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Compte à rebours avant la faillite de l’Argentine

vendredi 1er août 2014

Le compte à rebours est terrible. Au moment où nous écrivons ces lignes, il ne reste que quelques heures au gouvernement de Cristina Kirchner pour négocier un accord avec NML (filiale du fonds Elliott) et Aurelius, les deux fonds vautours qui réclament le remboursement des 1,33 milliard de dollars que leur doit le pays. Sans cela, l’Argentine sera en défaut de paiement technique passé le 30 juillet. « Tout le monde y perdrait, mais les deux parties s’enferment dans des comportements jusqu’au-boutistes », résume Juan Carlos Rodado, économiste chez Natixis. Un tragique dilemme du prisonnier, où chacun tente de faire plier l’autre en espérant qu’il craque en premier.
◾Comment Buenos Aires en est arrivé là ?

En 2001, après des années de crise, l’Argentine a fait défaut sur sa dette, alors d’une centaine de milliards de dollars. En 2005 et 2010, le gouvernement est parvenu à restructurer une partie de celle-ci : 93 % des créanciers ont accepté une décote de 65 % en moyenne sur leurs titres. Parmi les 7 % d’irréductibles, les hedge funds Aurelius et surtout NML ont alors entamé une incroyable guérilla juridique, afin d’obtenir le remboursement total de leurs titres, soit 1,33 milliard de dollars (769 millions d’euros).

La spécialité des fonds vautours est justement d’acheter des créances à des débiteurs proches du défaut de paiement pour une bouchée de pain et faire des profits en obligeant, par la voie juridique ou bien par des négociations, ces Etats de rembourser la dette à sa valeur nominale.
Le 23 juillet 2012, les hedge funds en question ont obtenu une première victoire devant le juge new-yorkais Thomas Griesa, qui a interdit à l’Argentine d’honorer les échéances de sa nouvelle dette (celle restructurée en 2005 et 2010) tant qu’elle ne rembourserait pas aussi les hedge funds.
Comme, le 16 juin, la Cour suprême américaine a refusé de se pencher sur l’affaire, l’ordonnance du juge Griesa est entrée en application. Et Buenos Aires n’a pas pu rembourser ses créanciers restructurés le 30 juin, comme prévu. Si le 30 juillet, les sommes ne sont toujours pas versées, le pays sera effectivement en défaut. « En rejetant le dossier, la Cour suprême a ouvert une boîte de pandore », résume Pierre Salama, spécialiste de l’Amérique latine au CNRS.
◾Pourquoi est-il si difficile de négocier une solution ?

En théorie, l’Argentine a les moyens de rembourser les 1,33 milliard de dollars. Mais si elle le faisait, le reste des « hold out », ces 7 % de créanciers ayant refusé les accords de 2005 et 2010, pourraient réclamer d’être eux aussi remboursés à 100 % : le pays devait alors débourser 15 milliards de dollars. Et si les détenteurs d’obligations restructurées leur emboîtaient le pas, la note grimperait à 120 milliards. Or, les réserves de changes du pays, qui ont fondu ces derniers mois, ne sont que de 28 milliards de dollars…

L’Argentine redoute ce scénario noir à cause de la clause « Rufo » (« Rights upon offers »). Afin de rassurer les détenteurs ayant accepté l’accord de 2005 et 2010, Buenos Aires a ajouté cette clause, expirant en décembre, aux nouvelles obligations. Elle précise que le gouvernement ne peut en aucun cas offrir de meilleures conditions financières aux hold out. Voilà pourquoi l’Argentine est si réticente à payer les fonds vautours à 100 %…
L’espoir qu’un accord soit trouvé avant le 30 juillet est donc faible. Mais pas nul. Le gouvernement Kirchner peut encore convaincre les détenteurs d’obligations restructurées de renoncer à faire jouer la clause Rufo. Ou contourner le problème en proposant un deal aux fonds vautours : les rembourser… mais dès janvier 2015, après expiration de la clause Rufo. « La fenêtre de tir est serrée », s’inquiète M. Rodado.
◾Quelles seraient les conséquences d’une nouvelle faillite ?

« Le coût d’un défaut serait considérable », a prévenu Olivier Blanchard, chef économiste du FMI, le 24 juillet. Certes, il serait moins dramatique que celui de 2001. Mais l’économie argentine va mal : cette année, elle devrait enregistrer une récession de 2,5 %. L’inflation est galopante (30 % par an), tandis que le peso a perdu 20 % de sa valeur en douze mois.

Ces dix dernières années, le pays a pourtant enregistré une forte croissance, portée par les exportations de matières premières. Mais les gouvernements successifs, dont celui de la présidente Kirchner, n’en ont pas profité pour diversifier et renforcer l’économie du pays. « Un nouveau défaut aggraverait la récession et les sorties de capitaux, tandis que les coûts d’emprunt pour les entreprises s’envoleraient », résume Christine Rifflart, à l’OFCE. Le Brésil, dont 8 % des exportations sont à destination de l’Argentine, notamment celles de la filière automobile, serait le principal pays partenaire affecté.

Mais surtout, un défaut retarderait encore le retour de Buenos Aires sur les marchés financiers, dont il est exclu depuis quatorze ans. « Le risque de contagion financière serait néanmoins faible, car peu de portefeuilles sont exposés au pays », analyse Christian Parisot, chez Aurel BGC.
◾D’autres pays pourraient-ils subir le même sort ?

« A l’avenir, les Etats en difficulté pourraient avoir plus mal à restructurer leur dette », prévient Eric Dor, spécialiste du sujet à l’Iéseg. Les obligations souveraines sont en effet souvent émises en droit étranger, notamment anglais ou américain, pour rassurer les investisseurs. « Même si les obligations plus récentes sont protégées par des clauses plus solides, d’autres tribunaux pourraient s’inspirer de la jurisprudence argentine », ajoute M. Dor. Inquiet, le FMI a appelé, le 24 juillet, à une réflexion sur un mécanisme international de restructuration des dettes plus protecteur


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