MosaikHub Magazine

Une anthologie de la poésie créole et un nouveau roman pour Lyonel Trouillot

lundi 21 décembre 2015

Le samedi 19 décembre, l’Atelier Jeudi Soir et Lyonel Trouillot présentent deux ouvrages à la librairie La Pléiade : Anthologie bilingue de la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours (Actes Sud/Atelier Jeudi Soir) et le nouveau roman de Lyonel Trouillot, Kannjawou. Nous avons rencontré le romancier et directeur littéraire de l’association Atelier Jeudi Soir

Le Nouvelliste : Parlons d’abord de l’anthologie. Lyonel Trouillot : C’est un travail qui a été fait dans des conditions difficiles, sur une base de bénévolat par les membres de l’Atelier Jeudi Soir. Recueillir les textes, faire des choix, traduire. Dans l’idée de faire connaître hors d’Haïti cette immense zone de vitalité qu’est notre poésie d’expression créole. Il y a quelques erreurs. Lors de la dernière manipulation du fichier, deux poèmes se sont trouvés mal placés. Il y a aussi quelques coquilles, toutes choses pour lesquelles nous présentons nos excuses à qui de droit, et qui seront corrigées au moment de la réédition. Cela dit, l’impact est énorme. J’ai pu constater l’étonnement puis le bonheur de lecteurs étrangers à la découverte de ces poèmes. Je voudrais saluer le travail accompli par les membres de l’Atelier qui s’y sont mis avec passion. Maintenant, c’est sûr qu’il en viendra d’autres. Plus riches. Réalisées dans de meilleures conditions. Nous avons fait là un premier pas, posé une pierre. L.N : Comment vous avez procédé pour établir le corpus ? L.T : Il y a toujours une part d’arbitraire. Mais nous avons été protégés de nous-mêmes en étant plusieurs à choisir. Nous avons lu un maximum de recueils et avec bienveillance. Il y a quand même quarante poètes dans l’anthologie. Quarante sur moins de trente ans, dans quel que soit le pays, c’est beaucoup. Nous avons essayé de faire des choix qui illustrent la variété aussi bien des univers thématiques que des préoccupations esthétiques. L.N : Et les traductions ? L.T : Certains poèmes ont été traduits par leurs auteurs. Pour le reste, cela a été un travail collectif. Avec la conscience que la traduction implique forcément une perte. Mais aujourd’hui, dans les pays et communautés de langue française, il existe cette anthologie qui ne prétend qu’à attirer l’attention des lecteurs francophones du monde sur la poésie créole haïtienne de 1986 à nos jours. L.N : Votre nouveau roman, Kannjawou, aux éditions Atelier Jeudi Soir ? L.T : Comme je le fais depuis quelque temps, avec l’accord d’Actes Sud, je publie une édition haïtienne aux éditions Atelier Jeudi Soir sur laquelle ni Actes Sud ni moi ne percevons aucun droit. C’est avec cela que nous faisons vivre l’association et publions de nouveaux auteurs. Sur certains de leurs ouvrages, Georges Castera et Evelyne Trouillot ont consenti la même démarche. Solidarité avec les nouveaux auteurs, solidarité aussi avec le public, car la version haïtienne coûte deux fois moins cher que la version Actes Sud. « Epi ou pa oblije fè kòb nan tout sa w ap fè. » Le roman sort en France en janvier 2016 mais j’ai voulu qu’il soit disponible en Haïti en cette année du centenaire du début de l’Occupation américaine. L.N : Le livre ? L.T : Je n’aime pas parler de mes livres. Publiés, ils appartiennent au lecteur. J’ai toutefois pour celui-là une affection particulière. J’ai essayé d’aller plus loin dans la composition des personnages et d’interpeller de manière frontale, et non sur le mode de la parabole ou de la fable, quelques-unes de nos tristes actualités : l’occupation molle et ses avatars ; la violence du ressentiment dans certains milieux sociaux qui est telle que l’on ne peut plus y croire à la bonté ; la violence symbolique (et parfois la violence tout court) exercée contre les jeunes femmes dans les milieux artistes et universitaires ; la solitude de la vieillesse qui parfois n’a plus d’interlocuteur… L.N : Dur ? Désespéré ? L.T : Le titre renvoie à l’idée d’une grande fête, babako ou koudyay… Entre le rêve de la fête et sa réalisation, il y a le réel et les pièges qu’il nous tend. Faut-il pour autant abandonner l’idée d’un grand bonheur collectif ? Le narrateur se pose ces questions. L.N : Kannjawou, dans votre roman, c’est aussi un restaurant-bar. L.T : Oui. Un bar de riches et de prédateurs étrangers. Nous sommes soumis à des lois de clan. Les gens ont des comportements surdéterminés. J’ai voulu, tout en faisant ressortir le contraste entre les conditions d’existence de divers groupes sociaux, regarder le phénomène de domination du clan sur l’individu. Dans un bar de riches comme dans un quartier pauvre, le clan, le groupe décide pour l’individu qui commet l’erreur d’obéir à la dictée ou à la pression. L.N : D’aucuns disent déjà que c’est l’un de vos meilleurs romans, sinon le meilleur. L.T : Bah. Qu’est-ce que j’en sais ? Encore une fois, les livres appartiennent aux lecteurs. J’essaye d’être honnête avec eux et avec moi-même. Je voulais aborder cette question de l’occupation que nous vivons, que, hélas, on banalise comme un fait normal dans notre existence de peuple. Et revenir à la condition féminine dans des milieux difficiles. Et dire « je t’aime ». J’aime bien que les livres abritent des « je t’aime ». Propos recueillis par Emmelie Prophète -


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