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Film documentaire

Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture, le mystère reste entier

mercredi 20 janvier 2016

Qu’est-il véritablement arrivé à Jacques Stephen Alexis ce jour d’avril 1961 ? Est-il tombé sous les balles des sbires de Papa Doc comme ses quatre autres compagnons ? Ou est-il mort avec eux, lapidé par les habitants de Bombardopolis, comme a bien voulu le faire croire le dictateur ?

Ces questions taraudent Arnold Antonin depuis plus de 50 ans. Depuis que, tout jeune, il grandit avec les rumeurs les plus folles sur la mort de Jacques Stephen Alexis, figure emblématique de la littérature haïtienne et de la vie politique sous la dictature de Duvalier père. Finalement, cinq années de recherches auprès des membres de sa famille, de ses amis, de tous ceux qui l’ont connu et fréquenté et qui pouvaient encore témoigner ont permis l’aboutissement de Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture. Cela faisait un moment depuis qu’un film avait suscité autant d’émoi à Port-au-Prince. Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture, la plus récente production d’Arnold Antonin, a ainsi fait salle comble jeudi soir au Karibe. Sauf peut-être le fameux « Victorieux ou morts mais jamais prisonniers », film d’animation de Mario Delatour projeté en avril 2015 dans cette même salle. Il était impossible de planter une épingle, tant la salle était remplie. L’ambassadeur de Suisse, Jean-Luc Virchaux, Michèle Duvivier Pierre-Louis de la Fokal, représentants de sponsors et membres du corps diplomatique et de l’État occupaient les premiers rangs, face à Emmelie Prophète, la maîtresse de cérémonie. Plus chanceux que certains de leurs congénères, les premiers retardataires ont pu prendre place, debout, pendant environ deux heures, devant la porte d’entrée. Un bien piètre supplice comparé à celui de l’homme qui vécut debout toute sa vie. Dans sa quête, Antonin s’est proposé de faire la lumière sur certains aspects de la légende vivante qu’est aujourd’hui l’écrivain, cinquante-cinq ans après sa mort. L’homme : sa vie et ses amours ; le père : sa vision, ses femmes et ses enfants ; l’écrivain : son verbe, ses chicanes et ses succès ; le révolutionnaire : son idéologie communiste, ses voyages et ses combats, et enfin la légende et le legs sont autant de facettes embrassées par cette production. Le personnage ne pouvant parler lui-même, ses proches, ses écrits, des coupures de journaux, des photos d’archives, des amis, des connaissances et même le soldat qui le conduisit à la mort l’ont fait pour lui. L’on découvre ainsi l’humour chez Jacques Stephen, le charme de Jacques Stephen, l’invective chez Jacques Stephen, le caractère entier et hardi, quelque peu effronté de Jacques Stephen. Médecin neurologue, jamais l’homme ne sera condescendant, irresponsable, lâche ou incorrect. Sa convivialité, sa grande culture, sa curiosité intellectuelle et son esprit critique lui apportent autant d’amis que d’ennemis, chacun l’aimant ou le haïssant avec la même ardeur. Mais il ne laisse personne indifférent. En témoignent Andrée Roumer, sa deuxième femme, Florence, sa fille aînée, Rassoul Labuchin, écrivain et ami, Max Bourjolly, Jean Métellus, Guy Dallemand, Gérald Bloncourt, Suzy Castor, Rodney Saint-Éloi, Yanick Lahens, Lyonel Trouillot et beaucoup d’autres. L’on saura qu’il affectionnait le genre épistolaire, ses plus célèbres lettres étant la lettre à François Duvalier, celle dédicacée à sa fille Florence, et celle à ses amis les peintres. Son esprit alerte et son éloquence ont raison de Mao Tsé Toung quand en 1961, l’année de sa mort, il rencontre le leader chinois durant son périple en quête d’un soutien international contre le régime de Duvalier au nom des communistes haïtiens. Ce sera d’ailleurs là son ultime combat. Avec Jacques Stephen Alexis, mort sans sépulture, Arnold Antonin a mis la barre haut. Faire un éclairage sur les véritables circonstances de la mort de cette icône haïtienne. Une grande ambition pour laquelle les risques de réussir ou d’échouer étaient tout aussi élevés. Toutefois, la projection ne permet pas de trancher. Les témoignages sur la fin qu’il a connue sont aussi contradictoires que vraisemblables. François Duvalier n’a jamais admis publiquement avoir versé le sang de l’un des plus grands hommes noirs de son époque, lui qui se réclamait du noirisme. Florence Alexis croit qu’il n’a jamais été ramené à Port-au-Prince après son arrestation à Bombardopolis. Ses amis n’en savent pas plus. Le soldat qui l’a arrêté maintient pourtant qu’il l’a bien eu avec ses compagnons Charles Adrien Georges, Guy Béliard, Hubert Dupuis-Nouillé et Max Monroe. Si l’on a, avec cette réalisation, l’occasion de mieux connaître l’homme et certains aspects jusque-là méconnus ou inconnus de lui, le mystère sur la mort de JAS, comme signait parfois Jacques Stephen Alexis, demeure entier. Il reste complexe et insaisissable jusqu’au bout.
- Péguy F. C. Pierre
pfcpierre@lenouvelliste.com


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