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Mal intégrés, les immigrés se sentent massivement français

samedi 9 janvier 2016

Dévoilée vendredi, une étude menée par l’Insee et l’Ined pointe du doigt l’"intégration à sens unique" et les multiples discriminations envers les immigrés

L’étude Trajectoires et Origines (TeO), menée par l’Insee et l’Institut national d’études démographiques (Ined), est enfin dévoilée. Selon l’enquête, menée auprès de 22 000 personnes, si les immigrés adhèrent « massivement » à leur nouveau pays, la France a du mal à les intégrer. Le chercheur à l’Ined et coauteur de l’étude Cris Beauchemin précise qu’« il y a une intégration à sens unique », avec la persistance de discriminations multiples.

D’un côté, une immense majorité des immigrés ou de leurs descendants se disent « d’accord » avec la phrase « je me sens français » ou « je me sens chez moi en France » (93 % pour la deuxième génération), souligne cette étude au spectre très large (emploi, religion, famille, éducation...). Mais ils se heurtent régulièrement à ce que les auteurs appellent un « déni de francité », qui les renvoie à leurs origines.

Des situations de « dissonance » identitaire

En effet, « la francité n’est pas attribuée sur la base de la nationalité ou de codes culturels » comme la langue, mais sur la vision de ceux « qui ressemblent à des Français » ou non. Les premiers à en souffrir sont les Africains, les Maghrébins et les Asiatiques, soit les « minorités visibles ». Ainsi, plus de 50 % des immigrés originaires d’Afrique, même naturalisés, « pensent qu’on ne les perçoit pas comme Français ». Il en résulte des situations de « dissonance » identitaire qui « se maintiennent, voire progressent, au fil des générations ».

En conséquence, les immigrés de la deuxième génération réussissent moins bien que leurs parents. « Pour tout ce qui est socioculturel (famille, langue...), on assiste plutôt à un progrès d’une génération sur l’autre, mais sur les aspects socioéconomiques où il y a des barrières, comme l’école ou l’emploi, on est plutôt dans le sens d’une dégradation », note le chercheur. Un descendant de parents nés en Turquie aura ainsi 27 % de risques d’être au chômage, contre 8 % pour la population majoritaire.

« Il existe des mobilités, mais la société française n’est pas au diapason de sa diversité », note Patrick Simon, directeur de recherche à l’Ined, lors d’une conférence de presse.

« Le rôle pivot de l’école »

Le phénomène touche surtout les garçons : « Plusieurs indicateurs montrent que les fils de migrants occupent des situations inférieures à celles des migrants eux-mêmes », alors que, pour les filles, c’est l’inverse, note l’étude, qui pointe le rôle pivot de l’école. Dans les « minorités visibles », un tiers des garçons sortent sans diplôme du secondaire. Ils se retrouvent alors « en situation très désavantagée sur le marché du travail », souligne Cris Beauchemin.

Sans avancer d’explication, les chercheurs s’interrogent sur un « fonctionnement discriminatoire de l’institution scolaire à l’encontre des garçons sur le fondement de leur origine ». Même si, dans la vie active, les conclusions sont plus nuancées, l’impact se fait aussi sentir, avec une décote salariale plus prononcée pour les hommes que pour les femmes.

Racisme au travail

Les déclarations de discriminations et de racisme sont également « plus fréquentes chez les hommes que chez les femmes », relève l’étude, qui souligne malgré tout leur récurrence dans presque tous les domaines de la vie des immigrés. Ainsi, de 10 à 37 % des immigrés « visibles » ont vécu des discriminations ou du racisme au travail. Et les sondés ont plutôt tendance à minorer les expériences racistes, selon cette étude. « Ils ne sont pas en position victimaire, quand ils dénoncent une discrimination, cela correspond à une réalité sociale », souligne Christelle Hamel, de l’Ined.

Les chercheurs se montrent, en revanche, très prudents sur le controversé « racisme anti-Blancs », phénomène « minoritaire », et surtout d’une autre nature car il reste sans conséquence sur la carrière ou les résultats à l’école.

Cette étude, menée en 2008 et 2009, ne portait pas sur la troisième génération, qui reste très difficile à appréhender. Il s’agit pourtant d’« un enjeu » pour une éventuelle prochaine enquête, insiste Cris Beauchemin, car il est crucial de « mesurer l’évolution des inégalités selon l’origine ». Un défi dans un pays qui répugne à l’idée de statistiques ethniques.


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