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Elliott, le fonds vautour qui fait trembler les Etats ’’’

mercredi 30 juillet 2014

Le cauchemar de Cristina Kirchner, la présidente argentine, a un nom : Elliott Management. Fonds vautour pour les uns, activiste pour les autres, il fait partie, avec un autre américain, Aurelius, des irréductibles qui, depuis près de dix ans, refusent obstinément un allégement des sommes que leur doit Buenos Aires (1,3 milliard de dollars– 960 millions d’euros).

Un bras de fer emblématique des méthodes d’Elliott, l’un de ces francs-tireurs de la planète finance, capable de faire trembler les multinationales comme les Etats.

Sa spécialité : l’achat de dette « décotée ». Il acquiert pour une bouchée de pain les créances d’Etats en difficulté, dont les propriétaires sont lassés d’attendre un hypothétique remboursement. Entre ensuite en scène une armada de juristes, banquiers et consultants pour contraindre le pays récalcitrant à honorer ses échéances. Par la négociation, mais surtout devant les tribunaux.

LA JUSTICE COMME ARME ULTIME

« Contrairement à ce que l’on entend souvent, ce ne sont ni des amateurs ni des voyous ! Le vrai problème avec Elliott, c’est qu’ils sont incontrôlables », assène un bon connaisseur du secteur. Et d’expliquer : « Pour des raisons commerciales, relationnelles, les banques et autres créanciers “classiques” ne peuvent se permettre de se fâcher avec un pays. Elliot, lui, est un “free rider” : il ne doit rien à personne. »

Derrière ce trublion des marchés se cache Paul Singer, un fils de pharmacien né dans le New Jersey. Après des études de psychologie, le jeune homme fait son droit à Harvard puis commence sa carrière à Wall Street, comme avocat, puis banquier d’affaires.

En 1977, il monte Elliott – baptisé ainsi d’après son deuxième prénom – avec 1 million de dollars prêtés par ses proches. Ce n’est qu’après le krach boursier de 1987 que le fonds se tourne vers la dette décotée. « Paul a voulu diminuer son exposition aux marchés et disposer d’une activité qu’il pouvait contrôler », explique un proche.

Avec sa fine barbe blanche et ses lunettes rondes, l’homme de 70 ans ressemble davantage à un professeur d’université qu’à un as des marchés. Et pourtant. Il a bâti sa fortune – le fonds gère aujourd’hui 24 milliards de dollars – avec une arme ultime : la justice. « Paul a la conviction d’être dans son bon droit. Quand il a une opinion, il n’en démord pas », note ce proche du fondateur.

INTRANSIGEANCE

Parmi ses faits d’armes, M. Singer a été l’un des rares à se méfier, dès 2006, des subprimes, ces crédits américains à risques, à l’origine de la crise financière.

Et ça marche. Elliott, qui n’a perdu de l’argent que deux fois en trente-sept ans, peut s’enorgueillir d’avoir fait plier les gouvernements du Pérou, de Zambie ou encore de la République démocratique du Congo. Il fait ses armes en achetant à prix cassé des emprunts péruviens, en 1996. Puis refuse la restructuration de dette proposée par le pays. Après quatre années de bataille judiciaire, il obtient gain de cause, quintuplant sa mise !

Au demeurant, l’intransigeance de M. Singer s’accompagne d’une conviction : si les pays ciblés ne peuvent honorer leurs dettes, c’est parce que leurs gouvernements, le plus souvent corrompus, préfèrent faire disparaître les sommes dues. « Il y a chez Elliott l’idée qu’une pression externe peut aussi conduire à une meilleure gestion des pays », plaide ce proche.

En 2006, dans ses efforts pour récupérer des créances du Congo-Brazzaville, Elliott accumule les preuves du train de vie luxueux du président Denis Sassou-Nguesso, avant de les faire fuiter auprès d’une ONG. Achetés moins de 20 millions de dollars, ses emprunts lui rapporteront 90 millions…

VÉRITABLE PACTOLE

Cette fois, dans l’affaire argentine, les émissaires d’Elliott ont beau jeu de fustiger la légèreté des autorités. Entre 2005 et 2010, le gouvernement argentin a obtenu un effacement des deux tiers de la valeur des emprunts d’Etat, alors même que le pays traversait une décennie de croissance exponentielle. Elliott et ses conseils dénoncent aussi les conditions floues de l’échange de dette de 2010, qui aurait permis à plusieurs officiels de récupérer d’importantes sommes d’argent.

C’est qu’Elliott est un investisseur patient, très patient. N’a-t-il pas commencé à acheter de la dette argentine avant la faillite du pays, en 2001 ? Du coup, pour rentrer dans ses frais, tous les coups juridiques sont permis, même les plus spectaculaires : en 2012, le fonds s’empare temporairement d’un trois-mâts argentin au Ghana. En France, la Cour de cassation a empêché in extremis, en mars 2013, la saisie de sommes dues à Buenos Aires par Total, BNP Paribas et Air France. Quant à la présidente Kirchner, elle évite désormais soigneusement de se déplacer avec son propre avion afin de ne pas risquer une confiscation dans un aéroport étranger…

C’est que l’affaire argentine représenterait un véritable pactole pour Elliott. L’opération afficherait un rendement de 1 600 %, selon les calculs du camp d’en face – les créanciers qui ont accepté la restructuration de leur dette.

UNE CONCEPTION ÉGALITARISTE ET LIBÉRALE

« La dette décotée représente moins d’un tiers de nos actifs sous gestion », s’efforce de minimiser l’entourage d’Elliott, aujourd’hui beaucoup plus prolixe que par le passé. Et de rappeler que le fonds est aussi présent dans l’immobilier et les entreprises.

Là aussi, il se lance dans d’épiques bras de fer pour influencer les stratégies des groupes au capital desquels il s’est invité. A son tableau de chasse, l’OPA améliorée du chimiste américain DuPont sur le danois Danisco, dont il avait pris plus de 10 % en 2011, ou encore l’équipementier télécoms Juniper, qu’il a forcé à rendre 3 milliards de dollars à ses actionnaires, en février.

En mai, à Paris, l’Autorité des marchés financiers a condamné le fonds Elliott à une amende record de 16 millions d’euros pour un délit d’initié sur les titres de la société Autoroutes Paris-Rhin-Rhône, en 2010. Une première pour le fonds de Paul Singer, plus habitué à être parmi les plaignants que sur le banc des accusés. Elliott a fait appel.

Il vient encore de prendre une participation de 1 milliard de dollars dans EMC, un spécialiste des équipements de stockage de données pour qu’il scinde sa filiale VMware, a rapporté le Wall Street Journal, lundi 21 juillet. « Nous essayons, par le dialogue, de maximiser la valeur des sociétés pour tous les actionnaires », décrypte son entourage.

Une conception de la finance aussi égalitariste que libérale qui semble évidente à Paul Singer, soutien indéfectible du parti républicain. L’homme a notamment contribué à l’élection de Rudolph Giuliani à la mairie de New York, et compte parmi ses investisseurs Mitt Romney. Mais il a aussi consacré plus de 425 000 dollars au soutien du mariage gay, après le coming out de l’un de ses fils.

Audrey Tonnelier
Journaliste au Monde


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