MosaikHub Magazine

À Cuba, le mirage de la voiture pour tous

mardi 25 août 2015

Après la pénurie, l’île va découvrir le "high cost" sur un marché automobile exsangue, toujours tenu par les autorités révolutionnaires.
par Jacques Chevalier

Ce n’est pas parce que le drapeau américain flotte à nouveau dans le ciel de La Havane que tout va s’arranger du jour au lendemain. Les pachydermes hérités de l’époque Batista avant la révolution des Barbudos ont encore de beaux jours devant eux. Ce sont en effet les seuls modèles à pouvoir être légalement échangés entre Cubains, les autres hérités depuis les années 60 étant diffusés par l’appareil de l’État qui contrôle tout. Et la libéralisation du marché cubain entamée le 3 janvier 2014 par Raúl Castro n’a pas fondamentalement changé la physionomie des rues cubaines, où les nouveaux modèles se font très rares.

À cela une bonne raison, c’est le conglomérat d’État Cimex qui fixe les prix et distribue exclusivement les voitures importées. Bilan, en 2014, seulement 188 voitures étrangères ont été introduites à prix d’or sur l’île. En 2013, une berline Peugeot 508 a été évaluée à plus de 250 000 dollars ou 262 000 pesos convertibles (CUC), soit plus de 236 000 euros, et une Volkswagen Passat 2010 était affichée à 70 000 dollars (62 000 euros) en occasion, selon la Radio Nationale. À ce tarif, la diffusion large des belles allemandes, américaines ou japonaises de dernière génération n’est pas encore acquise.

Tant mieux pour la carte postale, car toute ouverture du marché ne fera qu’instiller au compte-gouttes des voitures modernes dont le déferlement n’est en effet pas pour demain. Cimex estime en effet que 85 % des revenus tirés de ces ventes de voitures importées sont réinvestis dans les transports publics. Vu l’état de déliquescence de ceux-ci, et notamment des fameux chameaux ou dromadaires – remorques façon autobus tirées par des tracteurs –, les Cubains n’ont pas encore compris l’économie de marché. Il leur suffirait de baisser le prix des taxes pour augmenter les ventes et ainsi dégager au moins autant sinon plus de bénéfices.

1 041 ans pour acheter une 508

Mais le réalisme révolutionnaire ne méconnaît pas un chiffre cardinal, celui du revenu moyen cubain égal à 20 dollars par mois. À ce tarif, il faudrait à un Cubain moyen épargner la totalité de ses revenus durant 1 041 années pour pouvoir acheter cette Peugeot 508. Dès lors, on comprend que les belles américaines antérieures à l’embargo de 1960 soient cajolées comme des œuvres d’art. Mais faute de pièces, elles n’ont plus beaucoup de valeur autre que sentimentale, car réparées de bric et de broc et le plus souvent remotorisées avec des mécaniques d’origine russe ou chinoise. La révolution a, hélas, choisi son camp.

Si le fond n’y est plus, la forme demeure tant bien que mal et maintient un parc de voitures vintage à bout de souffle. Il y a tout de même ceux qui espèrent, comme Roger Falcione, PDG de ClassicCars.com, un site de commerce pour les voitures de collection. Il s’accroche à l’idée romantique de « la voiture découverte par miracle au fond d’une grange », une voiture rare ajoutant encore à l’extraordinaire d’une découverte. « Avec jusqu’à 60 000 voitures antérieures à 1960, Cuba a la capacité de devenir la plus grande grange à trouvailles de tous les temps. »

Des poules dans l’Hispano

L’auteur de ces lignes en doute fortement pour avoir, en 1990, réalisé un reportage sur ces voitures déjà adulées à l’époque. Après avoir retrouvé la trace des collections oubliées du Centre national d’art cinématographique cubain, repliées dans un camp militaire, la déception a été énorme. Non sans avoir obtenu les autorisations nécessaires, il a fallu tout d’abord identifier les hangars concernés, puis, parmi des centaines de clés accrochées à un grand anneau, trouver celle qui actionnait le cadenas de la porte visiblement rouillée depuis longtemps.

Celle-ci à peine entr’ouverte laissa s’échapper quelques poules caquetantes qui avaient fait d’une Hispano Suiza et d’une Stutbaker apparues dans le rai de lumière un confortable refuge. Éberlués, nous scrutions avec mon photographe la pénombre afin de trouver une rescapée, hélas sans succès. Oubliées là par dizaines depuis 30 ans, les voitures dignes d’une collection étaient ruinées. Mais comme tout se vend aux enchères aujourd’hui, y compris les épaves – à l’exemple récent de la collection Baillon dispersée à Retromobile 2015 (lire notre article) –, il y a peut-être un débouché pour les Cubains avec leurs voitures hors d’usage.

50 % des voitures à l’État


Aux côtés de celles-ci, le régime communiste a aussi diffusé par nécessité de nombreuses voitures venues de l’ex-URSS, des Lada, Volga et autres Moskvitch qui ne sont pas de rêve. En réalité, la relance du marché viendra, comme cela s’est passé lors de la chute du mur de Berlin, par l’occasion. Située à 90 miles des côtes de Floride, Cuba pourrait fort bien recevoir un jour des bateaux entiers de voitures d’occasion et, pourquoi pas, de vintages années 50 en parfait état qui entretiendraient la carte postale.

Pourtant, même si le gouvernement américain a autorisé la relance de ses ventes et des exportations vers Cuba, la liste des activités admises reste limitée à certains biens et services. En revanche, pour les voitures et camions, la situation n’est pas encore éclaircie. Avec 11 millions d’habitants, Cuba constitue un réservoir de clientèle considérable. Il y a 650 000 voitures sur l’île, dont la moitié détenue par le gouvernement, selon Reuters. Encore faudra-t-il, pour que la situation change, que la révolution desserre les cordons de la bourse et consente à injecter de l’argent dans l’économie réelle.


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