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30 août 1918. La militante russe Fanny Kaplan rate sa tentative d’assassinat sur Lénine.

samedi 29 août 2015

La maladroite militante du Parti socialiste révolutionnaire russe sera exécutée d’une balle dans la tête quatre jours plus tard.
Par Frédéric Lewino et Gwendoline Dos Santos

"Je m’appelle Fanny Kaplan. J’ai tiré sur Lénine aujourd’hui. Je l’ai fait volontairement. Je ne dirai pas d’où provient le revolver. J’étais résolue à tuer Lénine depuis longtemps. Je le considère comme un traître à la révolution." Elle a du cran, cette nana. Pas du genre à se contenter de donner une interview au Monde pour étaler ses états d’âmes... Elle est de la trempe des Charlotte Corday, de celles qui sont capables d’abattre froidement un type qu’elles jugent dangereux pour le reste de l’humanité. Sauf que le 30 août 1918, la Fanny rate Lénine, et que les agents de la Tcheka qui l’immobilisent aussitôt après sa tentative de meurtre n’ont rien à foutre de son petit discours.

Ce jour-là, Lénine visite l’usine Michelson de Moscou, seul, sans garde du corps. Le maître du Kremlin prononce un discours, puis ressort vers 22 heures et s’apprête à monter dans sa voiture. Des ouvriers l’entourent pour lui parler. Parmi la foule, Kaplan l’interpelle sur sa façon de diriger le pays. Il se retourne. C’est à ce moment-là que la jeune femme tire à trois reprises sur lui. Une balle traverse son manteau pour se ficher dans un poumon. Les deux autres frappent l’épaule gauche et la mâchoire. C’est à ce moment qu’elle regrette d’avoir refuser de faire un stage parmi les trafiquants de Marseille...

Déportée en Sibérie

Aussitôt, Fanny est maîtrisée par des ouvriers de l’usine, tandis que Lénine parvient, malgré ses blessures, à s’asseoir dans sa voiture. Il demande au chauffeur de le conduire immédiatement au Kremlin, craignant d’autres assassins sur le chemin de l’hôpital. Il monte péniblement jusqu’à son appartement où il s’écroule. La douleur au cou est si intense qu’il se voit déjà mourir. À 48 ans, ce n’est pas le premier attentat duquel il réchappe. Les médecins appelés à son chevet préfèrent ne pas retirer les deux balles. Le Dr House peste comme un beau diable contre ces deux incapables... Les deux projectiles resteront au chaud dans les chairs de Lénine jusqu’à sa mort, la hâtant même probablement.

Pendant ce temps, Fanny Kaplan, de son vrai nom Feiga Chaimovna Roytblat, est interrogée par la Tcheka. C’est une militante juive de 28 ans (ou 38, selon les sources) du Parti socialiste révolutionnaire russe (SR), considéré par les bolcheviks de l’époque comme une organisation contre-révolutionnaire. C’est une dure. À 16 ans, en 1906, elle a déjà été arrêtée pour son implication dans un attentat terroriste contre un fonctionnaire du tsar et condamnée au travail forcé à vie en Sibérie.

En prison, elle perd provisoirement la vue. Chaque jour, elle est battue avec des branches de bouleau. Finalement, elle est libérée lors de la révolution de Février en 1917. Mais dans quel état ! Elle souffre fréquemment de terribles maux de tête durant lesquels elle devient quasiment aveugle. Néanmoins, elle continue à militer au sein du SR, qui s’oppose de plus en plus à la politique menée par les bolcheviks dirigés par Lénine. Quand, le 3 mars 1918, la Russie signe l’humiliant traité de paix de Brest-Litovsk avec les Allemands, c’est la colère chez les militants SR ! Voilà maintenant que l’Assemblée constituante est renvoyée par les bolcheviks, cette fois, la coupe est pleine.

Une balle dans la nuque

Certains militants décident donc d’éliminer Lénine. Un complot prend forme. Est-ce bien Kaplan dont la vue est basse qui tient le revolver ? Aujourd’hui, certains historiens en doutent fortement et citent d’autres noms. Ils expliquent qu’à la suite de son arrestation elle aurait choisi d’endosser le crime pour protéger ses comparses. Quoi qu’il en soit, interrogée avec la douceur proverbiale des agents de la Tcheka, elle refuse de donner le nom du moindre complice. Elle est exécutée quatre jours plus tard, le 3 septembre 1918, sans procès ni jugement. Un marin de la Baltique, Pavel Malkov, lui tire une balle dans la nuque. Son corps est ensuite démembré pour qu’il n’en reste plus aucune trace.

L’exécution de Kaplan est le point de départ de la terreur rouge. "Il est grand temps de mettre fin à toute cette mollesse et à cette sentimentalité !" s’exclame Grigori Petrovski, le commissaire du peuple à l’Intérieur. Joseph Staline, qui n’est pas à Moscou, envoie un télégramme qui plaide en faveur de l’instauration d’une terreur de masse. Dans les mois qui suivent, huit cents militants du parti de Kaplan sont passés par les armes sans procès.


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