comme une carpe. Mais durant la nuit du 15 août 1926, il gueule comme un putois. Ses cris couvriraient presque ceux des manifestants pro-Gaza... Vers 1 h 30 du matin, la star s’effondre à Times Square, victime de crampes intenses à l’estomac. C’est comme s’il avait avalé une collection de poignards. Jamais de sa vie il n’a eu aussi mal. Il est aussitôt transporté jusqu’à la polyclinique de la 15e Rue. Les médecins diagnostiquent un ulcère à l’estomac. Avant d’en savoir davantage, ses proches tentent de garder l’info secrète, sinon ça va être la cohue. Peine perdue. En seulement quelques heures, toutes les rédactions croient tenir le scoop : Rudolph Valentino, le chéri de ses dames, est malade ! Les bouquets de fleurs, les lettres d’amour, de soutien, les télégrammes arrivent par centaines à l’hôpital, le standard est saturé d’appels... Du jamais-vu ! Et voilà toute l’Amérique le souffle suspendu, attendant des nouvelles de la première grande star du cinéma muet. Valentino est si adulé que sa mort en pleine gloire déclenche une vague de suicides chez ces dames. Jamais un homme sur Terre n’a autant plus aux femmes, mis à part François Hollande...

Né en 1895 à Castellaneta en Italie, d’une mère française et d’un père italien, Rodolfo Alfonso Raffaello Pierre Filibert Guglielmi di Valentina d’Antonguolla a forcément raccourci son nom. En 1913, à tout juste 18 ans, il débarque aux États-Unis comme des milliers d’autres immigrés, rêvant de faire fortune. Il passe son temps dans les rues, fait un peu de jardinage, la plonge dans les restaurants, avant de mettre ses talents de danseur à profit en faisant virevolter les veuves dans les boîtes à tango. Une fois l’homme devenu célèbre, on prétendra qu’il ne se contentait pas de danser... Just a gigolo ?

En 1917, le voilà qui rejoint la "Mecque du cinéma", Hollywood, où il est vite repéré pour sa beauté et ses yeux de velours. La prestigieuse Metro Goldwyn Mayer l’engage pour des rôles de méchant ou de gangster. Premier succès, Les quatre cavaliers de l’Apocalypse, en 1921. C’est un carton au box-office, alors qu’il n’assure qu’un second rôle. Avec Le cheik, c’est la gloire. Son regard hypnotise les filles, toutes en sont dingues. Carla comme les autres... Il est désormais sans cesse harcelé par une horde de fans qui gloussent et brandissent leur stylo pour des autographes à la moindre de ses apparitions. Le premier "latin lover" est né, et le star-system aussi. Des jaloux le surnomment "Vaselino" pour la gomina avec laquelle il se tartine les cheveux. Ces messieurs de la gent masculine ne pardonnent guère à un étranger, un métèque, de venir leur voler la vedette auprès des femmes, même s’ils l’adorent en tant qu’acteur.

Son ambiguïté sexuelle

Côté vie privée, il engrange moins de succès. Son premier mariage est rompu le soir même des noces : sa tendre épouse Jean Acker lui refuse sa chambre. Normal, elle est en réalité lesbienne. Plus tard, il tombe fou amoureux d’une costumière, Natacha Rambova, une beauté froide qui n’hésite pas à l’accuser, lors de leur divorce, de découcher pour des amitiés plutôt masculines. La garce. Avec sa gueule poudrée, ses cheveux gominés et ses costumes dorés, la star paraît un tantinet efféminée et fait ricaner, mais c’est aussi cette ambiguïté sexuelle qui fait son succès. Et ses déboires ! On l’accuse d’allumer les nanas sans jamais les consommer, on le traite de pervers, d’impuissant, et surtout de "pédé". Alors qu’il est en tournée pour promouvoir son dernier film, Le fils du cheik, un journaliste américain sous-entend que le beau Rital est homosexuel. Valentino est furieux ! Lui qui ne veut pas finir comme Oscar Wilde s’en défend et défie le journaliste d’enfiler des gants pour un combat de boxe. Son sang latin... Il va voir ce qu’il va voir, ce scribouillard de torchons ! Le journaliste se défile, le duel n’a pas lieu. Les révélations sur ses penchants sexuels n’ont pas raison de son succès. La foule continue à faire la queue devant les cinémas pour voir Valentino au grand galop sur son cheval dans le désert.

C’est à cette période que le jeune trentenaire commence à se plaindre de maux d’estomac. Il les attribue aux cachets dont il se bourre pour freiner sa calvitie naissante. Pas question, pour autant, d’arrêter de les avaler, car la beau gosse attitude, c’est sa marque de fabrique, la clef de son succès. Sans un poil sur le caillou, il est foutu, pense-t-il. Il se promet d’aller consulter, mais repousse toujours le moment par manque de temps. Il vient juste de divorcer de son dragon de Natacha, place à la vie de célibataire ! Les voyages, les palaces, les virées au volant de sa Bugatti, l’achèvement de la construction de sa villa luxueuse dans le Beverly Hills naissant... Rien n’est trop beau pour lui. Il consume ses dollars à la vitesse de l’éclair. Faut l’excuser, il n’a pas eu une enfance facile. Mais ce ne sont pas les fiestas qui font disparaître la bête qui lui bouffe l’estomac. Les douleurs s’accentuent, ses médecins n’y comprennent rien. Jusqu’à son hospitalisation le 15 août 1926.

Ulcère perforé

Valentino refuse toute opération. Mais à 16 h 30, son mal s’aggrave. Son ulcère perforé doit être opéré d’urgence. À l’extérieur de l’hôpital, c’est le grand chambard tant ses fans sont secoués. Le lendemain matin, l’hôpital publie un communiqué rassurant, ce qui n’empêche pas ses admirateurs de continuer d’affluer devant l’établissement. Le personnel ne sait plus que faire de toutes ces fleurs, ces gâteaux, ces cadeaux, et organise une grande distribution à tous les étages. Deux mille coups de fil par jour et mille télégrammes. Les tabloïds de leur côté se déchaînent dans leurs unes : "Rudy affronte la mort en face", "Rudy est mort", et même, "Nabilla se recueille devant la dépouille de Rudy". Le 20 août, tout le monde commence à être rassuré, ses constantes sont redevenues normales.

Mais le 21 août Valentino rechute ! Cette fois, c’est plus grave. Péritonite doublée d’une pleurésie. L’infection court avec d’autant plus de célérité que ce cher Fleming n’a pas encore découvert la pénicilline. L’Amérique prie, pleure, tremble en attendant les nouvelles. Frédéric Mitterrand prépare une nécro en se léchant les babines... L’organisme de l’acteur n’arrive pas à combattre l’infection, il glisse dans un état semi-comateux, les médecins lui administrent de la morphine, c’est la fin. Il meurt le 22 août 1926 à midi. Rudolph Valentino, 31 ans, fauché en pleine jeunesse, au sommet de la gloire. C’est impensable ! Il doit mourir dans l’arène, sur le champ de bataille, comme dans ses films, mais sûrement pas à l’hôpital. Le communiqué annonçant sa mort n’est même pas encore totalement rédigé que déjà le bouche-à-oreille provoque l’hystérie. La dépouille dans ses habits dorés est exposée à l’église Campbell, dans une salle décorée avec un piano à queue et des reliques de Napoléon. Des milliers et des milliers de fans viennent s’assurer qu’il est bien mort. Pendant qu’on fait la queue devant les cinémas pour voir son dernier film Le fils du cheik, on fait en même temps la queue pour le voir mort. Une foule ivre de douleur erre dans les rues de New York, les femmes crient son nom avant de s’évanouir, des vitrines éclatent, ses fans sont en plein délire, la police a du mal à contenir les débordements... Le climat est apocalyptique ! Pire, des femmes se suicident juste après avoir appris la nouvelle, à New York, à Londres, pour le "retrouver". Même la mort de James Dean ou, plus tard, celle de Marilyn Monroe ne provoqueront pas tant d’émotion.

Le séducteur par excellence

Ses funérailles ne seront pas celles d’un président ou d’un pape, mais carrément celles d’un pharaon. Léon Zitrone est déjà là pour les commenter... Cent mille personnes présentes pour la messe donnée à New York, pendant que tout Hollywood respecte deux minutes de silence. Quand il est inhumé le 7 septembre à Hollywood, ce sont cinq minutes de silence qui sont décrétées. Jamais dans le coin ils n’avaient vu un tel parterre de people : Charlie Chaplin, Douglas Fairbanks, Cecil B. De Mille, Mary Pickford, William Randolph Hearst... Des funérailles dignes d’une grande production avec même un avion lâchant une pluie de pétales de rose au-dessus du mausolée presque royal. Grandiose. Une des icônes du muet est morte. Peut-être juste à temps. Car, un an plus tard, le cinéma devient parlant, et nombre de personnes pensent que Valentino n’y aurait pas survécu. En seulement huit ans de carrière et une quinzaine de films, il a réussi à marquer toute une génération, bien au-delà des frontières américaines, et à s’imposer comme le séducteur par excellence, immortel pour les décennies suivantes.


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