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18 août 1847. Le duc de Choiseul-Praslin assassine son épouse, croyant être au-dessus des lois.

mardi 18 août 2015

Craignant de provoquer un soulèvement populaire, Louis-Philippe n’intervient pas pour sauver le duc, qui se suicide à l’arsenic.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Le 18 août 1847, à l’aube, des cris déchirent la quiétude de l’hôtel Sébastiani, sis au 51, rue du Faubourg-Saint-Honoré. Ils viennent de la chambre de la duchesse de Choiseul-Praslin. Les domestiques entendent également de lourds bruits de pas et puis la sonnette. Ils en ont ras la casquette du chambard régnant dans cette demeure depuis quelque temps. Monsieur le duc Théobald de Choiseul-Praslin et madame la duchesse ne cessent de se bagarrer.

Les domestiques arrivent donc en ronchonnant. Stupeur en ouvrant la porte de la chambre de la duchesse, ils découvrent une véritable boucherie ! Fanny, leur maîtresse de 40 ans, gît au milieu de la pièce dans une mare de sang ! Elle halète encore faiblement. Ce qui est un exploit, vu les dizaines de plaies dans sa poitrine. Sans compter une autre, grave, à la tête. Un revolver fait trempette dans le sang, près d’elle. De l’hémoglobine peinturlure les murs, le sol, les tapis, les rideaux... Du grand-guignol. Les meubles sont cassés, renversés. Il y a même un chandelier sur le pied duquel on peut distinguer des morceaux de chair et des cheveux. Visiblement, la duchesse de Choiseul-Praslin ne vient pas de prendre le thé avec la mondaine Nadine de Rothschild... De la fumée s’échappe de la porte donnant sur l’appartement de son mari, Charles Hugues Théobald, duc de Choiseul-Praslin. Justement, le voilà qui se montre, hébété, présentant la tête d’un homme tombé d’une autre planète. C’est Hollande découvrant la décroissance... Se reprenant, il s’adresse aux domestiques pour leur demander brutalement lequel d’entre eux est entré le premier. Il envoie chercher la police et des secours. Trop tard, la malheureuse duchesse rend son dernier souffle, sans avoir pu prononcer une dernière parole ni désigner son assassin.

Apparemment, la victime a résisté farouchement à son agresseur. Plusieurs de ses doigts sont sectionnés net, probablement par la lame du couteau que la duchesse a tenté de saisir. L’inspecteur Columbo, venu en voisin, signale aux enquêteurs que la seule porte fracturée de la pièce est celle menant à l’appartement du duc... Qui plus est, d’innombrables traces de sang marquent le trajet entre les deux appartements. Enfin, des vêtements finissent de se consumer dans la cheminée de l’époux. Les enquêteurs demandent au duc de se déshabiller. Bingo, ses sous-vêtements sont tachés de sang ! Mais quelle crasse, ce "cucul le Praslin" ! Les Experts : Manhattan ont d’autres chats à fouetter, mais prendre à ce point les flics pour des cons !

"À bas Louis-Philippe !"

Seulement voilà, un duc n’est pas un citoyen ordinaire. Pour l’arrêter, il faut l’accord du roi ! Son titre lui confère l’inviolabilité, et, à ce titre, il est simplement assigné à résidence. Deux policiers gardent la porte de sa chambre. Les journaux s’en donnent à coeur joie. L’opinion publique réclame la mort de Théobald et du même coup condamne tous les nobles. "À bas Louis-Philippe !" entend-on dans les rues de Paris. Le roi voudrait bien sauver son ami, mais ce serait déclencher une révolution. Pas question. Bref, il faut faire comprendre au duc qu’il n’échappera pas au châtiment.

Le soir du 20 août, le duc de Praslin se met à vomir toutes ses tripes. Le médecin, prévenu par ses gardiens, lui conseille de garder le lit. Mais le lendemain, son état empire. Il vomit, tombe dans les pommes. A-t-il mangé les restes de Top Chef ? Point du tout, le duc a tout simplement avalé une bonne dose d’arsenic pour ne pas affronter l’accusation. Mourant, il est transféré le 21 août 1847 à la prison du palais du Luxembourg où il meurt trois jours plus tard, sans avoir confessé le meurtre. Les Parisiens sont furieux de s’être fait voler le procès. Pour désarmer la tension palpable dans Paris, le roi décide d’organiser une audience posthume qui déclare le duc de Choiseul-Praslin coupable. Le dossier est clos, circulez, il n’y a rien à voir. Un peu facile. L’affaire continue de faire grand bruit dans la presse, qui stigmatise la décadence d’une monarchie promise à la chute.

Une "nymphomane vertueuse"

Qu’est-ce qui a bien pu pousser le duc à supprimer son épouse ? En 1824, leur mariage est un conte de fées. Le duc s’offre la fille d’un maréchal d’Empire corse immensément riche. Tandis que, de son côté, Fanny accède à son rêve de devenir duchesse de Vaux. Jusqu’à la dixième grossesse, le duc est content d’exhiber sa moitié. Mais d’anguille celle-ci est devenue baleine, sentant le musc et la sueur. Pauvre homme... En 1837, il songe carrément à la virer tant il ne peut plus supporter les scènes de ménage et les crises d’hystérie continuelles de sa moitié. Mais voilà, c’est elle qui a le pognon et lui, des châteaux ruineux. Il fait alors ce que tout honnête homme fait à cette époque : interdire la porte de sa chambre à sa légitime pour multiplier les maîtresses...

Le physique du duc n’est pourtant pas celui de Brad Pitt ! Victor Hugo le décrit ainsi : "Une vilaine bouche et un affreux sourire contraint ; c’est un blond blafard, pâle, blême, l’air anglais. Il n’est ni gras ni maigre. Il n’y a pas de race dans ses mains qui sont grasses et laides. Il a toujours l’air d’être prêt à dire quelque chose qu’il ne dit pas." Fanny finit par quitter le domicile conjugal en emmenant ses nombreux enfants, mais elle reste malgré tout amourachée de son fichu mari. Elle lui envoie des dizaines de lettres enflammées dans lesquelles elle exige qu’il s’acquitte de ses devoirs conjugaux. Tintin, fait le duc, même si elle revient au domicile conjugal. Maxime Du Camp a laissé ce portrait de la duchesse : "Sans habileté, poursuivant son mari de ses désirs, lui écrivant vingt lettres par jour, le harassant de reproches et de souvenirs, violente et jalouse, elle représente un type assez rare, celui de la nymphomane vertueuse."

Amoureux transi

En 1841, le duc décide que son épouse, trop malade des nerfs, ne verra plus les enfants qu’en présence d’une gouvernante qu’il vient d’engager. Cette Henriette Deluzy est une super blonde, c’est Fanny avec 15 ans de moins, et bien sûr la maîtresse du duc. Adorée des enfants, elle prend une place de plus en plus importante dans la maison, à la grande fureur de la duchesse. Grand scandale public devant ce ménage à trois. Même les fils du roi s’en mêlent, conseillant à Choiseul-Praslin de se séparer de sa gouvernante. Finalement, sous la pression de son épouse, menaçant encore de lui couper les vivres, il doit s’y résoudre.

Mais le pauvre homme reste profondément épris. C’est Thierry de L’amour est dans le pré... Il continue d’échanger des lettres avec sa maîtresse, qui ne renonce pas à récupérer son duc. C’est une machiavélique que cette Henriette, qui fait croire à cet idiot qu’elle part se marier en Angleterre. Ne supportant pas de la perdre, Choiseul-Praslin décide de massacrer la duchesse. Henriette Deluzy sera arrêtée pour complicité de meurtre, mais, faute de preuves, sera relâchée. Elle file vers l’Amérique où elle se marie avec un pasteur. Fin de l’histoire.


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