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Joe Trouillot est mort

samedi 31 octobre 2015

Le monde musical haïtien continue à perdre de grands mentors. Le jeudi 29 octobre, l’auteur, compositeur et interprète Joe Trouillot est parti pour l’au-delà après avoir combattu pendant deux longues années infections et autres complications résultant de son quatorzième AVC. La dernière fois qu’on a vu l’artiste alerte et débordant d’énergie, c’était au micro de Natacha Clerger, au Canada, au début de l’année 2012. Ce sera l’une de ses dernières grandes entrevues. L’homme, alors âgé de 90 années, était très actif. Il conduisait lui-même sa voiture, chantait, dansait, composait encore et prenait plaisir à le dire.

« Mon père a vécu une très belle vie ! » C’est ainsi que Frantz André, fils cadet de Joseph André connu sous le nom de Joe Trouillot, résume la vie du défunt. Tout au long de sa carrière, l’artiste s’est fait remarquer tant par ses superbes compositions que par son incontestable vigueur. À travers plusieurs publications sur Twitter, Frantz Duval, rédacteur en chef du Nouvelliste, a tenté d’immortaliser la légende qu’est Joe Trouillot. « Chanteur depuis l’âge de 14 ans après des cours de chant, il a fait les plus belles scènes du monde, Haïti aux lèvres. Avec Issa El Saieh, Raoul Guillaume, Wébert Sicot et d’autres chefs d’orchestre, Joseph André, alias Joe Trouillot, a chanté en cinq langues », raconte-t-il. « Dans le cadre de la Semaine de la diaspora organisée par le ministère des Haïtiens vivant à l’Étranger sous Jean V. Généus, Joe revint avec succès en Haïti en 1998 », continue le directeur de publication de Ticket. Le chanteur avait émigré au Canada en février 1961. Son fils se rappelle aussi de cette période où pendant quatre ans, il ne pouvait voir son père qu’à la télé. Resté en Haïti avant que la famille au complet ne s’installe au Canada, la communication avec celui qu’il appelle son idole est difficile à l’époque. Mais le succès de Joe Trouillot rejaillit sur lui. Le respect avec lequel ce grand de la musique haïtienne est accueilli à l’étranger fait sa fierté. Le chanteur, quant à lui, n’en reste pas moins modeste. « Ils ont fait de moi ce que je suis », disait humblement Joe Trouillot en parlant de Raoul Guillaume et de Herby Widmaier, deux grands musiciens de sa génération qui ont joué avec lui. Rude travailleur, il répétait que la musique n’est pas un hobby. Il ne sortait pas jouer, mais allait travailler. Ceci ne l’empêchait pas néanmoins d’être un bon père pour ses quatre enfants. « Personne n’est parfait et mon père ne fait pas exception à la règle. Mais il a été un excellent papa. Il a toujours fait ses devoirs, veillant à protéger et respecter sa famille », confie l’unique fils de celui que le grand public connaissait sous le nom de Joe Trouillot. Ingénieur de profession, Joseph André n’a jamais pratiqué, pourtant il a toujours su prendre soin de sa famille, avec sa voix. Installé à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal depuis mars 2014, suite à son quatorzième AVC, l’artiste a lentement dépéri, selon son fils. Il a été transporté en urgence à l’hôpital vendredi dernier à cause d’une infection. « Samedi soir, les médecins nous ont dit qu’il ne lui restait que quelques heures. Mais il avait un cœur fort qui a tenu jusqu’à jeudi en dépit du fait que ses signes vitaux diminuaient », raconte Frantz André d’une voix sereine. Ces quelques jours ont permis à la famille de se réunir au chevet du malade et de lui faire des adieux. Quatre enfants, neuf petits-enfants, une arrière-petite-fille, des fans nostalgiques et une riche discographie. Tel est l’héritage de Joseph André alias Joe Trouillot. Il laisse aussi derrière lui une femme éplorée qui au long de ses soixante-deux ans de mariage est toujours restée à ses côtés. « N’étaient les efforts de ma mère, il serait parti depuis bien longtemps. Pendant sa maladie, elle était à son chevet nuit et jour, s’assurant qu’il reçoive un minimum de soin. Elle a été un véritable ange gardien pour lui pendant leur soixante-cinq années de vie commune, mais surtout au cours des deux dernières qui ont été particulièrement difficiles », dit Frantz avec un brin d’émotion dans la voix. Celui qu’on surnommait le « patriarche de la chanson haïtienne » a fait partie des meilleurs ensembles musicaux de son époque parmi lesquels l’orchestre d’Issa El Saieh, celui de Nono Lamy, le groupe de Raoul Guillaume et l’Orchestre du Casino International. Son classique absolu, Oro basso, date de 1957. Mais l’intégralité de son œuvre a servi à assoir sa popularité. Joe Trouillot, ce passionné de la musique, s’est éteint à 93 ans avec une carrière s’étendant sur plusieurs décennies. Toutefois, l’homme qui chantait si bien « Ayiti, se nan bra w pou m mouri » n’a pas réalisé un de ses plus grands rêves. Décédé à l’extérieur du pays, sa dépouille sera aussi enterrée à l’étranger ! Les funérailles de l’artiste seront chantées le 7 novembre prochain à Saint-Joseph, sur la rue Laird, à Ville Mont-Royal, après une exposition le 6 novembre au salon funéraire Aeterna, toujours à Mont-Royal.
Daphney Valsaint Malandre daphneyvalsaint@ticketmag.com


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