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23 août 1799. Bonaparte fuit l’Égypte comme un voleur, abandonnant son armée en piteux état

samedi 22 août 2015

Accompagné par une poignée de fidèles, le chef de l’Armée d’Orient regagne la France pour y chercher la gloire.

Bonaparte déserter ? C’est aussi improbable que Sarkozy ne se présentant pas aux prochaines présidentielles... Et, pourtant, c’est pure vérité : le futur empereur des Français fuit l’Égypte le 23 août 1799, la queue entre les jambes. Il déserte à bord de la frégate La Muiron en compagnie de quelques intimes, abandonnant ses hommes dans le désert égyptien.

Ce qu’il y a de fascinant avec Napoléon Bonaparte, c’est sa capacité à sacrifier des milliers, voire des millions de vies pour accomplir son destin personnel. Ses boucheries sur les champs de bataille européens sont bien connues, mais ses exploits égyptiens ne sont pas moindres. Un seul exemple : entre le 8 et le 10 mars 1799, le chef de l’Armée d’Orient fait massacrer à la baïonnette 3 000 prisonniers à Jaffa pour ne pas avoir à les nourrir ou à les relâcher. La campagne d’Égypte et de Syrie est ainsi marquée par de multiples carnages qui feraient pâlir d’effroi les barbares de Daesh.

Notre homme est parti comme un sous-lieutenant

Bref, après avoir fait le constat que la poursuite des combats sur les bords du Nil ne servait pas sa gloire, Bonaparte décide de se retirer dans la villa de sa compagne au Cap Nègre... Pas un instant, il hésite à abandonner ses hommes qui l’ont suivi aveuglément au bout du monde. L’Armée d’Orient est exsangue, malade de la peste, manquant d’armes et de munitions. Peu importe, Bonaparte décide que sa présence sera plus utile en France pour sauver le Directoire et ... s’emparer du pouvoir.

Sa décision de rallier la France cernée par les armées ennemies, il la prend dès juin 1799, mais il ne se confie qu’à un tout petit cercle d’intimes. Même Kléber, qui lui succèdera à la tête de l’expédition, n’apprendra sa fuite qu’après son départ. Bonaparte n’a pas osé le lui apprendre de vive voix. Pour assurer l’exfiltration, l’amiral Ganteaume sélectionne deux frégates vénitiennes, La Muiron et la Carrère, et deux bâtiments plus petits, La Revanche et la Fortune. Les navires sont ancrés devant Alexandrie. L’embarquement se fait de nuit, car la veille on a vu des voiles anglaises cingler vers l’Est. Avant de prendre la mer, le général en fuite écrit plusieurs lettres. L’une au Diwan du Caire pour justifier son départ avec de beaux mensonges, et l’autre à Kléber. "L’intérêt de la patrie, sa gloire, l’obéissance, les événements extraordinaires qui viennent de s’y passer me décident seuls à passer au milieu des escadres ennemies pour me rendre en Europe." En recevant cette missive, Kléber comprend qu’il a été joué, il pique une rage monstrueuse. "Notre homme est parti comme un sous-lieutenant qui brûle paillasse après avoir rempli du bruit de ses dettes et de ses fredaines les cafés de la garnison."

21 jours de vents contraires

Accompagnent Bonaparte dans sa fuite les généraux Berthier, Duroc, Murat, Marmont et Lanne. Mais également, les savants Monge et Berthollet, ainsi que le peintre Denon. Le petit général donne ordre à Ganteaume de ne pas rallier directement la France, mais de longer la côte africaine jusqu’à la hauteur de la Sardaigne. Si jamais ils devaient être pris en chasse par les Anglais, ils pourraient ainsi débarquer à terre et leur échapper. Le plan paraît bon, mais durant 21 jours les vents sont contraires. Impossible de tailler la route plein ouest. Bonaparte commence à désespérer quand, le 13 septembre, le vent tourne. Enfin, les navires peuvent accumuler les miles sans jamais voir une voile anglaise. Pour occuper ses compagnons de voyage, Bonaparte leur narre des contes de revenants, sa spécialité. On joue aussi aux cartes. Tout le monde laisse tricher ouvertement le chef qui, de toute façon, redistribue ses gains à la fin de la partie. Bonaparte n’a qu’une seule crainte, trouver le Directoire déjà renversé à son arrivée à Paris. En tout cas, aucun navire britannique ne croise leur route.

Le 1er octobre enfin, après 40 jours de navigation, La Muiron jette l’ancre à Ajaccio. Au milieu des acclamations, le petit Corse rejoint sa maison natale pour s’y reposer quelques jours, car les vents sont contraires. Enfin, le 8 octobre, la modeste flottille peut reprendre la mer. C’est à ce moment qu’une douzaine de navires ennemis pointent à l’horizon. Effrayé, l’amiral veut rebrousser chemin. Mais Bonaparte, sachant que son destin ne peut s’arrêter en si bon chemin, l’oblige à hisser toutes les voiles pour foncer vers la côte. La nuit tombe. À bord, chacun est mort de trouille. Le savant Monge reste à côté de la Sainte Barbe (la soute à munitions, NDLR), prêt à faire sauter le navire en cas d’arraisonnement par les Anglais. Il a pris cette initiative à la suite d’une conversation avec Bonaparte qui lui avait dit préférer se faire sauter que de se "résigner à la captivité des pontons". Les pontons étant des navires démâtés utilisés comme prisons.

Une chance de cocu

Stupéfaction, l’aube se lève sur une mer vide, les Anglais ont pris les quatre navires pour un convoi italien. Ah, si les rosbifs s’étaient montrés un peu plus perspicaces, la face du monde en aurait été changée ! Bonaparte a une chance de cocu. Merci à Joséphine qui s’en est donné à coeur joie durant son absence. Du reste, c’est bien la seule à regretter le retour de son époux.

Le 9 octobre, les quatre navires mouillent dans la rade de Fréjus, devant Saint-Raphaël, où ils reçoivent un accueil triomphal. Bonaparte a su transformer sa fuite d’Égypte en retour victorieux. Bientôt, il gagne Paris et un mois plus tard, le glorieux général s’empare du pouvoir par un coup d’État. Pendant ce temps, Kléber fait ce qu’il peut. Après une ultime victoire française à Héliopolis contre 30 000 Turcs, il est assassiné par un fanatique. En septembre 1801, les débris de l’Armée d’Orient sont ramenés en France par les Britanniques. Triste bilan militaire et diplomatique. Une armée de 38 000 hommes s’est volatilisée dans les sables. Les meilleurs officiers ont disparu. L’empire ottoman, traditionnel allié de la France, bascule dans le camp britannique. Il n’y a que les savants pour se réjouir.


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