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19 août 1626. Le bourreau amateur s’y reprend à 34 fois pour décapiter le comte de Chalais.

mercredi 19 août 2015

Condamné à mort pour avoir conspiré contre Louis XIII, le jeune comte est exécuté par un savetier tiré des geôles de la prison de Nantes.
Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

Ils croyaient bien faire en obligeant le bourreau à fuir pour que la décapitation de leur ami soit retardée. Un répit qu’ils auraient mis à profit pour arracher sa grâce à Louis XIII. Très mal joué ! Pour pallier l’absence de l’exécuteur de Nantes, la cour de justice recrute aussitôt un volontaire parmi les condamnés à mort des geôles de la ville, lui promettant la vie sauve pour le coup de main. Le petit souci, c’est que le savetier Charles Davy qui se propose obligeamment, n’a jamais tranché une tête de sa vie. C’est une véritable boucherie. Le comte de Chalais, 26 ans, ne perd totalement sa tête qu’au bout de la 34e tentative.

L’exécution se déroule sur la place du Bouffay, à Nantes. Plusieurs compagnies de soldats entourent l’échafaud. Le comte de Chalais, un jeune homme de 26 ans, tiré à quatre épingles, sort de la prison bordant la place vers six heures du soir. Il avance au milieu de deux haies de soldats accompagnés par le père minime des Rosiers. Son pas est ferme, il ne laisse paraître aucune émotion sur son beau visage. À ses côtés, le prêtre lui murmure des encouragements. De temps à autre, le comte porte à sa bouche son chapelet qu’il tient entre ses mains liées. Il l’embrasse avec ferveur. Le peuple, rassemblé en grand nombre, le regarde passer avec respect et curiosité. Ce n’est pas tous les jours qu’un grand seigneur, proche du roi, se fait raccourcir pour crime de lèse-majesté. Henri de Talleyrand-Périgord escalade lentement les marches de l’échafaud, regarde la foule sans dire le moindre mot. Il semble étonné du sort qui l’attend. Il n’a pourtant pas planqué d’argent en Suisse ou ailleurs... Dans un coin de l’estrade, l’exécuteur improvisé est dans ses petits souliers. Tuer son prochain, d’accord, mais avec l’autorisation de la justice et devant des milliers d’yeux, cela le rend timide. D’autant qu’il n’utilisera pas son surin habituel. On lui a refilé une vieille épée d’apparat que personne n’a pensé à affûter. Il dispose également d’une doloire de tonnelier, variété de hache à manche court.

Le cou ne rompt pas

Le comte enlève son pourpoint et baisse la tête pour que le bourreau puisse lui couper les cheveux et sa belle moustache. En voyant celle-ci entre les mains du savetier, il esquisse une moue de regret. C’est qu’il en était fier. Reprenant ses esprits, il tire d’une pochette ses petites heures, son livre de prière, qu’il tend au père des Rosiers. Puis il tombe à genoux devant le billot pour une ultime prière. Le bourreau improvisé lui tend un bandeau dont il se ceint la tête. Il plaque alors celle-ci contre le bois, priant le savetier de l’expédier au plus vite. Au milieu de la foule, un micro à la main, Benoît Duquesne commente en direct l’exécution pour la Fédération française du bâtiment...

Le savetier écarte les jambes, soulève bien haut la lourde épée de Suisse qu’il laisse tomber au jugé. Le cou ne rompt pas, mais le coup fait glisser Chalais à terre. À quatre reprises, l’exécuteur improvisé abat son épée sur le corps recroquevillé sans parvenir à en détacher la tête. Le jury de Top chef fait la moue... Dans un silence de mort, on entend le supplicié gémir : "Jésus Maria." Voyant l’impuissance du bourreau, le père des Rosiers qui sait son patron céleste impatient de recevoir un prochain client lui ordonne : "Mettez-lui la tête sur le billot de bois." L’homme obéit et poursuit sa triste oeuvre en utilisant cette fois la doloire. Il lui faut vingt-neuf coups pour enfin détacher la tête du tronc. L’échafaud est couvert de sang, les spectateurs sont écoeurés. Certains réclament la tête du bourreau. Le corps et la tête sont enfournés dans un carrosse qui attend au pied de l’échafaud. Fouette cocher, le macabre véhicule va livrer les deux parties du comte aux Cordeliers, où elles sont enterrées.

Comment le comte de Calais, ami d’enfance de Louis XIII, a-t-il fait pour se mettre dans un tel pétrin ? Pas compliqué : il s’est laissé entraîner dans un complot visant à assassiner Richelieu et, peut-être même, à asseoir Gaston, frère cadet de Louis XIII, sur le trône de France. Étant le moins illustre des comploteurs, Henri de Talleyrand-Périgord fait office de bouc émissaire. Ce sera le seul à payer de sa vie ce complot.

Assassiner Richelieu

Tout commence avec la volonté du roi de marier son frangin, Gaston de France, 18 ans, à Mademoiselle de Montpensier, une riche héritière. Mais Monsieur - ainsi qu’on appelle Gaston à la cour - ne peut pas piffer la donzelle. Ce libertin bisexuel ne pense qu’à s’amuser. Pas question de se laisser passer la corde au cou. Il est encouragé dans sa révolte par son gouverneur, le maréchal d’Ornano, qui rêve d’un plus grand destin pour son protégé. Autour de Gaston, ses amis font corps pour faire échouer le mariage. Une conspiration se met en place pour éliminer Richelieu qui a suggéré cette union au roi. C’est le parti de "L’aversion au mariage". À vrai dire, le mariage n’est qu’un prétexte à cette mauvaise humeur. Beaucoup de grands seigneurs voient d’un sale oeil la centralisation royale entreprise sous Henri IV et poursuivie par Louis XIII sous la coupe de Richelieu. Certains rêvent de placer Gaston, plus enclin au régime féodal, sur le trône.

L’une des plus ardentes conspiratrices - elle le sera toute sa vie - est Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse. C’est elle qui recrute le comte de Chalais, tout simplement en le séduisant. Il faut dire que le jeune homme porte fièrement la moustache. Mais, surtout, il occupe la charge de maître de la garde-robe du roi, ce qui en fait une excellente recrue. Pour ne rien gâcher, il excelle dans le combat au corps-à-corps. Ne vient-il pas de tuer en duel un certain Pontgibaud ? C’est donc lui qui est chargé d’occire Richelieu lors d’un traquenard. Le plan des conjurés est simple : lors d’une visite de Gaston à Richelieu dans son château de Fleury-en-Bière, près de Fontainebleau, la suite de Monsieur frère du roi se prendra de querelle avec les gentilshommes du cardinal. Au cours de l’échauffourée, le comte de Chalais trucidera Richelieu.

Retournements de veste

Simple et efficace. Sauf que le comte vend lui-même la mèche. Se rendant soudain compte de l’importance de son rôle, il cogite dur. Certes la duchesse de Chevreuse est appétissante, certes il est fier qu’on lui confie une telle tâche, mais c’est tout de même risqué. Le jeune homme est irrésolu. Il décide de se confier à son oncle le commandeur de Valençay. Horrifié, celui-ci lui ordonne de tout avouer au roi et au cardinal. Sans doute n’attendait-il que cet ordre. Une rencontre est organisée. Richelieu demande à Chalais de retourner sa veste et de faire l’espion de la conjuration pour lui. É

Le 11 mai 1526, jour fixé pour l’assassinat, Richelieu quitte sa demeure avant l’arrivée de Gaston. L’attentat ne peut donc pas avoir lieu. Dans les jours qui suivent, les conjurés sont mis sous surveillance par le cardinal, tandis que le roi convoque Monsieur pour lui sonner les cloches et l’obliger à signer un document confortant son alliance avec lui et son épouse Anne d’Autriche. Gaston fait tout ce qu’on lui demande. Tout au long de sa vie, il complotera avant de dénoncer ses complices. Le 6 août, il épouse même Mlle de Montpensier qu’il n’aura pas longtemps sur le dos puisqu’elle meurt en couche l’année suivante, donnant naissance à la Grande Mademoiselle qui, elle-aussi, ne cessera pas de comploter, mais contre Louis XIV.

Pour autant, la conjuration se poursuit dans l’ombre. Il est question d’exfiltrer Gaston de la cour de France et, pourquoi pas, de le mettre à la tête d’une armée venue de l’étranger pour conquérir le trône de France. Les rumeurs les plus folles courent. Retournant une nouvelle fois sa veste, l’irrésolu comte de Chalais se range à nouveau dans le camp des comploteurs, négligeant de faire l’espion pour le Cardinal. Mais heureusement, le tonton veille. Soupçonnant le revirement de son neveu, il en avertit Richelieu. Lequel espionne son espion et apprend ainsi le projet de fuite de Gaston. On se croirait dans un roman de John le Carré...

Contradictions

Le roi, qui participe aux États de la Bretagne à Nantes, convoque son cadet pour le sommer de s’expliquer. Comme à son habitude Monsieur charge tous ses complices, et surtout Chalais. C’est la débandade chez les conspirateurs. La duchesse de Chevreuse s’enfuit en Lorraine. Alexandre de Vendôme est arrêté et mourra en prison avant son procès, son demi-frère César est emprisonné puis exilé. Le maréchal de Bassompierre et la princesse de Conti, vu leur rang, échappent à la sanction. Quant à Gaston, il s’en tire encore, recevant même les duchés d’Orléans et de Chartres en apanage. Quant à ce pauvre Chalais, dindon de la farce, il est arrêté le 8 juillet. On l’interroge. Le 10 juillet, sûr de lui, il clame son innocence devant les juges avec l’aplomb d’un Cahuzac... Il prétend qu’il continuait à faire son boulot d’espion pour le cardinal. Confronté à ce dernier le 14 juillet, il répète avoir empêché la fuite de Gaston tout en donnant l’impression du contraire. Personne n’est dupe. Progressivement sa confiance s’effrite, il se contredit dans sa défense. Sa cause devient désespérée. Devant le scepticisme de Richelieu, il finit par admettre avoir tardé à avertir celui-ci du projet de fuite du frère du roi. Au fil des jours, le comte lâche du terrain. Les journalistes de Mediapart s’acharnent sur lui...

Chalais est cerné. Il devient de plus en plus dépressif, parle de se suicider. Il déclare à son gardien qu’il " se casserait la teste en quatre belles pièces" et qu’il "était propre à faire comme les Romains, et qu"il était tout disposé à s’empoisonner". Il multiplie les confessions incohérentes. Cela ne suffit pourtant pas pour le condamner à la peine capitale. On intercepte ses lettres écrites en basque à la duchesse de Chevreuse, espérant y trouver des éléments accablants. Que nenni, le comte ne fait que répéter son amour à la belle dame. Pourtant, quand Richelieu vient le voir dans sa cellule, il accuse sa maîtresse d’avoir joué un grand rôle dans la manigance pour inciter Monsieur à quitter la cour. Il n’y a pas à dire, le comte donne l’image d’un home fragile psychologiquement, ne cessant de se contredire. Conseillé par maître Vergès, il va même jusqu’à impliquer Anne d’Autriche en insinuant qu’elle aurait été prête à épouser Gaston son beau-frère après la mort du roi. Lors d’un grand interrogatoire officiel le 18 août, le jeune comte reconnaît que le maréchal d’Ornano, membre de la conspiration, aurait noué des liens avec l’étranger pour recevoir une aide armée. Le tribunal est également en possession de témoignages écrits accusant Chablais d’avoir envisagé d’assassiner le roi. Elles sont toutes inspirées par un ancien intime du comte, devenu son meilleur ennemi.

Le 19 août, le tribunal tranche : le comte de Chalais est convaincu de crime de lèse-majesté, le plus grave de tous. L’arrêt de mort le condamne donc à la décapitation suivie de l’écartèlement, l’exposition des pièces de cadavre aux portes de la ville, la déchéance de noblesse pour sa postérité déclarée ignoble et roturière, la confiscation de tous ses biens marqués du sceau de l’infamie, ses bois "abattus à hauteur d’homme". La mère du comte qui se jette aux pieds de Louis XIII obtient une demi-grâce : seule décapitation sera effective, pas le dépeçage. Ainsi périt le comte de Chalais, bouc émissaire d’une conjuration ayant impliqué les plus grands du royaume.


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